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Vers un nouveau modèle de Balanced Scorecard pour l’IT

  • Résumé
    Le Tableau prospectif et équilibré de Norton & Kaplan (Balanced Scorecard) a représenté une évolution majeure dans le champ des outils managériaux pour la gestion d’une entreprise. La question s’est alors rapidement posée de savoir si elle pouvait s’appliquer à sa Direction des Systèmes d’Information et sous quelles conditions. Depuis la fin des années 90, plusieurs déclinaisons à l’IT ont été avancées. Nous en mentionnerons les principales, verrons les différentes approches puis formulerons quelques observations nous conduisant à notre propre agencement des perspectives originales ‘entreprise’ pour une structure informatique. Cet article provient d’une étude plus large concernant  un dispositif complet d’IT BSC, décrit dans ses différentes composantes.
    Citation : Aceti, M. (Avr 2024). Vers un nouveau modèle de Balanced Scorecard pour l’IT. Management et Datascience, Article 0027859. https://management-datascience.org/articles/27859/.
    L'auteur : 
    • Marc Aceti
       (marc.aceti@laposte.net) - Université de Technologie de Compiègne
    Copyright : © 2024 l'auteur. Publication sous licence Creative Commons CC BY-ND.
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    Financement : 
    Texte complet

    Terminologie.

    Dans cet article, nous utiliserons indifféremment les termes :
    –  de ‘structure IT’ ou ‘DSI’ pour désigner la direction informatique interne à l’entreprise.
    –  de ‘perspectives’ ou d’’axes’
    –  de Balanced Scorecard ou de Tableau de Bord Prospectif

    Le Balanced Scorecard de Norton & Kaplan

    Robert S. Kaplan, professeur à l’Harvard Business School et co-concepteur de l’Activity Based Costing s’interroge à la fin des années 80 sur le bien-fondé d’un suivi de la performance de l’entreprise qui ne se ferait que sur la base des résultats financiers.

    En collaboration avec David Norton, qui est alors le PDG de Nolan Norton Institute (Unité de Recherche de KPMG), ils rédigent en 1992 plusieurs articles, en particulier dans l’Harvard Business Review, sur leur nouvel outil managérial, le Balanced Scorecard.

    Basé sur un système d’indicateurs organisés,  il  est conçu pour, en résumé :

    • mesurer l'activité d'une entreprise ou d’une organisation et s’assurer que leurs actions sont conformes aux objectifs fixés sur le long terme.
    • en dépassant la logique purement financière (ci-dessous en tête de liste),  permettre de gérer la performance globale en s'appuyant sur 3 autres perspectives, avec un classement dans une logique de finalité et de liens de causalité : Financière, Client, Processus internes, Apprentissage & développement.

    Les auteurs précisant qu'aucun théorème mathématique n'affirme que ces axes sont à la fois nécessaires et suffisants ; mais qu'ils ne connaissent pas une seule entreprise qui en utilise moins de 4 (*).

    Ils le présentent, dans sa version la plus aboutie, comme  la ‘Pierre angulaire des systèmes de management de l’Entreprise à l’ère informationnelle’. (*)

    On notera que le Balanced Scorecard est aujourd’hui intégré dans les ERP Oracle, SAP et le référentiel Cobit.

    (*) : in 'Le Tableau de Bord Prospectif', N&K, cf bibliographie

    Déclinaisons à l’IT du 'jeu' de perspectives BSC 

    On s’est aperçu rapidement que celui du modèle originel, conçu pour l’entreprise, ne s’appliquait pas si naturellement à l’IT.

    Plusieurs pistes de travail ont été explorées :

    1. élaborer un ‘jeu’ spécifique à l’IT
    2. voir en quoi l’IT peut contribuer à celles du ‘business’
    3. un mode ‘hybride’ consistant à maintenir la 1ère perspective ‘business’ (financière) et, au dessous, des perspectives IT
    4. Tenter de faire évoluer le BSC pour qu’il convienne également à l’IT

    Organisations et experts du domaine ont proposé leurs propres aménagements donnant lieu à autant de variantes.

