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Charles Ngando Black
(cngando@msn.com) - (Pas d'affiliation)
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Dans la mise en œuvre, les initiatives stratégiques de gouvernance des données doivent être déclinées aux niveaux tactique, puis opérationnel. Cependant, plusieurs études récentes montrent qu’elles ne sont souvent pas reliées à la stratégie de l’entreprise. Elles apparaissent ainsi comme de simples processus techniques, proches des initiatives opérationnelles autonomes de gouvernance des données.
Cet article expose les limites de cette approche technique, déconnectée des objectifs globaux, qui constitue une source majeure des difficultés rencontrées par les CDO et des échecs d’un grand nombre d’initiatives de gouvernance des données. Il propose ensuite une approche alignée qui dépasse ces limites en intégrant les niveaux stratégique, tactique et opérationnel. À travers deux cas concrets, il montre enfin comment cet alignement peut libérer toute la valeur des données.
Manque d’alignement stratégique des initiatives de gouvernance des données
Selon MIT Sloan (2022) et Davenport (2023), la durée moyenne d’un Chief Data Officer (CDO) est de deux ans et demi. Cette instabilité est due à des attentes élevées et floues, qui poussent les CDO à produire des résultats stratégiques sans cadre clair aligné sur les priorités de l’entreprise.
Gartner (2023) souligne que beaucoup de CDO peinent à démontrer la valeur de leur travail, en raison d’une déconnexion entre leurs initiatives et les objectifs de l’entreprise. Cette situation limite leur légitimité aux yeux de la direction, qui perçoit leur contribution comme moins pertinente pour les priorités globales.
Search Analytics (2023) souligne que l’absence de tableaux de bord stratégiques entrave la capacité des CDO à aligner leurs actions avec les objectifs de l’entreprise et à prouver leur impact. Cette absence d’indicateurs stratégiques affaiblit leur position, car ils manquent d’outils nécessaires pour démontrer l’efficacité et la pertinence de leurs initiatives.
Enfin, Gartner (2023) remarque que de nombreuses initiatives de gouvernance des données échouent car elles se concentrent sur la conformité technique plutôt que sur un alignement stratégique. Ce manque de pertinence pour les objectifs globaux fragmente les efforts de gouvernance et complique la justification des investissements en matière de données.
Ces constats, bien qu’émanant de sources variées, révèlent un enchaînement logique : les attentes élevées mais floues envers les CDO génèrent une pression pour des résultats visibles, sans cadre stratégique clair. En l’absence d’objectifs précis, les CDO se concentrent souvent sur des aspects techniques, parfois éloignés des priorités de l’entreprise. Ce manque empêche aussi la création de tableaux de bord stratégiques et rend impossible la mesure de l’impact des initiatives en lien avec les priorités organisationnelles. Il limite la valeur perçue par les dirigeants, fragilise la position des CDO et contribue à l’échec de la plupart des initiatives de gouvernance des données.
Limites du modèle actuel de gouvernance des données
Les difficultés rencontrées par les CDO sont étroitement liées à un manque d’alignement stratégique. Elles découlent d’un modèle de gouvernance des données centré sur des aspects techniques et opérationnels, sans lien direct avec les objectifs stratégiques de l’entreprise.
Ce modèle, aujourd’hui largement adopté, est soutenu par les outils disponibles sur le marché. Ceux-ci sont principalement conçus pour automatiser des processus de gouvernance comme la documentation, la classification et l’organisation des données, la surveillance de la gestion des données (qualité, sécurité, accès, protection, etc.), la conformité et l’audit des données.
Bien que ces outils facilitent la gouvernance des données au quotidien, leur approche reste souvent limitée à des aspects de conformité et de contrôle technique. Ils répondent essentiellement aux questions pratiques : « quoi » pour décrire les données, « qui » pour définir les rôles et responsabilités, et « comment » pour établir les politiques et processus. Cependant, ils ne permettent pas de traiter le « pourquoi » – le lien entre la gouvernance des données et les objectifs stratégiques de l’entreprise. Ce manque de vision stratégique freine l’intégration de la gouvernance des données dans la création de valeur à long terme. Il l’isole des priorités et ambitions globales de l’organisation.
Les évolutions récentes de ces outils pour supporter la gouvernance des produits de données ou pour envisager la monétisation des données ne corrigent pas cette déconnexion. Elles maintiennent une approche technique et opérationnelle, sans inscrire la gouvernance dans une perspective stratégique plus large.
