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Les auteurs
AUDREY HANAN
(audrey.hanan@univ-amu.fr) - (Pas d'affiliation)Pauline Keh
(pauline.keh@univ-amu.fr) - (Pas d'affiliation)Cécile Godé
(cecile.gode@univ-amu.fr) - Aix-Marseille Université CERGAM - ORCID : https://orcid.org/0000-0002-9148-2820
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Digitalisation et IA dans les Achats : quel paysage technologique ?
Si la digitalisation de la fonction Achats est aujourd’hui largement engagée, avec au moins une direction sur deux déclarant s’inscrire dans un processus de transformation digitale (PwC, 2024), elle s’accélère sans conteste avec les avancées de l’Intelligence Artificielle (IA). 52% des acheteurs abordent ainsi l’IA comme un levier de simplification et de transformation de leur métier (AgileBuyer CNA, 2025).
En déployant des capacités d’analyse de larges volumes de données pour révéler des tendances et produire des prédictions, l’IA analytique permet en effet d’anticiper des variations de prix ou de demandes, d’optimiser les plannings ou encore de détecter des fraudes et des erreurs. Elle est ainsi une aide précieuse à la prise de décision (Audino, 2024).
De son côté, l’IA générative présente l’avantage de pouvoir automatiser les opérations répétitives et chronophages du quotidien de l’acheteur. Elle a ainsi rapidement été adoptée pour améliorer l’efficacité de certaines tâches telles que la rédaction de courriels (44%), le sourcing (40%), la production d’études de marché (33%) ou encore la rédaction des cahiers des charges (32%) (AgileBuyer CNA, 2025).
L’IA, qu’elle soit analytique ou générative, vient compléter les solutions digitales existantes afin d’« augmenter » l’acheteur en lui permettant d’optimiser, voire de se décharger de certaines tâches quotidiennes chronophages et administratives (CNA, 2023), libérant ainsi du temps pour des activités à plus forte valeur ajoutée.
Dans ce paysage technologique en forte évolution, de nombreuses offres logiciels et de services sont accessibles « sur étagère », portées par des éditeurs de renom (tableau 1 suivant) :
Ivalua | Coupa | Ariba | Jaggaer | Corcentric | |
Flexibilité / Personnalisation | Très élevée | Modérée (processus standardisés) | Modérée (intégrée à SAP) | Élevée | Élevée |
Couverture fonctionnelle | Source-to-Pay complet | Source-to-Pay complet | Source-to-Pay complet | Source-to-Pay complet | Source-to-Pay complet |
Intégration avec ERP | Fortement intégré (SAP, Oracle) | Fortement intégré | Principalement SAP | Fortement intégré | Intégration forte avec plusieurs ERP dont SAP |
Expérience utilisateur | Intuitive et moderne | Moderne et simple | Possiblement complexe | Interface conviviale | Interface intuitive et personnalisée |
Coût | Adapté aux grands comptes | Elevé | Elevé | Variable selon module | Adapté à la taille de l’entreprise (ETI et grands comptes) |
Secteurs d’activité | Large couverture sectorielle | Large couverture sectorielle | Secteurs alignés SAP | Large couverture sectorielle | Large couverture sectorielle |
Tableau 1. Exemples de solutions pour l’acheteur augmenté : éditeurs et caractéristiques (Boudet et al., 2025)
Comment l’acheteur augmenté tire parti de l’IA ?
L’acheteur augmenté est celui qui, en complément des outils et tableaux de bord classiques, exploite des capacités analytiques et contextuelles basées sur l’IA pour une analyse avancée des données, une automatisation des tâches manuelles répétitives et une prise de décision éclairée (Godé & Keh, 2025). Ce faisant, l’IA analytique et générative est porteuse de promesses, et ce à chaque étape du processus achat :
- Ses capacités d’analyse des bases de données fournisseurs, de comparaison automatique des offres ou encore d’anticipation de l’évolution des prix et des tendances de marché représentent une aide précieuse dans le sourcing, dans la renégociation de contrats ou encore dans la sélection des meilleurs partenaires (Folefack, 2024).
