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Les auteurs
Olivier Mamavi
(omamavi@gmail.com) - Paris School of Business - ORCID : https://orcid.org/0000-0002-6421-1048Romain Zerbib
(romainzerbib@yahoo.fr) - ICD Business School
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Le déclin, c’est quoi ?
Tout d’abord, le déclin peut être défini comme étant la phase plus ou moins longue qui accompagne la faillite de l’entreprise. Il n’est pas aisé de situer avec exactitude le point de départ d’une telle dynamique. Il s’agit d’une période relativement floue qui enchâsse de nombreux phénomènes et facteurs explicatifs. Il se caractérise concrètement par une incapacité de l’entreprise à juguler l’érosion de ses avantages sur le marché.
La plupart du temps le déclin est occasionné par une conjonction de facteurs internes et externes à l’entreprise. La situation est généralement la suivante : l’environnement évolue sous l’effet d’une nouvelle technologie, d’une nouvelle norme, d’un nouveau modèle d’affaire… et l’entreprise se retrouve peu à peu désynchronisée du fait d’un déni, d’une myopie stratégique, ou d’une incapacité technique à s’adapter à la nouvelle donne (rigidité des processus, etc.). Nous retiendrons que le déclin correspond à un processus de dégénérescence qui s’enclenche dès lors qu’une organisation ne parvient plus à être en adéquation avec son environnement.
A quoi reconnaît-on un déclin ?
Un des principaux symptômes cliniques du déclin s’exprime par une hausse continue des coûts de transaction dès lors que l’entreprise établit un échange avec son environnement. Les créanciers, fournisseurs, clients, collaborateurs… du fait d’un rapport de force devenu défavorable à l’entreprise, tendent à se désengager, à réduire la qualité de leur participation, à négocier une relation d’échange plus favorable et à dénigrer l’organisation. Il s’en suit une réduction mécanique du nombre de ressources que contrôle l’organisation.
Un tel contexte favorise un ensemble de dysfonctionnements organisationnels qui, à leur tour, alimentent et accélèrent la dynamique de dégénérescence. On observe en conséquence une détérioration du tissu relationnel au sein de l’organisation. Les managers se retrouvent stigmatisés et deviennent la cible des frustrations. Ils tendent à s’isoler tandis que la période exige encore plus de coopération. Ils cherchent ainsi à éviter et à retarder l’émergence de mauvaises nouvelles en amplifiant le secret, la rigidité ou en désignant des boucs émissaires. Or, de telles comportements ont pour effet d’accroître la gravité du déclin plutôt qu’à le corriger. Ils nourrissent une spirale négative dont la dynamique hâte la chute de l’organisation.
Voici pourquoi un management spécifique – contraire aux réflexes intuitifs de survie – doit s’imposer dans de telles situations. La priorité numéro Une doit être de bien comprendre la nature précise du déclin auquel l’organisation est confrontée afin de pouvoir mettre en place une politique adaptée.
Quel management adopter ?
Les chercheurs Kim Cameron et Raymond Zammuto, dans un article intitulé « Matching Managerial Strategies to Conditions of Decline » identifient quatre configurations de déclin : l’érosion, la contraction, la dilution et le collapse. Leur typologie repose schématiquement sur les trois critères suivants : la puissance, la constance et la vitesse du déclin. Une telle catégorisation doit permettre aux managers de clarifier la nature du phénomène auquel ils doivent faire face afin de les aider à élaborer une stratégie appropriée.
Le cas de l’Erosion
L’Erosion correspond à un phénomène de réduction continue du marché qui ne menace pas la survie de l’entreprise dans l’immédiat. Le déclin progressif du métier de comptable au profit de l’intelligence artificielle est par exemple un cas d’érosion. Il s’agit d’un déclin graduel qui offre au manager un délai relativement prévisible pour réagir. Les professionnels de la comptabilité sont en effet conscients depuis un certain temps maintenant de la menace des algorithmes. Une telle situation fournit des conditions paradoxalement favorables à l’engagement de priorités nouvelles. L’érosion, du fait de sa lente progression, peut toutefois introduire au sein de l’organisation un sentiment erroné de stagnation alors propice à l’inertie. Le manager doit ainsi mettre en avant un ensemble d’éléments incontestables qui témoignent de la réalité du déclin en cours afin d’introduire une véritable prise de conscience en interne. La réduction progressive des ressources tend par ailleurs à exacerber les conflits en terme notamment d’allocation des ressources entre collaborateurs. Le manager peut toutefois conserver un mode de gouvernance collaboratif dans la mesure où la survie de l’organisation n’est pas ici immédiatement engagée. Les managers ont le temps en effet d’envisager un ensemble d’alternatives. Les auteurs recommandent enfin aux managers confrontés à un phénomène d’érosion d’engager une politique proactive de conquête de nouveaux marchés dans le but de pallier le préjudice occasionné par le déclin en cours.