Le diagramme ci-dessous illustre bien cette limitation : il met en avant des processus opérationnels de gouvernance des données, mais sans lien direct avec les priorités stratégiques globales de l’organisation. Bien que ces activités soient nécessaires, elles restent souvent isolées des objectifs plus larges, tels que l’amélioration de l’expérience client, l’augmentation de la compétitivité ou la croissance des revenus. Sans cette connexion, les processus de gouvernance fonctionnent de manière cloisonnée, se concentrant sur le respect des normes techniques au lieu de contribuer à la création de valeur alignée avec la stratégie de l’entreprise.
Dans ce contexte, le reporting et l’évaluation des actions menées restent limités. Les données collectées et les indicateurs suivis se concentrent principalement sur la conformité et la qualité technique, sans lien direct avec les objectifs stratégiques de l’entreprise. Par exemple, les rapports peuvent indiquer le pourcentage de données conformes aux normes de qualité, mais ne montrent pas comment cette qualité soutient les objectifs d’affaires, comme la satisfaction client ou la performance commerciale. Ce décalage empêche les dirigeants de saisir pleinement l’impact de la gouvernance des données sur l’atteinte des objectifs globaux.
Pour combler cette lacune, il est essentiel d’intégrer les niveaux stratégique, tactique et opérationnel de la gouvernance des données. Une gouvernance véritablement stratégique permettrait de déployer des actions concrètes au niveau opérationnel tout en remontant des indicateurs alignés sur les priorités de l’entreprise. En développant des mécanismes de suivi et d’évaluation qui mesurent l’impact des actions sur les objectifs stratégiques, la gouvernance des données pourrait devenir un levier essentiel pour soutenir la vision de l’organisation et démontrer sa valeur de manière tangible.
Opportunité d’une approche intégrée de la gouvernance stratégique des données
Les limites du modèle actuel de gouvernance des données, souvent centré sur des processus techniques déconnectés des objectifs stratégiques, mettent en évidence la nécessité d’une approche intégrée. Cette approche cherche à relier la stratégie de l’organisation aux opérations. Elle transforme ainsi la gouvernance des données en un levier central pour atteindre les priorités de l’entreprise. En alignant les actions de gouvernance avec les objectifs globaux, une gouvernance intégrée devient un outil de pilotage stratégique.
Le diagramme ci-après reproduit un schéma de gouvernance intégrée à la stratégie d’entreprise :
La partie gauche (en fond blanc) illustre la dimension stratégique de la gouvernance des données, qui s’articule étroitement avec les objectifs globaux de l’entreprise. Dans cette vision intégrée, la gouvernance stratégique ne se contente pas de définir des orientations générales : elle établit un cadre où chaque besoin stratégique – par exemple, en matière de protection ou de qualité des données – est identifié et décliné en politiques de gouvernance appropriées. Ces politiques garantissent que des priorités comme la satisfaction client, la compétitivité et l’efficacité opérationnelle sont abordées de manière mesurable et alignée, assurant ainsi que la gouvernance des données répond aux besoins fondamentaux de l’entreprise.
Ce diagramme montre ensuite comment la gouvernance stratégique se traduit concrètement jusqu’au niveau opérationnel. Une fois les politiques de gouvernance définies, elles se déclinent en procédures adaptées pour assurer leur application au quotidien. Par exemple, si l’organisation a un besoin stratégique de protection des données, cette exigence se concrétise en une politique de protection, qui elle-même se divise en procédures spécifiques, comme le contrôle d’accès, la surveillance des données sensibles et la gestion des incidents de sécurité. Ce modèle d’intégration garantit que chaque processus opérationnel, en respectant les exigences techniques, contribue également aux objectifs stratégiques.
Avec cette gouvernance intégrée, l’organisation peut mettre en place un pilotage stratégique. Les indicateurs de performance vont au-delà de la simple conformité technique et incluent des mesures de l’impact des actions de gouvernance sur les priorités globales de l’entreprise. Un reporting cohérent, aligné avec la stratégie, permet aux dirigeants de suivre l’avancement des objectifs et d’ajuster les actions en fonction des résultats obtenus. En reliant les opérations quotidiennes à la stratégie, cette gouvernance intégrée transforme les données en un actif stratégique essentiel, qui soutient la vision de l’entreprise et maximise la valeur créée de manière tangible.
Etudes de cas : apports d’une gouvernance intégrée des données
Dans le secteur du commerce électronique, la satisfaction client et la fidélisation sont des objectifs stratégiques clés, et la personnalisation de l’expérience d’achat est un levier essentiel pour se démarquer dans un marché très concurrentiel.
