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IA et souveraineté des données agricoles en Afrique

  • Résumé
    Cet article vise à sensibiliser les agriculteurs africains à l'importance de protéger la souveraineté de leurs données. Il se base sur deux études de cas effectués au Cameroun, enrichies par des entretiens. Utilisant une méthode d'analyse qualitative, l'article examine en détail le contenu de ces études. Les conclusions mettent en lumière la nécessité d'une transparence accrue dans les interactions entre les agriculteurs et les entreprises spécialisées dans les technologies de données. Elles ont également suggéré que les agriculteurs prennent en main collectivement la gestion des technologies et des infrastructures, et explorent l'utilisation de la blockchain, entre autres solutions.
    Citation : ., A NGON, A., KADJI NGASSAM, M., & . (Oct 2023). IA et souveraineté des données agricoles en Afrique. Management et Datascience, 7(4). https://doi.org/10.36863/mds.a.25431.
    Les auteurs : 
    • Babei Jean
       (jbbabei99@gmail.com) - (Pas d'affiliation)
    • AMANG A NGON
       (amangmax@yahoo.fr) - ESSEC, Université de Douala
    • Martial Kadji Ngassam
       (knmartial@yahoo.fr) - Essec, Université de Douala
    • Ralph MBAGNIA
       (rmbagnia@gmail.com) - (Pas d'affiliation)
    Copyright : © 2023 les auteurs. Publication sous licence Creative Commons CC BY-ND.
    Liens d'intérêts : 
    Financement : 
    Texte complet

    Cette contribution est une synthèse légèrement actualisée et reformatée de la communication qui fut sélectionnée pour être présentée en session publique lors de la French session de la conférence ICTO2023 qui a eu lieu à Paris à la Sorbonne les 4, 5 et 6 juillet 2023 et qui donne lieu à la présentation d’une dizaine de communications rédigées et présentées en français réparties sur deux sessions de deux heures.

    L’annonce a fait l’effet d’une bombe dans les milieux des technosciences, et elle est reprise en boucle dans les médias à travers le monde, le 02 mai 2023: Geoffrey Hinton, l’un des pères fondateurs de l’Intelligence artificielle(IA) vient de démissionner, la veille de son poste au sein de l’entreprise Google. Le père de ChatGPT s’inquiète des dangers de l’IA qu’il a contribué à créer. Et de la vitesse vertigineuse de cette avancée technologique au point d’en arriver à regretter l’œuvre de sa vie. Il n’est pas seul à tirer la sonnette d’alarme. En effet, on apprend dans la foulée qu’un millier de cadors des technologies numériques dont Steeve Vozniak et Elon Musk ont signé une lettre appelant à un moratoire sur le développement de l’IA, pour une période de six mois. En Italie, l’intelligence artificielle s’est vue bloquer par les autorités de ce pays en mars 2023. Stuart et Norvig (1995), définissent l’IA comme un domaine de la science qui se concentre sur la création d’agents intelligents, c’est à dire des dispositifs qui perçoivent leur environnement et prennent des décisions adéquates pour atteindre des objectifs spécifiques. Les machines créées ont la capacité de simuler la réflexion humaine et résoudre des problèmes complexes. Les outils informatiques sont de plus en plus prégnants, dans la vie humaine. L’IA est à la base des technologies de l’information(TI). En particulier les pratiques d’IA dans le secteur agricole recouvrent essentiellement la détermination des périodes propices à l’ensemencement; les prédictions climatiques; les analyses des sols; l’ensemensement par des tracteurs équipés d’ordinateurs; des prescriptions phytothérapeutiques (aussi via l’imagerie électronique); des systèmes d’alerte en temps réel avec notification sur le téléphone; la collecte et la sauvegarde des données sur les espèces par des smartphones ou les achats et recherches en ligne. Les données collectées dans des activités agricoles par les outils informatiques sont stockées dans des serveurs externes aux agriculteurs. Elles peuvent ainsi être utilisées contre ceux-ci. Une prise de conscience est donc nécessaire, relativement à la protection de la souveraineté des données. Aussi la question de savoir « comment la pratique de l’intelligence artificielle dans les activités agricoles en Afrique peut-elle se faire, en garantissant la souveraineté des données? » est dès lors d’actualité.