- Par ailleurs, l’IA peut aussi être un soutien à la gestion des contrats en aidant à la rédaction, la vérification et l’analyse des contrats et mais aussi en identifiant les erreurs et incohérences potentielles (Audino, 2024).
- L’utilisation de l’IA peut aussi permettre l’enrichissement de la gestion des relations fournisseurs (Garcia, 2023) en anticipant les risques, en analysant des données historiques de performance ou encore en améliorant la communication grâce à la traduction automatique et l’assistance conversationnelle.
- Enfin, on peut encore citer l’impact de l’IA sur la gestion des demandes Achats ou la gestion des factures, en automatisant par exemple la création et la gestion des bons de commande, ou encore l’extraction des données de facturation (Finn & Downie, 2024).
Ces illustrations des opportunités d’utilisation de l’IA dans le processus Achats met en lumière les principaux bénéfices pour la fonction, à savoir des gains notables d’efficacité, une meilleure prise de décision et une atténuation des risques fournisseurs (Fabbe-Costes & Rouquet, 2019). Cependant, l’écueil d’une vision déterministe n’accordant d’importance qu’aux qualités intrinsèques des technologies est bien connu. L’organisation et ses transformations doivent être abordées en considération des interactions et interdépendances des technologies et de leurs utilisateurs (Godé, 2024).
Les limites à l’adoption de l’IA dans les Achats
Selon une étude de McKinsey (2022), si l’adoption de l’IA et les investissements dans la fonction Achats ont plus que doublé au cours des cinq dernières années (depuis 2017), cette dynamique commencerait à stagner en raison de nombreux freins, dont voici quelques exemples, sans volonté d’exhaustivité.
La maturité face à la transformation digitale
L’IA transforme en profondeur la fonction Achats. Si les premiers cas d’usage sont désormais bien identifiés et se multiplient rapidement, son adoption reste hétérogène, en raison notamment du niveau de maturité technologique propre à chaque entreprise. Au-delà d’une volonté stratégique, l’adoption de l’IA dépend de la maturité digitale ou data maturity. Avant de déployer une solution d’IA, une organisation doit au préalable développer un ensemble de prérequis, sans quoi une grande partie de sa valeur potentielle risquerait d’être compromise.
La gestion du changement, le manque de compétences internes pour appréhender ces nouveaux outils et la résistance interne
L’un des défis majeurs rencontrés par la fonction Achats dans l’adoption et l’exploitation de l’IA réside dans le décalage entre les personnes possédant les compétences nécessaires pour tirer profit de l’IA et les talents disponibles en entreprise. Plus largement, la pénurie de talents qualifiés sur le marché constitue un frein persistant dans la plupart des secteurs. Le manque de compétence amène d’ailleurs les acheteurs à privilégier globalement une approche opérationnelle, plutôt que de créer de nouvelles stratégies en exploitant toutes les capacités des technologies émergentes.
D’autre part, au cours de la prochaine décennie, le travail des acheteurs pourrait être transformé par l’IA, entrainant des évolutions significatives dans les compétences requises pour exercer cette fonction stratégique. L’IA représente ainsi une source d’opportunités pour les acheteurs, mais aussi une nouvelle contrainte, en imposant de développer une nouvelle forme d’intelligence afin de rester pleinement acteur de leur relation avec les fournisseurs. Un processus d’upskilling sera donc indispensable, pouvant conduire à une certaine forme de résistance en interne.
La durabilité
L’acheteur peut devenir augmenté, mais à quel prix pour l’environnement ? Alors que les cas d’usage se multiplient et que l’IA tend à se généraliser, ses conséquences écologiques suscitent de vives préoccupations. Plusieurs rapports soulignent d’ailleurs ce coût environnemental, en termes d’économies d’énergies, de ralentissement de la consommation des ressources rares ou encore de productions directes ou indirectes de gaz à effet de serre. Ainsi, l’Agence Internationale de l’Energie annonce que « l’industrie mondiale des centres de données, de l’IA et des cryptoactifs devrait doubler sa consommation d’électricité d’ici 2026, générant un surplus de 37 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère ». Pour sa part, le rapport annuel du groupe américain Google (2024) indique que les émissions de gaz à effet de serre du groupe ont augmenté de 48% en cinq ans et celles de Microsoft de 40% en quatre ans.