En adoptant une approche opérationnelle de la gouvernance des données, l’entreprise met en place des politiques de sécurité et des standards de qualité des données pour protéger les informations clients et garantir la conformité. Cependant, cette approche reste limitée à des objectifs techniques et ne sert pas directement la personnalisation de l’expérience client.
À l’inverse, une approche intégrée de la gouvernance des données aligne ces pratiques sur les priorités de personnalisation, en exploitant les données clients pour identifier des préférences et personnaliser les recommandations. Pour mesurer cet impact stratégique, l’entreprise peut suivre l’adoption de standards de gouvernance ciblés dans les projets de personnalisation ainsi que le déploiement de capacités de gouvernance, comme les politiques de protection et d’utilisation des données critiques pour la satisfaction client. Ces indicateurs montrent comment la gouvernance des données soutient directement les objectifs de fidélisation et d’engagement, contribuant ainsi à la croissance stratégique.
Dans le secteur financier, autre exemple, la conformité réglementaire et la gestion des risques sont des priorités stratégiques qui nécessitent une gouvernance rigoureuse des données pour protéger l’entreprise et ses clients.
Dans une approche opérationnelle, la gouvernance des données se concentre sur la conformité technique, en assurant que les données sensibles respectent les exigences de protection et de qualité. Toutefois, cette approche n’assure pas toujours un suivi de l’impact des pratiques de gouvernance sur les objectifs globaux.
En adoptant une approche intégrée, l’organisation peut lier ces pratiques directement aux objectifs stratégiques, par exemple en établissant des standards de traçabilité des transactions et des politiques de surveillance des accès aux données sensibles pour prévenir la fraude. Pour évaluer cette contribution stratégique, l’entreprise peut surveiller le nombre de projets critiques utilisant ces standards de traçabilité et de sécurité, ainsi que l’avancement dans la mise en place des rôles de gouvernance clés pour assurer la conformité. Ces indicateurs démontrent comment la gouvernance des données agit en levier de sécurité et de résilience, deux priorités majeures pour l’organisation.
Conclusion
Cet article met en évidence les difficultés rencontrées par les CDO et les limites des initiatives de gouvernance des données qui ne sont pas liées aux objectifs stratégiques de l’entreprise. Souvent perçues comme de simples processus techniques, ces initiatives peinent à démontrer leur valeur, ce qui fragilise la position des CDO et limite l’impact de la gouvernance des données. Les attentes floues envers les CDO accentuent ce décalage, rendant difficile la démonstration de l’utilité de leur travail pour les priorités de l’entreprise.
Intégrer la gouvernance des données dans la stratégie permet de dépasser ces obstacles. En alignant les pratiques de gouvernance sur les priorités globales grâce à des politiques, standards et processus adaptés, l’organisation peut transformer ses données en un levier pour atteindre ses objectifs de compétitivité, de satisfaction client et de conformité. Cette approche fournit aux CDO les moyens de rendre leurs initiatives visibles et de démontrer leur contribution directe à la stratégie.
En reliant les actions de gouvernance aux objectifs de l’entreprise, les CDO disposent d’un cadre solide pour montrer comment leurs initiatives soutiennent la croissance et la sécurité de l’organisation. Cette approche intégrée fait de la gouvernance des données un pilier essentiel pour atteindre les ambitions de l’entreprise et positionne les CDO en acteurs clés de cette réussite.
Glossaire
Bibliographie
- Davenport, T. (2023). Why Do Chief Data Officers Have Such Short Tenures? Retrieved from https://www.tomdavenport.com
- Gartner. (2023). Understand Data Governance Trends & Strategies. Retrieved from https://www.gartner.com
- GDS Group. (2023). Maligned and Misunderstood: Why Chief Data Officers Don’t Last Long in the Job. Retrieved from https://gdsgroup.com
- MIT Sloan. (2022). Chief data officers don’t stay in their roles long. Here’s why. Retrieved from https://mitsloan.mit.edu
- Ngando Black, C. (2024). Le cadre de gestion des données, un impératif pour les organisations. Management & Data Science. Disponible sur https://management-datascience.org/articles/4736/
- Ngando Black, C. (2024). Modèle et initiative de gouvernance des données : quels assortiments ? Management & Data Science. Disponible sur https://management-datascience.org/articles/27916/
- Search Analytics. (2023). Why Do Chief Data Officers Have Such Short Tenures? Retrieved from https://searchanalytics.com