    Pour n’en citer que quelques uns :

    • 1997 Van Grembergen, Van Bruggen
      Réf. : Measuring and Improving Corporate Information Technology through the Balanced Scorecard Technique, in Actes de la Conférence européenne sur l’évaluation des technologies de l’information, Delft, Pays-Bas.
    • 2002 Association Française de l’Audit et du Conseil Informatiques (AFAI)
      Réf. : IT Scorecard et Stratégie d'entreprise. AFAI. Juin 2002.
    • 2005 P. Jaulent au Symposium Cigref
      Ref. : Cigref, Symposium 2005, Patrick Jaulent, Piloter la performance IT Scorecard et Stratégie d'entreprise.
    • 2011 AFAI
      Ref. : voir bibliographie.
    • 2011 C. Legrenzi & P. Rosé
      Ref. : voir bibliographie.
    • 2012 ISACA
      Ref. : Référentiel de gouvernance IT Cobit V5
    • 2019 ISACA
      Ref. : Référentiel de gouvernance IT Cobit 2019

    Ces déclinaisons ont adapté les axes du modèle ‘business’ aux T.I. en modifiant soit  :

    • leur libellé, périmètre. Ex. : Van Grembergen & Van Bruggen proposent ‘Orientation future’ à la place d’’Apprentissage et Développement’
    • leur ordre et les relations de causalité entre elles. Ex. : l’AFAI, dans ses 2 versions de 2002 et 2011, place sur un même plan la ‘Maîtrise économique du S.I’ et les ‘Attentes Client du S.I.’
    • des ajouts. Ex. : AFAI, 2011. Ajout d’un axe ‘Risques’
    • de nouvelles ‘dimensions’. Ex. : AFAI, 2011. Pour les 4 axes dits d’’Excellence Opérationnelle’ : dimension ‘Transformation’ + dimension ‘Opérations’

    Au préalable d’un tel chantier, la réponse à la question suivante est structurante : la DSI doit-elle mettre en place des indicateurs sur la bonne atteinte des objectifs que s’est fixée son entreprise ?

    • Dans le 1er exemple : l’IT contrôle son bon alignement à la stratégie de l’entreprise ; doit-elle également mesurer dans quelles proportions elle participe à la bonne mise en œuvre de cette stratégie et à ses résultats?
    • Dans le 2ème exemple : l’IT contrôle la bonne contribution qu’elle apporte aux Directions Métiers ; doit-elle également mesurer dans quelles proportions cette contribution participe aux résultats financiers de l’entreprise ?

    Cela peut être intéressant dans l’absolu mais se heurte souvent dans la réalité :

    • d’une part à des difficultés d’appréciation de la mesure (Exemple dans Cobit 5 d’indicateur : ‘% des investissements dont la valeur obtenue répond aux attentes des parties prenantes’)
    • d’autre part à mesurer quelque chose dont nombre de leviers d’action peut être hors périmètre de la DSI (ex : refonte des processus métiers à l’occasion d’un projet d’intégration d’un ERP)

    Si la direction Commerciale demande l’implémentation de services CRM pour accroître son activité de marketing direct, il est normal que la DSI soit appréciée à la hauteur du respect des engagements pris vis-à-vis des Métiers et de la DG en termes de coûts, de délais, de respect des fonctionnalités prévues etc… mais doit-elle répondre également de la non–atteinte du CA attendu par le marketing si elle n’a pas été consultée en phase d’opportunité du projet ‘Métier’ ?

    A l’instar des modèles de Van Grembergen, de l’AFAI… nous sommes quant à nous favorables à la variante 1 plus haut :  un modèle d’IT BSC avec un jeu de perspectives spécifiques, idéalement associé d’un BSC établi au niveau de l’entreprise bâti sur le modèle originel.

    Observations sur ces modèles et propositions d'évolutions

    Nous allons à présent avancer six observations majeures concernant ces représentations, qui nous amèneront à élaborer un nouvel ensemble de perspectives, exposé au point 4.

    De ‘Clients’ à ‘Parties prenantes’

    Nous estimons qu’une DSI, en se focalisant exclusivement sur ses ‘clients’, court le risque important de négliger certains aspects de sa stratégie.

    Nous commencerons donc par étendre cette notion, à celle, plus globale, de ‘parties prenantes’, nous conduisant ainsi à la prise en compte de l’ensemble des acteurs avec lesquels la DSI entretient, ou est susceptible d’entretenir, des relations.

    Le Modèle du Prisme de la Performance (Neely, 2002), qui a pour même objectif d’évaluer et d’améliorer la performance d’une organisation, a également procédé à cette extension.

    Ainsi, d’une manière générale, nous reconnaîtrons toute ‘entité’ dont l’identification serait pertinente dans le contexte de la recherche des intérêts et des contraintes mutuels.