Le cas de la Contraction
La contraction correspond à un phénomène de réduction discontinue du marché qui menace à court terme la survie de l’entreprise. Le marché se contracte brutalement à intervalle irrégulier et empêche l’organisation de soutenir financièrement l’ensemble de ses activités. Les auteurs suggèrent alors de se focaliser sur les activités les plus rentables. Une telle ambition implique concrètement d’interrompre les investissements consacrés aux activités non essentielles. La focalisation des loueurs de voitures sur le segment professionnel, accompagnée d’une réduction drastique du parc de véhicules, lors de la crise de la Covid-19, en est une illustration emblématique. Les auteurs recommandent en résumé une stratégie réactive de recentrage et de consolidation. Ils précisent que la contraction étant un phénomène qui menace à court terme la survie de l’organisation, elle induit le plus souvent un management autocratique : le manager manque de temps pour engager une prise de décision participative.
Le cas de la Dissolution
La Dissolution est un phénomène qualitativement différent de l’érosion et de la contraction. Ici, le marché principal de l’entreprise disparaît de façon graduelle au profit d’un nouveau marché. On assiste autrement dit à un processus de métamorphose qui s’exprime par un changement progressif des règles du jeu. La légitimité des résultats affichés par l’entreprise est vivement remise en question. Le référentiel de valeur est en pleine transformation. Les managers doivent élaborer et instituer de nouveaux critères de performance et trouver un moyen d’emmener l’organisation vers le marché en émergence. La bascule du moteur thermique vers l’électrique dans le secteur automobile ou encore le passage de la console vers la plateforme dans l’univers des jeux vidéo constituent deux exemples de dissolution. La dissolution produit en général de nombreux conflits au sujet notamment de l’orientation à suivre pour survivre. On assiste à la formation de coalitions dont chacune défend une alternative : allant du conservatisme (le plus souvent) à la rupture des pratiques antérieures, en passant par un éventail de compromis stratégiques. Les auteurs précisent que la dissolution étant un processus continu, elle offre toutefois aux managers la possibilité de planifier la transition par le biais de stratégies coalitives.
Le cas du Collapse
Le Collapse correspond à un effondrement imprévisible, rapide et spectaculaire qui menace la survie immédiate de l’entreprise. Il s’agit d’un changement discontinu du marché qui produit des conditions si catastrophiques que les managers sont susceptibles de n’avoir aucune expérience antérieure pour les guider. Les certitudes et schémas mentaux sont ici profondément ébranlés. La crise de la Covid-19 a par exemple été un collapse pour les professions de l’hôtellerie et de la restauration. Les auteurs conseillent aux managers faisant face à un effondrement de s’orienter vers l’expérimentation dans la mesure où la solution au problème est à ce jour inconnue. L’état de confusion général qui accompagne un collapse alimente par ailleurs une hausse des conflits au sein de l’organisation. Les relations entre managers et subordonnés sont souvent chaotiques et désordonnées. Il est par ailleurs difficile de déterminer quelles informations sont valides et fiables compte tenu de la vitesse avec laquelle opère l’effondrement. Les managers ne disposent d’aucun délai pour réagir. La soudaineté du déclin conduit généralement les managers à réagir de manière aléatoire par essais-erreurs.
Pour conclure
Il n’y a pas de solutions clefs en main. Les différentes modalités de déclin peuvent certes faire l’objet d’une typologie, pour autant, les solutions à mettre en œuvre ne sauraient être converties en procédures prêtes à l’emploi. Il s’agit en effet de réactions que les managers doivent élaborer par eux-mêmes de manière à coller au mieux à la spécificité de l’organisation, de l’environnement et des capacités stratégiques du moment. Il apparait cependant primordial, quelle que soit l’option retenue, que ceux-ci maîtrisent l’art du changement et du leadership. Il semble en effet illusoire d’envisager surmonter un déclin sans une faculté à transcender les clivages, ni une capacité à engager l’ensemble des parties prenantes à travers une vision forte à laquelle ces dernières puissent adhérer pleinement.