Citation
Les auteurs
Michel Saby
(saby.michel@gmail.com) - Cabinet liberal mediation généralisteOlivier Mamavi
(omamavi@gmail.com) - Paris School of Business - ORCID : https://orcid.org/0000-0002-6421-1048
Copyright
Déclaration d'intérêts
Financements
Aperçu
Contenu
La transformation digitale a bouleversé notre société à une vitesse sans précédent, redéfinissant les interactions humaines à tous les niveaux. Internet, les réseaux sociaux, les plateformes numériques et l’intelligence artificielle se sont intégrés dans notre quotidien, facilitant la communication à l’échelle internationale. Toutefois, malgré ces avancées technologiques, un paradoxe persiste : la construction de relations de qualité semble devenir de plus en plus difficile. Cette difficulté est préoccupante, car la qualité des relations interpersonnelles est essentielle, que ce soit dans les sphères privées, professionnelles ou dans les collaborations entre entreprises (Venter, 2019 ; Bratina, 2023).
Cet article propose d’explorer ce paradoxe et de suggérer des pistes pour le surmonter. Nous défendons l’idée que la qualité de la communication et des relations humaines dépend moins des outils utilisés que de la posture adoptée préalablement par les individus. Pour cela, nous analyserons l’impact des nouvelles technologies sur la communication, et proposerons des stratégies concrètes, illustrées par des exemples réels, pour construire des relations durables et enrichissantes.
Les impacts des nouvelles technologies
Les nouvelles technologies ont révolutionné les modes de communication, offrant des opportunités de connexions mondiales. Désormais, il est possible de collaborer à distance, d’échanger des idées instantanément avec des partenaires situés à l’autre bout du monde, et d’accéder à des informations en temps réel. Ces avantages ont permis aux entreprises de s’étendre sur de nouveaux marchés, de renforcer leurs partenariats, de collaborer avec un grand nombre de personnes et de répondre plus rapidement aux besoins de leurs clients.
Cependant, ces avancées ne sont pas sans inconvénients. L’une des critiques majeures concerne l’appauvrissement des compétences interpersonnelles. L’usage excessif des technologies numériques tend à réduire l’écoute active, l’empathie et la capacité à interpréter le langage corporel. Par exemple, dans une entreprise technologique de la Silicon Valley, une étude interne a révélé que la majorité des employés préféraient échanger par messagerie instantanée plutôt que de se parler en face à face, ce qui a conduit à une augmentation des malentendus et des tensions internes. Ce phénomène, couplé à la superficialité et à l’immédiateté des échanges numériques, nuit à la profondeur des relations et à la réflexion collective.
En outre, les nouvelles technologies ont amplifié le phénomène d’infobésité, où la surcharge d’informations rend difficile la distinction entre l’essentiel et l’accessoire. Cette surabondance d’informations peut distraire les individus et nuire à la qualité des interactions, comme en témoigne un manager d’une grande entreprise de consulting qui a observé une baisse significative de la productivité lors des réunions en raison de la dispersion de l’attention causée par les notifications constantes.
Enfin, la déshumanisation des échanges, encouragée par l’anonymat des communications en ligne, peut favoriser des comportements inappropriés, tels que le harcèlement ou l’expression d’opinions extrêmes, comme en témoignent les récentes polémiques sur les réseaux sociaux où des propos haineux se sont multipliés sous couvert d’anonymat. Ainsi se pose la qualité des échanges.
La culture du lien
Quel est notre doute permanent, ce qui nous demande une attention de tous les instants que nous vivons avec les autres ? Une attention volontaire ou inconsciente ? Que va-t-il se passer face à un autre, notre conjoint, nos enfants, nos collègues, notre employeur ? La rencontre est « créative », aucune n’est semblable, non reproductible. Elle rendra heureux ou malheureux. Allons-nous alors nous poser la question du « pourquoi ces variations d’état ? » Allons-nous culpabiliser ? Penser que nous avons été maladroit voire indélicat ou, plus souvent : que l’autre n’est pas bien aujourd’hui, qu’il s’est peut-être levé du mauvais pied, qu’il a un souci, qu’il est mal luné. La réponse la plus juste ne serait-elle pas de penser que si un autre que nous l’avait rencontré c’eût été très différent. Nous pouvons alors en déduire que nous sommes « responsables ». Mais, responsables de quoi ? D’avoir réagi à l’instant T tel que nous étions alors et idem pour l’autre. A ce moment-là, nous étions face à nos vérités du moment et l’issue de la rencontre, incertaine, devenait la résultante de ce que chacun de nous apportait dans l’espace tiers que nous nommerons relation ou moins abstraitement lien.