    On établira alors une véritable cartographie où l’on fera apparaître, avec la DSI en son centre, les canaux de communication, les attentes des uns envers les autres,  les engagements réciproques, les besoins spécifiques …

    On définira ensuite les indicateurs appropriés pour mesurer :

    • avec la DG : le bon alignement stratégique de la DSI
    • avec les Directions Métier : la pleine contribution à leurs objectifs ‘business’
    • avec les Collaborateurs Métier : la réponse à leurs attentes, le respect des engagements réciproques
    • avec les Fournisseurs : la gestion des intérêts partagés, les éléments de contractualisation
    • avec les Collaborateurs IT internes : leur compétences, motivation, niveaux d’expérience…

    Pour ce dernier point, dans la perspective ‘apprentissage organisationnel’ nous aurons pris déjà en compte cet aspect mais principalement sous l’angle des ‘ressources’. Le placer également dans la perspective ‘Parties Prenantes’ c’est rappeler son importance dans l’organisation en dépassant son simple rôle de ‘moyen’. Le navigateur Skandia avait pris en compte ce point en situant l’humain en son centre.

    Quelle perspective ‘première’ pour la DSI?

    Générer du profit est, dans notre système économique, la finalité d’une  entreprise.

    Plus exactement, un équilibre entre la recherche de profits et la prise en compte des intérêts de toutes les parties prenantes.

    • L’entreprise contribue au développement de ses clients (s/ensemble des parties prenantes) en leur fournissant produits & services
    • Réciproquement, les clients rémunèrent cette contribution

    Rappelons que la relation cause-effet participe à la structure de l’empilement des perspectives : c’est pour cette raison que l’axe financier a été positionné par ses auteurs au sommet de la pile. C’est la satisfaction des clients (cause) qui conduit l’entreprise à générer du profit (l’effet).

    Le problème est que la recherche de profits, contrairement à l’entreprise, n’est pas une finalité pour une DSI.

    Même sa ‘maîtrise économique’, pour autant essentielle, n’est pas sa raison d’être : une DSI n’assure pas son existence par  sa simple maîtrise du budget. L’entreprise n’appréciera en effet cette ‘maîtrise’ que si la contribution réelle et attendue de l’IT est bien présente.

    On pourra donc la placer, par exemple, en fonction de la priorité que lui accorde l’organisme au niveau du :

    • respect de l’engagement vis-à-vis de la ‘partie prenante’ DG ou Contrôleur de Gestion (perspective 2)
    • ou du bon fonctionnement des processus de maîtrise économique (perspective 4)

    A sa place, des déclinaisons ont proposé  sa ‘Contribution au business’ (ou sa ‘Création de valeur’)

    Cette perspective est à retenir mais doit se situer sous celle des ‘Parties Prenantes’. Car, à partir du moment où, par la livraison de produits & services, la DSI répond aux attentes du s/ensemble de parties prenantes représentant les intérêts de l’entreprise (Directions & collaborateurs métiers, DG, actionnaires…), elle contribue au business de l’entreprise et crée de la valeur à son attention.

    On se retrouve donc avec la perspective ‘Parties Prenantes’ au sommet.

    Or, dans le modèle original de Norton & Kaplan, on distingue 2 dimensions de la ‘finalité’ d’une entreprise : a. son ‘accomplissement’, via ses résultats financiers et b. ses contributions à sa clientèle. Ici, seul le b. subsisterait. Par analogie, comme si l’on réduisait la finalité d’une entreprise à sa seule contribution au système économique.

    Restons donc sur le modèle original ; substituons la notion de profit à celle de capital et nous obtenons là ce qui peut représenter la finalité de notre DSI :  optimiser son capital (valeur comptable +  capital ‘immatériel’)

     On y trouvera les différents items constitutifs de ces deux catégories de capital : budget accordé (ou revenu si facturation), valeur de son infrastructure, de son catalogue produits & services… mais aussi savoir-faire, organisation, relations de confiance avec sa DG et les Directions Métier, réputation, qualité de ses fournisseurs…

    La motivation et l’efficacité des équipes IT sera d’autant plus forte que, combinée à la satisfaction de bien contribuer, elle oeuvreront dans le but d’optimiser leur propre capital ; et plus ce dernier sera important, plus les parties prenantes feront de la DSI un partenaire de choix. Dans le cas d'un grand groupe, cette dernière pouvant alors viser à étendre, soit son périmètre d'activités avec ses clients actuels, soit son portefeuille de clients par captation d'autres clients internes au groupe.

    Ce faisant, on introduit une part de ‘main invisible’  (Adam Smith, socio-économie) où l'ensemble des actions de la DSI, guidée par son intérêt ‘personnel’, contribue à la richesse et au bien commun de l’entreprise.

    Perspective ‘Création de valeur’

    Y sera mesurée la valeur créée par les produits & services délivrés par la DSI et censés contribuer à l’atteinte des objectifs des ‘Parties Prenantes’, perspective située en amont.

    Elle représente la contribution de la DSI aux activités de ses clients, que le besoin ait été exprimé (solutions) ou pas (initiatives/innovation). Contribution qui ne sera pleinement atteinte que si les engagements sont respectés par les 2 parties.

