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Ben Jabeur
(sbenjabeur@univ-catholyon.fr) - ESDES Business SchoolKaeila Alcindor
(kaeila.alcindor@hotmail.com) - (Pas d'affiliation)
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L’intelligence artificielle (IA) transforme les marchés financiers, notamment celui des obligations, en introduisant des solutions d’automatisation puissantes. Ces technologies promettent une meilleure efficacité, une gestion des risques optimisée et une plus grande fluidité des échanges. Cependant, elles soulèvent également des questions éthiques et des inquiétudes quant à la stabilité des marchés en période de crise.
Pourquoi les obligations attirent-elles les investisseurs ?
Le marché obligataire est apprécié pour ses revenus réguliers, mais il comporte certains risques. Contrairement aux actions, dont les dividendes sont soumis à des aléas, les obligations offrent des revenus fixes (appelés « coupons »), mais leur prix fluctue en fonction des taux d’intérêt (c’est pourquoi on parle de marchés de taux). Lorsque les taux augmentent, le prix des obligations diminue, et vice versa. Ce risque lié au prix est présent en continu sur le marché obligataire mais il disparaît si l’investisseur conserve ses obligations jusqu’à l’échéance, moment où le capital est remboursé. Cela rend les obligations attractives pour les investisseurs qui recherchent une prévisibilité des revenus et une garantie en capital, au prix d’une exposition au risque de taux.
Les obligations d’État, bénéficiant d’une notation élevée (cotées AAA, AA ou A par les agences de notation) sont particulièrement prisées en période de crise, car elles sont considérées comme des investissements sûrs. Ces obligations permettent aux investisseurs de diversifier leurs portefeuilles et de réduire les risques associés à des actifs plus volatils, comme les actions. Cependant, lorsqu’il y a une forte inflation ou une hausse des taux, les prix des obligations et des actions peuvent chuter simultanément, ce qui limite l’efficacité de la diversification. En d’autres termes, bien que les obligations soient souvent perçues comme un refuge en période d’incertitude, leur valeur peut être affectée négativement par des conditions économiques défavorables, telles une augmentation rapide des taux d’intérêt.
Une révolution technologique en cours
Depuis quelques années, l’IA et le machine learning ont profondément transformé le marché obligataire. Ces technologies permettent d’automatiser des processus complexes, allant de l’exécution des transactions à l’analyse prédictive des mouvements de marché, en s’appuyant sur des quantités massives de données. En détectant des modèles récurrents et des signaux faibles dans les données, elles rendent le marché plus prévisible en anticipant les fluctuations de prix avec une grande précision. Cela aide les investisseurs à mieux anticiper les changements sur le marché et prendre des décisions plus éclairées.
Les algorithmes d’IA capturent rapidement les écarts de prix à court terme et ajustent les stratégies d’investissement en temps réel pour profiter des meilleures opportunités de trading, augmentant ainsi la prévisibilité et la stabilité du marché obligataire. Par exemple, pendant la crise de la COVID-19, des algorithmes ont pu repérer des anomalies dans la fixation des prix d’obligations d’entreprise, permettant une réactivité immédiate pour ajuster les portefeuilles. En outre, pour limiter l’impact des grandes transactions sur le marché, ces algorithmes répartissent les ordres importants en plusieurs petites opérations, ce qui minimise les perturbations du marché et réduit les risques de volatilité excessive. L’exemple récent de la volatilité accrue des marchés en 2021, due à l’inflation mondiale et aux hausses rapides des taux d’intérêt, a également montré comment les algorithmes pouvaient ajuster les portefeuilles pour atténuer les pertes.
Il est aussi important de noter que les modèles de machine learning s’améliorent au fil du temps en s’appuyant sur des données historiques et en affinant leurs prédictions. À mesure que les algorithmes apprennent et se développent, ils deviennent encore plus fiables pour prévoir les mouvements de prix et identifier les opportunités de marché.
Comment l’automatisation améliore-t-elle l’efficience des marchés ?
L’intégration de l’IA dans le trading des obligations améliore considérablement l’efficience opérationnelle des marchés financiers. Les algorithmes, capables de traiter des volumes massifs de données en temps réel, réduisent les opportunités d’arbitrage en repérant les anomalies dans la structure des prix relatifs. Par exemple, ils comparent les prix d’obligations similaires ou entre segments de marché pour détecter les écarts anormaux. Lorsqu’une obligation se trouve sous-évaluée ou surévaluée par rapport à ses pairs, l’algorithme ajuste rapidement les positions pour profiter de cette inefficacité de prix, rétablissant ainsi l’équilibre entre les prix du marché. Ce processus contribue à stabiliser les prix et à augmenter la liquidité du marché obligataire.
Même en période de forte volatilité, ces algorithmes facilitent l’achat et la vente d’obligations en ajustant automatiquement les positions en fonction des mouvements de prix. En détectant les modèles récurrents sur le marché, ils permettent une évaluation continue des titres et une réponse rapide aux variations des conditions de marché. Par exemple, en 2014, des algorithmes ont corrigé une distorsion dans les spreads de crédit, rétablissant rapidement les écarts de prix qui s’étaient formés à cause de tensions sur le marché. En répartissant les ordres importants en plusieurs petites transactions, les algorithmes minimisent l’impact de ces mouvements sur les prix du marché, réduisant ainsi la volatilité excessive. Cela garantit que le marché reste liquide, même en période d’incertitude, en ajustant les portefeuilles en temps réel.