La communication digitale se pose-t-elle la question du lien, de son existence, de sa qualité, de sa pérennité ? J’écris ou je parle par l’écran pour parler de moi et « entendre* » l’autre, pour échanger simplement ou pour satisfaire un besoin de faire émerger de la rencontre une idée neuve ou tout au moins qui fera lien en nous donnant envie de la pérenniser.
Comment faire exister l‘autre pour permettre une relation de qualité ? Par « l’écoute pure », car elle est la semence du lien.
La rencontre avec l’autre est une chance réciproque. Il est indispensable d’en prendre conscience. Avoir conscience que la terre arable qui nous relie est une nécessité.
Cette « écoute pure » est optimisée par le besoin de L’habitus. Se poser la question de savoir ce que l’autre reçoit de nous. Ne plus affirmer : « moi je suis comme ça et pas autrement ». Ne sommes-nous pas la dernière personne qu’il faut consulter pour nous définir ? Notre subjectivité étant, par définition, totale, s’interroger sur sa propre image est la première étape de notre démarche vers une qualité de la relation. Nous connaissons tous le langage du corps puisque nous le percevons sur les autres. Le regard, le sourire, la poignée de mains, entre autres, dégagent ou pas de la bienveillance telle que la définit Rifkin (2011) dans son livre sur la civilisation de l’empathie.
La parole vient ensuite et peut nous surprendre. Sommes-nous prêts à « l’écoute pure » définie par Fenner (2009)? Tout ce que nous dit l’autre est autant d’informations pour aller à sa rencontre. Lorsque nous prendrons la parole nous nous appuierons sur ce que nous venons d’entendre et serons capables de le reformuler avec les mots qui ont été énoncés. Quelle meilleure valorisation pour l’autre si au préalable un temps de silence a été observé ? Il permet de repenser à ce qui a été dit et que nous allons prolonger plutôt que de répondre spontanément et parler de soi. Notre réponse (de qualité), sera dans le choix de la question ouverte qui permettra à l’autre d’approfondir sa pensée et souvent de se l’expliquer à lui-même.
Aujourd’hui chacun fait la promotion de sa pensée plutôt que de s’enrichir de celle de l’autre. L’écoute, qui nous apporte un réel confort (car elle est non jugeante), va accoucher de la créativité.
Pourquoi ? Si nous prenons en compte tout ce que nous avons entendu, ce que nous répondrons sera amendé de la pensée de l’autre. Cela nous conduira, si cette attitude est partagée, à un échange productif et donc de qualité, innovant et souvent pérenne. Chacun étant « entré » dans la vérité de l’autre, nous trouvons une troisième vérité ce qui est l’objectif de la médiation des conflits.
Postures appropriées pour une relation de qualité
Pour relever ces défis, il est essentiel d’adopter des postures communicantes favorables. Ces postures, bien que simples en apparence, requièrent une discipline constante et un engagement personnel.
- Non-jugement : Cette posture implique de suspendre ses opinions personnelles et d’éviter de juger les actions ou les paroles des autres. Par exemple, lors de réunions, il est bénéfique d’encourager une écoute attentive sans interrompre les interventions des autres participants. Dans une entreprise française de services, l’adoption de cette posture a conduit à une réduction des conflits internes et à une meilleure compréhension mutuelle, favorisant ainsi la cohésion d’équipe.
- Non-sachant : Reconnaître que l’on ne détient pas toutes les réponses et être ouvert à l’apprentissage est essentiel. Un exemple concret se trouve dans une startup new-yorkaise où l’humilité a été institutionnalisée : chaque réunion débute par un tour de table où chacun partage ce qu’il a appris de ses collègues. Cette pratique a renforcé le respect mutuel et favorisé l’innovation, en valorisant la diversité des contributions.