Dans ce sens, l’impact de l’IA sur l’environnement peut constituer un frein pour certaines entreprises, en particulier dans un contexte où la durabilité est devenue un enjeu majeur pour plusieurs secteurs. Selon une étude menée sur 1000 décideurs Achats en Europe (Walker Sands, 2022), 62% des acheteurs français ont indiqué que leur priorité numéro 1 est l’amélioration de la durabilité dans les pratiques Achats. Plusieurs acteurs appellent ainsi au développement de « l’IA frugale » ou de « l’IA raisonnée » pour réduire l’impact environnemental de l’IA. Des réglementations sur l’IA devraient probablement intégrer demain les sujets environnementaux.
La cybersécurité, la fiabilisation des données et le manque de confiance en l’IA
En dépit d’un grand optimisme vis-à-vis de l’IA dans la fonction Achats, la mauvaise qualité des données peut finalement aboutir à une dévalorisation de son utilité. Des données de mauvaise qualité peuvent entraîner des décisions inadaptées, voire des pertes importantes. Une fiabilisation des données est donc indispensable avant d’adopter l’IA. Par ailleurs, la fonction Achats est marquée par une volonté de protéger et cacher ses données. L’IA implique, à l’inverse, un risque de divulgation de données jugées criques. Une IA mal sécurisée peut mettre en danger la pérennité de l’entreprise.
Enfin, l’un des enjeux fondamentaux pour les Achats consiste à améliorer la pertinence des données guidant les prises de décisions. Chaque année, d’immenses quantités de données sont collectées ou générées par la fonction Achats. Bien qu’elles représentent un atout stratégique, trop peu sont encore réellement exploitées afin de pouvoir en tirer profit. L’avenir doit alors passer par une simplification de sujets complexes et la valorisation de la donnée qu’elles soient de nature stratégiques ou opérationnelles afin que l’IA puisse offrir toute l’étendue de sa valeur ajoutée.
En conclusion, les fonctions Achats qui parviendront à surmonter ces freins offriront à leur entreprise un avantage concurrentiel certain, car l’intégration de l’IA n’est plus une option, mais bien une nécessité stratégique.
Bibliographie
Audino, O. (2024), Acheteur Augmenté & Intelligence Artificielle en 2024 et au-delà – Découvrez des cas concrets IA, Sourcing Force, Webinaire 24 janvier.
Boudet, T., Bouhalila, Y.C., Krol, C., Makhoukh, A., Particelli, Q., Rajasa, W.S., & Vidal, L. (2025), L’acheteur augmenté chez Naos, Afterwork CNA PACA, The Camp, Aix-en-Provence, 6 février.
Fabbe-Costes, N., & Rouquet, A. (2019). La logistisation du monde : chroniques sur une révolution en cours. Presses universitaires de Provence.
Finn, T, & Downie., A. (2024). L’IA dans l’approvisionnement, 2 juillet.
Folefack, A. (2024). En quoi l’IA générative peut-elle optimiser les missions de l’acheteur ?,Mémoire de master 2, DESMA, IAE Grenoble.
Garcia, R. (2023), Comment l’Intelligence Artificielle révolutionne le métier des Achats, novembre.
Godé, C. (2024). Vers un SI antifragile ? Une recherche en cours, Management & Data Science, Vol. 8, N°1.
Godé, C., & Keh, P. (2025). Projet Scrum chez Naos : l’acheteur augmenté, in Oruezabala, G. et Abbad, H. (coord.), Stratégies digitales pour les chaînes logistiques, ISTE, collection Innovation, Entrepreneuriat et Gestion, à paraître.
McKinsey (2022), Technology Trends Outlook 2022, 24 août 2022, par Michael Chui, Roger Roberts et Lareina Yee.
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