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Les auteurs
Olivier Mamavi
(omamavi@gmail.com) - Paris School of Business - ORCID : https://orcid.org/0000-0002-6421-1048Romain ZERBIB
(romainzerbib@yahoo.fr) - ICD Business School
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Alors que les systèmes d’information représentent aujourd’hui près de 4,5 % des émissions de gaz à effet de serre en France, un collectif inédit de chercheurs s’est penché sur une question essentielle : comment penser un management réellement durable du numérique et des systèmes d’information ?
Contenu
Sous la direction de Guillaume Biot-Paquerot, Amélie Clauzel et Caroline Riché, l’ouvrage Vers un management durable des systèmes d’information ?, publié aux éditions Management & Data Science avec le soutien de l’Association Information et Management (AIM), rassemble plus de cinquante auteurs issus de disciplines variées : stratégie, supply chain, finance, ressources humaines, marketing ou encore écoconception numérique.
Fruit d’une dynamique initiée lors de la conférence de l’AIM 2023, ce volume explore les tensions, paradoxes et leviers d’action liés à la décarbonation des SI. Il ouvre un champ de réflexion inédit sur les liens entre sobriété numérique, innovation technologique, gouvernance et responsabilité organisationnelle.
Dans cet entretien, les trois coordinateurs reviennent sur la genèse de ce projet, les grands enseignements de l’ouvrage et les perspectives qu’il ouvre pour la recherche comme pour la pratique managériale. Ensemble, ils interrogent la place du numérique dans la transition écologique et appellent à une réinvention du rôle du management des SI à l’ère de l’anthropocène.

De gauche à droite : Caroline Riché, Guillaume Biot-Paquerot et Amélie Clauzel
Q1. Votre introduction s’ouvre sur une réflexion littéraire et philosophique, en citant Borges ou Houellebecq. Pourquoi avoir choisi cette mise en perspective culturelle pour aborder un sujet a priori très technique comme la décarbonation des systèmes d’information ?
Nous avons choisi d’ouvrir par une réflexion littéraire et philosophique afin de montrer que les systèmes d’information ne sont pas qu’un objet technique, mais un fait culturel, social et symbolique. Borges ou Houellebecq révèlent les dérives d’un monde qui cherche à tout représenter, mesurer, modéliser – ce que font aussi les SI. En mobilisant ces références, nous soulignons que la décarbonation nécessite un changement de regard, une éthique de la représentation et de la mesure. Penser la durabilité des SI, c’est d’abord interroger nos imaginaires technologiques et nos rapports au monde avant de parler solutions techniques. Cette entrée culturelle permet aussi de décentrer le débat, de sortir d’une logique purement instrumentale pour réintroduire du sens et de la responsabilité dans nos choix numériques. Elle invite finalement à reconnaître que la transition écologique est autant une transformation des infrastructures qu’une transformation de nos visions du progrès.
Q2. Vous rappelez que le numérique représente déjà près de 4,5 % des émissions de gaz à effet de serre en France, et que ce chiffre pourrait tripler d’ici 2050. Quels sont, selon vous, les principaux axes de recherche en management des SI qui méritent d’être développés pour mieux comprendre et accompagner cette évolution ?
Face à la hausse des émissions du numérique, plusieurs axes de recherche en management des SI nous semblent prioritaires. D’abord, il est indispensable de mieux mesurer l’empreinte carbone réelle des systèmes d’information, notamment sur le scope 3, les datacenters, les usages et le cycle de vie du matériel, car l’absence de données fiables limite la prise de décision. Ensuite, il convient d’analyser l’alignement stratégique entre décarbonation, innovation et performance, afin d’éviter que la transition écologique ne soit perçue comme un frein à la compétitivité. La sobriété numérique doit être étudiée comme une transformation organisationnelle profonde, et non comme une simple optimisation technique. Le rôle des achats, de la gouvernance, des modèles économiques et des compétences est également central pour accompagner ce changement. Enfin, la décarbonation du numérique exige des cadres d’analyse véritablement interdisciplinaires, capables d’articuler technologies, comportements, politiques publiques et enjeux sociétaux.