- Non immédiateté : Dans un monde où tout va toujours plus vite, prendre le temps d’écouter et de comprendre est crucial. Une étude réalisée dans une entreprise de consulting a montré que les équipes qui prenaient du temps dans la résolution de problèmes collectifs parvenaient à des solutions plus créatives et durables. Par exemple, dans une situation de crise, un dirigeant a délibérément ralenti le processus décisionnel pour permettre à chaque membre de l’équipe de s’exprimer pleinement, ce qui a conduit à une solution collective plus robuste.
- Empathie : Selon Rifkin (2011), l’empathie va au-delà de la simple compréhension des émotions d’autrui. Il s’agit de ressentir la fragilité et la fugacité de l’existence de l’autre, et de le soutenir pour qu’il s’épanouisse. Dans un cabinet notarial, les dirigeants ont adopté cette perspective en prenant des décisions qui privilégient le bien-être des employés, ce qui a renforcé l’engagement et la satisfaction au travail.
- Ecoute : Le silence peut être un outil puissant dans la résolution de problèmes collectifs. Dans une entreprise japonaise, par exemple, les réunions commencent souvent par un moment de silence pour permettre à chacun de réfléchir avant de parler. Cette pratique favorise une écoute pure, où les participants ne cherchent pas à préparer leur réponse, mais à comprendre profondément les propos des autres. Ce silence permet également de prolonger la réflexion et d’encourager la créativité, conduisant souvent à des solutions auxquelles personne n’aurait pensé individuellement.
L’apport d’une intermédiation
Dans certaines situations, l’intervention d’un intermédiaire, qu’il s’agisse d’un outil ou d’un être humain, peut considérablement améliorer la qualité de la relation. Le médiateur, en tant que tiers neutre, facilite la communication et aide à surmonter les obstacles relationnels. Un exemple concret se trouve dans une grande institution publique où un médiateur a été nommé pour résoudre des conflits fréquents entre départements. Grâce à son intervention, les tensions ont diminué, et un climat de coopération s’est instauré.
En fait, la médiation se définit comme créatrice ou rénovatrice du lien. Elle demande une écoute pure, détachée de tout jugement, où chaque point de vue est pris en compte comme une vérité personnelle. Par exemple, lors d’un conflit entre deux départements dans une organisation à but non lucratif, le médiateur a encouragé les participants à exprimer leurs préoccupations sans crainte de jugement. Cela a permis de transformer le conflit en une opportunité de collaboration, débouchant sur une solution innovante bénéfique pour toute l’entreprise.
Les outils numériques peuvent également jouer un rôle d’intermédiaire dans la médiation. Par exemple, des plateformes en ligne permettent de structurer les échanges et de maintenir une qualité de dialogue élevée, même à distance. Dans une multinationale, l’adoption de forum en ligne a permis de résoudre des différends entre équipes situées dans différents pays, en facilitant une communication plus structurée et respectueuse.
En conclusion, bien que les nouvelles technologies aient révolutionné la communication, elles ont également introduit des défis significatifs pour la qualité des relations humaines. Cet article a exploré le paradoxe selon lequel, malgré des outils de communication toujours plus avancés, la construction de relations de qualité devient plus difficile. Pour surmonter ces défis, il est crucial d’adopter des postures communicantes telles que le non-jugement, l’humilité, la patience, l’empathie et l’écoute active. L’intégration de médiateurs, qu’ils soient humains ou technologiques, peut également jouer un rôle clé dans la résolution de conflits et l’amélioration des relations.
Les exemples concrets et les études de cas présentés montrent que ces approches sont non seulement théoriques, mais applicables et efficaces dans divers contextes organisationnels. En fin de compte, c’est par une utilisation réfléchie des technologies, combinée à des postures humaines appropriées, que nous pourrons construire des relations durables enrichissantes et toujours créatives, tant au niveau personnel que professionnel.
Bibliographie
- Bratina, T. (2023). Digital Devices and Interpersonal Communication Over Time. Journal of Elementary Education, 16(4), 425-439.
- Fenner, P. (2009). La communication non-duelle : l’écoute pure. 3è millénaire. N°92. p.16-19.
- Rifkin, J. (2011). Une nouvelle conscience pour un monde en crise: vers une civilisation de l’empathie. Éditions Les Liens qui libèrent.
- Venter, E. (2019). Challenges for meaningful interpersonal communication in a digital era. HTS: Theological Studies, 75(1), 1-6.
il ne peut pas avoir d'altmétriques.)