Révolution dans la gestion des risques
L’un des principaux avantages de l’IA réside dans sa capacité à traiter des volumes massifs de données à temps réel et à anticiper les risques avant qu’ils ne deviennent visibles pour les analystes humains. Les algorithmes surveillent des indicateurs comme les spreads de liquidité (écart entre les prix d’achat et de vente d’une obligation), les CDS (credit default swaps, des instruments financiers utilisés comme assurance contre les défauts de paiement), et les fluctuations soudaines de la volatilité pour détecter des signaux de tensions sur le marché. Lorsque les algorithmes identifient une hausse excessive des prix dans des positions longues (prix trop élevés pour certaines obligations), ils ajustent automatiquement les portefeuilles en prenant des positions courtes (vente). Cette opération d’arbitrage permet de rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande, empêchant ainsi l’apparition de bulles spéculatives.
Par exemple, lors de la crise de la COVID-19, certains algorithmes ont détecté une augmentation des spreads de crédit et des volumes de transactions anormaux sur le marché obligataire d’entreprises, indiquant un risque accru. En réponse, les algorithmes ont ajusté les portefeuilles en réduisant l’exposition aux obligations les plus risquées et en augmentant la part des obligations d’État plus sûres, assurant ainsi la stabilité du portefeuille et minimisant les pertes potentielles. De plus, ces modèles sont continuellement optimisés pour mieux repérer les signaux de marché à l’avenir, offrant une protection accrue contre des crises futures.
Défis éthiques et économiques
Cependant, malgré ses avantages indéniables, l’automatisation comporte certains risques. Un des enjeux majeurs est celui des biais algorithmiques. Comme l’a souligné Cathy O’Neil dans son livre Weapons of Math Destruction (2016), les algorithmes, s’ils sont formés à partir de données biaisées, peuvent reproduire et amplifier ces biais. Ce qui peut entraîner des inégalités ou des décisions financières, telles que l’octroi des prêts ou l’évaluation de crédit.
Sur le plan socio-économique, l’automatisation menace de rendre certains emplois obsolètes, notamment dans le secteur financier où de nombreuses tâches sont progressivement prises en charge par des machines. Cela pose la question de la reconversion professionnelle des travailleurs affectés par cette transition vers l’automatisation, et de la nécessité de préparer la main-d’œuvre à de nouvelles compétences dans un monde ou l’IA domine les processus financiers. Certaines institutions travaillent déjà à la réduction de ces biais en introduisant des protocoles de transparence et des audits réguliers pour vérifier que les algorithmes fonctionnent de manière équitable.
Vers une régulation éthique de l’IA
Pour prévenir ces dérives, il est essentiel de mettre en place des régulations adaptées à l’usage de l’IA dans des secteurs critiques comme la finance. L’Union européenne travaille actuellement sur l’AI Act, une législation qui vise à encadrer l’utilisation des algorithmes dans divers domaines, y compris la finance. Cette régulation a pour objectif de garantir que les algorithmes soient transparents et que leurs décisions soient compréhensibles et vérifiables.
Des audits réguliers et des vérifications indépendantes seront essentiels pour garantir que les systèmes automatisés ne reproduisent pas des biais ou des discriminations, tout en protégeant les citoyens contre les décisions potentiellement injustes ou préjudiciables. Ce cadre permettrait ainsi de renforcer la confiance dans les algorithmes utilisés sur les marchés financiers tout en assurant une justice et une transparence dans les décisions prises.
Une révolution à surveiller
L’automatisation du marché obligataire par l’intelligence artificielle et le machine learning offre des perspectives prometteuses en termes d’efficacité, de gestion des risques et de fluidité des échanges. Cependant, comme l’ont montré les travaux de López de Prado et O’Neil, il est indispensable de rester vigilants face aux risques éthiques et socio-économiques qu’elle pourrait entraîner.
En définitive, l’avenir de l’IA dans les marchés obligataires dépendra de notre capacité à instaurer une régulation équilibrée et à garantir une utilisation éthique de ces innovations. Si bien encadrées, ces technologies permettront une automatisation au bénéfice de tous, en assurant une finance plus stable et plus éthique.
Bibliographie
Chaboud, A.P., Hjalmarsson, E., and Vega, C., 2014. Rise of the Machines: Algorithmic Trading in the Foreign Exchange Market. The Journal of Finance, 69(5), pp.2045-2084.
Hendershott, T. and Menkveld, A.J., 2011.Does Algorithmic Trading Improve Liquidity?. The Journal of Finance, 66(1), pp.1-33.
López de Prado, M., 2018. Advances in Financial Machine Learning. Hoboken, NJ: John Wiley & Sons.
O’Neil, C., 2016. Weapons of Math Destruction: How Big Data Increases Inequality and Threatens Democracy. New York: Crown Publishing Group.
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