Q3. L’intelligence artificielle occupe une place particulière dans votre introduction : à la fois source d’optimisation et facteur de surconsommation énergétique. Quelles conditions seraient nécessaires pour que l’IA s’inscrive réellement dans une logique de sobriété et de durabilité ?
L’IA peut optimiser de nombreux processus, mais elle consomme énormément d’énergie et de ressources. Pour qu’elle s’inscrive dans une logique de durabilité, plusieurs conditions sont nécessaires : concevoir des modèles plus frugaux et transparents, limiter la course à la puissance, privilégier des usages à forte valeur sociale ou environnementale, intégrer des critères d’écoconception dès la conception des systèmes, développer des infrastructures plus efficientes, et mettre en place une gouvernance responsable de l’IA. Plus largement, il s’agit de repenser les finalités mêmes de l’IA afin qu’elle ne soit pas seulement un outil de performance, mais un levier de transformation soutenable.
Q4. Vous insistez aussi sur les résistances sociales, culturelles et organisationnelles qui freinent la mise en œuvre de pratiques numériques plus responsables. Quels freins vous paraissent aujourd’hui les plus déterminants, et comment la recherche peut-elle aider à les dépasser ?
Les freins sont nombreux : il y a des inerties culturelles, avec une valorisation permanente de l’innovation et de la performance, des résistances organisationnelles liées à la priorité donnée au court terme, des silos entre SI, RSE et métiers, ou encore des tensions réglementaires ou économiques. Mais il ne faut pas oublier les résistances individuelles : la technologie évolue parfois plus vite que la capacité d’adaptation des personnes, ce qui crée du stress, de la fatigue, voire un sentiment de perte de sens. À l’échelle organisationnelle, ministérielle ou nationale, on peine aussi à suivre le rythme. La recherche peut vraiment aider en rendant visibles ces tensions, en proposant des cadres d’accompagnement du changement et des leviers d’action (gouvernance, incitations, montée en compétences), mais aussi en créant des espaces de dialogue entre chercheurs, entreprises et institutions. Et surtout, réfléchir dans des groupes de recherche collaboratifs, comme cela existe par exemple à l’Université Paris-Saclay (Institut Data IA) où chercheurs et entreprises travaillent ensemble, est essentiel pour imaginer des trajectoires numériques réellement soutenables à l’avenir.
Q5. L’ouvrage que vous coordonnez rassemble plus de cinquante auteurs issus de disciplines variées. En quoi cette diversité de regards et cette ouverture interdisciplinaire constituent-elles, selon vous, une force pour penser et accompagner la décarbonation des systèmes d’information ?
La décarbonation des SI est un objet complexe, à la fois technologique, organisationnel, stratégique, social, économique et politique – aucun champ ne peut l’aborder seul. Certes, la plupart des auteurs de l’ouvrage proviennent du champ des systèmes d’information, mais leurs travaux sont profondément interdisciplinaires et mobilisent des approches issues de la stratégie, des achats, de la supply chain, du marketing, de la finance ou encore des sciences sociales. Cette diversité permet de croiser les regards, d’identifier les tensions et d’articuler plusieurs niveaux d’analyse micro, méso ou macro. Notre propre trio de coordinateurs illustre cette complémentarité, avec des sensibilités différentes mais convergentes. Au final, cette ouverture disciplinaire n’est pas seulement un enrichissement académique : c’est une condition pour penser la durabilité des SI de manière globale et proposer des solutions réellement opérationnelles.
👉 Pour accéder à l’ouvrage Vers un management durable des systèmes d’information ?, publié aux éditions Management & Data Science avec le soutien de l’Association Information et Management (AIM)
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