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Modes managériales au XXIème siècle : Il y a urgence à définir une méthodologie

  • Résumé
    Au cours de la dernière décennie, le digital a généré un monde parallèle porté par les réseaux sociaux.  S’il offre des avantages indéniables au monde réel, à commencer par un accès incroyable à l’information, il porte en lui son lot de croyances et d’intox qu’il relaie tout aussi largement. Les nouvelles modes managériales en sont un exemple significatif. Comment alors garder les bénéfices sans subir les dérives potentielles ?
    Citation : Loic Le Morlec, L. (Sep 2022). Modes managériales au XXIème siècle : Il y a urgence à définir une méthodologie. Management et Datascience, 6(2). https://doi.org/10.36863/mds.a.20446.
    L'auteur : 
    • Loic Le Morlec
      - (Pas d'affiliation)
    Copyright : © 2022 l'auteur. Publication sous licence Creative Commons CC BY-ND.
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    Financement : 
    Texte complet

    La caractéristique d’une mode managériale est de s’implanter massivement dans les entreprises pour ensuite être tout aussi massivement remplacée par une autre. Les réseaux sociaux ont permis le développement d’un nouveau genre. Désormais si elle s’installe massivement, c’est avant tout sur le fil d’actualité des applications de nos téléphones portables. Sa présence dans les entreprises est potentiellement anecdotique. L’entreprise libérée en est le symbole avec un succès non démenti sur la toile et ailleurs. C’est très loin d’être le cas dans les entreprises où elle pourrait atteindre 0.07% de taux de pénétration. Le conditionnel est de rigueur car personne n’est capable de les dénombrer. Il n’existe pas de label entreprise libérée. Sa définition demanderait une analyse poussée pour bien évaluer. Une entreprise libérée est « une forme organisationnelle dans laquelle les salariés sont totalement libres et responsables des actions qu’ils jugent bon -eux, et non leurs patron- d’entreprendre » (Raulet-Crozet, Telborg et Gilbert, 2019). Faute d’évaluation disponible (existe-il par ailleurs une volonté d’évaluation ?), la réalité du terrain nous apporte une autre définition.

    Des attributs accordés avec largesse

    Une entreprise est libérée quand quelqu’un le décide. Nul besoin d’une quelconque légitimité. Il suffit de le décréter pour obtenir ce statut non challengé. Combien d’entreprises qui se seraient proclamées libérées ou auraient reçu cet attribut l’ont vu retiré ?  L’exemple le plus remarquable concerne Michelin. Qui a décidé que ce fleuron de notre économie serait une entreprise libérée ? On serait bien en peine de le trouver aisément. Ce que l’on sait cependant, c’est que cela n’est pas le résultat d’une étude significative sur le terrain. Pire, on sait que son ex dirigeant a réfuté cette appellation (Le Morlec, 2022). Une entreprise pourrait donc être libérée contre son gré, générant ainsi un curieux oxymore. Quelle valeur accorder alors à la libération d’une entreprise ? En cela cette mode ne déroge pas à cette autre règle qui veut que la réalité d’une mode managériale diffère d’une entreprise à une autre suivant 4 grands principes (Zerbib, 2021) :

    • La mode est rejetée par l’organisation
    • L’entreprise utilise des éléments de langage attachés à cette mode sans rien changer de son organisation
    • L’entreprise va intégrer des outils annexe à cette mode sans pour autant faire significativement évoluer son organisation
    • Enfin, à ses risques et périls, elle va réellement transformer son organisation en profondeur.

    Quand une entreprise se déclare ou encore est déclarée libérée par un tiers, nous ne savons donc pas en quoi cela consiste. Ceci nous rappelle l’importance des études réalisées sur le terrain. La carence en recherche intervention est un problème récurrent. Or, les principes en sciences sociales sont justement issus de l’étude utile du terrain. Le management et plus généralement le sujet de l’Humain porté notamment par l’entreprise libérée est donc particulièrement sensible à ce besoin d’études. Ce qui est nouveau en revanche, c’est que les modes managériales depuis la décennie précédente se développent sur les réseaux sociaux grâce au story telling.