    La valeur négative d’un indicateur correspondra à une destruction de valeur (incidents d’exploitation, contrat de service non respecté…)

    Restaurer ‘l’empilement’ du modèle originel (gommé dans certaines représentations)

    La ‘Réponse aux attentes des clients ‘ et la ‘Performance des processus IT’, par exemple, n’ont pas, de notre point de vue, à figurer sur le même plan : on y perd les liens de causalité voulus par Norton & Kaplan.

    Dans une nouvelle perspective dédiée, on identifiera & intégrera les apports/contraintes de l’environnement externe, du marché

    • Aspects réglementaires, législatifs
    • Normes , référentiels de bonnes pratiques
    • Innovations technologiques
    • Evolution des métiers IT…

    Ils sont pris en compte dans les autres modèles dans la perspective ‘Apprentissage Organisationnel’ : nous leur dédions une perspective entière pour bien matérialiser l’importance d’une veille constante du marché. Autre raison : ce sont des éléments externes à l'entreprise.

    Une nouvelle perspective transversale

    Afin de prendre en compte la force fédératrice de la vision du DSI pour sa structure et promouvoir les initiatives visant à améliorer chacun des niveaux ou la structure de l’ensemble, pour s’adapter et évoluer, que ce soit via des chantiers de transformation ou par l’amélioration continue.

    « Il n’est pas nécessaire de changer. La survie n’est pas obligatoire » WE Deming.

    Nouveau jeu de perspectives pour l’IT BSC

    Remarque concernant la Gestion des Risques :

    Chaque ‘notion’ donnant lieu à un indicateur  comporte la dimension ‘Risque’ et peut être représenté par un accroissement de l’intervalle, tout en étant documenté (par ex. budget prévisionnel  compris dans un intervalle -20 à + 20% car le Chef de Projet n’est pas encore connu).

    Le réferentiel de bonnes pratiques ou de normes relatives aux ‘Risques’ (COSO II,  Cobit et Risk IT, ISO 2700X) est intégré dans la perspective en ligne 4, Processus Internes IT.

    Conclusion

    Norton & Kaplan, dans leur ouvrage ‘Le Tableau de Bord Prospectif’ dressent une liste détaillée des bénéfices à attendre de la mise en oeuvre du BSC.

    Cela reste vrai pour son application à l’IT avec les aménagements que nous proposons, à la condition bien entendu de veiller à concevoir, mettre en oeuvre et exécuter un dispositif complet, dont la présente étude, comme nous l’avons dit, ne décrit qu’une partie.

    Pour le modèle présenté, insistons sur les avantages suivants :

    • simplicité et pragmatisme
    • forte indépendance vis-à-vis des avancées technologiques (cloud…), méthodologiques (agile…) ou organisationnelles (sourcing…).
    • de par sa structure, guide d’assistance à l’élaboration puis au suivi de la stratégie. Retenir les items concernés, y affecter des coefficients (poids) et des objectifs de mesure aux indicateurs de chaque perspective fournit le premier draft d’une possible stratégie
    • peut suggérer des évolutions dans l’organisation des activités et des rôles IT (marketing DSI, gestion des demandes, cellule de veille technologique, Amoa)
    • des tableaux de bord dédiés à des activités plus spécifiques ou plus opérationnelles pourront lui être rattachés, donnant ainsi la possibilité de ‘zoomer’ à partir d’un point d’entrée unique qui servira de fil directeur au déroulement d’un Comité de Pilotage.

     

     

     

    Bibliographie

    AFAI – Ouvrage collectif. Le Pilotage du S.I. par l’entreprise – Les Nouveaux TdB de l’IT Scorecard. Afai,  2011.
    AUTISSIER David, DELAYE Valérie. Mesurer la performance du S.I. Eyrolles, 2008
    BALANTZIAN Gérard – Ouvrage collectif. Tableaux de Bord. E.O., 2005                  
    FUSTEC Alan, GHENASSIA Bruno. Votre Informatique est-elle rentable? E.O., 2004
    GIBON Marie-Noëlle, BRONGNIART Olivier, FALLY Muriel, TREYER Joachim. Améliorer le pilotage du S.I. Dunod, 2010.
    IRIBARNE Patrick. Les Tableaux de Bord de la Performance. Dunod, 2006.
    JAULENT Patrick, QUARèS Marie-Agnès, GRENIER Jacques. Objectif Performance. Afnor Editions, 2011.
    KAPLAN Robert, NORTON David. Le Tableau de Bord Prospectif. E.O., 1998.
    LEGRENZI Christophe, ROSé Philippe. Les Tableaux de Bord de la DSI. Dunod, 2011.
    MELESE Jacques. L’analyse modulaire des Systèmes. E.O. Université, 1991.
     

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