    Une porte ouverte aux croyances et intox

    Le témoignage de dirigeants est bien entendu une source d’attention pour la recherche. La nature du story telling demande néanmoins une nécessaire prise de distance et à minima la mise en place de vérifications. A titre d’exemple, on accorde assez communément à l’entreprise libérée une performance avec divers adjectifs laissant penser à un niveau significativement supérieur :

    • de niveau mondial (Getz et Carney, 2012)
    • confortable (Raulet-Crozet, Telborg et Gilbert, 2019)
    • indécente (Messonnier, 2014)

    Ce dernier attribut, accordé à la performance de la biscuiterie Poult comme conséquence de sa libération est particulièrement significatif. Le rachat de l’entreprise en 2016 a montré une autre réalité. Non seulement il n’y a pas eu de performance insolente avec une hausse de chiffre d’affaires de 12% comme annoncée, mais au contraire une baisse de 14% pendant sa période de libération (Le Morlec/2018). Ceci a permis de pointer qu’il n’y aurait aucune analyse du résultat des entreprises libérées, même dans le cas des rares études terrains effectuées (Le Morlec/2022). On note également une carence de contrôle sur la base d’informations disponibles. Ceci n’est pas sans conséquences. Une transformation aussi radicale d’une entreprise sans garantie aucune d’une performance supérieure et même d’un maintien de performance nécessaire à sa survie demande la plus grande prudence. Ceci concerne principalement les PME qui n’ont pas les moyens d’effectuer des tests comme les grands groupes. Le retour en arrière peut être difficile.

    Au niveau de la recherche, cela questionne les leviers spécifiques de performance de l’entreprise libérée. Des analyses poussées de ses leviers spécifiques brillent par leur absence alors même qu’Isaac Getz, le co auteur de Liberté et Cie semble en avoir abandonné les principaux (Le Morlec, 2018, 2019). On notera parmi les abandons l’innovation produit générée par les salariés ou celle plus connue de la fin du management intermédiaire. Qu’est-ce qui rendrait alors une entreprise libérée plus performante qu’une entreprise classique ? On pourrait même se questionner sur ce qui différencie ce type d’entreprise par rapport à d’autres valorisant l’autonomie de leurs salariés. La carence en contrôle questionne également l’idée assez communément admise de la difficulté de survie d’une entreprise libérée au départ de son leader libérateur. Ne pourrait-on pas attribuer l’arrêt de la libération de la biscuiterie Poult au constat fait par le repreneur d’une dégradation de la performance de l’entreprise ? D’autres facteurs concernant des problèmes de chronologie et d’anachronismes viennent conforter ce questionnement (Le Morlec, 2022).

    Le story telling a pour objectif de valoriser une entreprise, un projet, soutenir une conviction. Ce faisant, il prend plus ou moins de largesse avec la réalité. Les réseaux sociaux peuvent aisément transformer cela en fake news. Face à ces dérives, des médias se sont dotés de cellules permettant de valider la véracité d’une information. Installer cela dans les universités ou grandes écoles, malgré tout l’intérêt que cela représenterait, irait à l’encontre du principe même d’indépendance et responsabilité du chercheur. Une solution existe cependant. Il s’agirait de définir une méthodologie afin de s’adapter à ces modes d’un nouveau genre. Ce problème a déjà été mis en avant par Romain Zerbib, chercheur associé à la chaire ESSEC (Zerbib, 2018). Au regard de l’expérience acquise avec l’entreprise libérée, ce qui était déjà une nécessité ces dernières années ne se traduit-il pas aujourd’hui comme une urgence face aux croyances générées par ce manque ?

    Bibliographie

    Getz I. et Carney B. (2012) Liberté et Cie, Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises, Flammation, traduction de Freedom Inc, 2009 Crown Business

    Le Morlec L., (2018) « Quelle évolution pour l’entreprise libérée ? » Les Echos Executive

    Le Morlec L., (2018, 2019) « Se libérer des croyances de l’entreprise libérée » site RH INFO

    Le Morlec L., (2022) Fake Management, Pour en finir avec les fausses croyances et les modes managériales, éditions ems, collection pratique d’entreprises

    Messonnier, M. (2014) « Le bonheur au travail », documentaire Arte boutique

    Raulet-Croset, N., Teglborg A.C. et Gilbert P. (2019) « Mythes et réalités de l’entreprise libérée », site The Conversation

    Zerbib, R. (2018) « Les modes managériales existent-elles vraiment ? », The Conversation

    Zerbib, R. (2021) « Les dégâts du virus de modes managériales dans l’entreprise », Xerfi Canal, 10/06/2021

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