    Revue de littérature

    Vers la souveraineté des données agricoles en Afrique

    L’IA c’est la science qui vise à faire effectuer des tâches par les machines imitant l’intelligence et les comportements humains et animaux (Giraud et al., 2021).  C’est Marvin Minsky et John McCarthy qui vont créer le concept d’IA en 1956 dans leur travail séminal à l’occasion d’une conférence confidentielle à l’Université de Dartmouth dans l’Etat du New Hampshire aux Etats-Unis (Georges, 2019). L’IA  s’insinue partout (Thomasset, 2020).  On peut définir la souveraineté des données comme étant le moyen pour des individus, des organisations ou des pays de conserver, dans une certaine mesure, l’indépendance et le contrôle de leurs données (Couture et Toupin, 2019).

    La plupart des petits agriculteurs des pays en développement sont autodidactes, ne disposent pas des connaissances appropriées en matière de gestion des maladies et des parasites de cultures. C’est pour venir en aide à ces agriculteurs que des applications disponibles sur Android sont conçues (exemple, Agrix tech). Pour avoir des recommandations concernant une plante malade, l’agriculteur la scanne via l’application. Celle-ci enregistre une vidéo qui est automatiquement analysée avec les techniques d’IA. Quelques instants plus tard, l’agriculteur reçoit des indications pour le traitement de la plante malade. Une technologie de reconnaissance vocale et textuelle est même intégrée à la solution. D’autres solutions permettent des prévisions météorologiques propices à l’ensemencement; les choix des engrais, etc.

    Au sujet des technologies embarquées, la semence et le labourage par des tracteurs équipés de dispositifs de géolocalisation et capables de poursuivre l’ensemencement une fois que le premier tour est achevé après introduction dans l’ordinateur de bord de données sur les dimensions de la parcelle à cultiver. Des drones et des satellites sont utilisés pour visualiser les actes réalisés par les agriculteurs.

    Les différentes données agricoles sont conservées dans des serveurs externes et risquent d’être exploités par des concurrents ou des partenaires mais aux dépens des agriculteurs, en fait contre ces derniers. Il convient de faire attention à la gestion de ces données, d’où l’idée de protection de la souveraineté des données ou celle de la cyber colonisation. Parmi les données agricoles collectées au travers des smartphones par exemples, on peut citer : le volume des pesticides utilisés, le volume de la récolte, le type de la récolte, le volume des semences, la superficie de la parcelle cultivée, le personnel en qualité et en quantité, l’équipement d’accompagnement (tracteurs, drones….), les données de météo, etc.

     Lors de l’achat d’un matériel informatique doté d’une capacité de stockage, les serveurs du fabricant ont la capacité de récupérer les données du client utilisateur. Il est donc important de savoir: où vont ces données? qu’est-ce qu’on en fait? Pour répondre à ces préoccupations, plusieurs initiatives ont été entreprises en occident :  c’est le cas de la construction d’une charte des données en France proposée par la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA). Cette charte est un contrat formel (estampié par le logo DATA AGRI de la FNSEA) entre les agriculteurs représentés par la FNSEA et le fournisseur de matériel électronique. C’est également le cas de la création d’un espace souverain de contrôle des données à l’instar de celui portée par le commissaire européen Thierry Bretton, nommée DATA  ACT.

    Les technologies comme l’orientation Web 3.0, la blockchain peuvent prendre en compte la souveraineté des données. Au démeurant les gouvernements africains pourraient protéger leurs États et citoyens par de nouvelles lois et cadres règlementaires appropriés. A l’instar du Règlement Général sur la Protection des Données(RGPD) de l’Union européenne.

    Résultats et discussion

    IA et collecte des données agricoles au Cameroun

    Dans le cadre de la collecte des données, des enjeux de souveraineté se trouvent principalement au niveau de l’origine des outils utilisés et leurs accessibilités, pour en comprendre le fonctionnement. L’un de nos interviewés à ce propos affirme: «la difficulté pour nous, et d’ailleurs nous n’avons pas le choix, c’est le fait que le matériel et la technologie IA que nous utilisons sont d’origine étrangère. Nous n’avons pas suffisamment d’informations sur le fonctionnement des algorithmes et des données collectées. De plus les logiciels étant sous licence commerciale, ils ne sont donc pas accessibles». Une fois les données collectées via les technologies d’IA, d’autres questions se posent sur le lieu de stockage.

    Ces données sont stockées sur des serveurs sécurisés, généralement situés dans des centres de données. Sur le plan technique et de la gouvernance, les agricultures camerounais et même les prestataires locaux en charge du déploiement n’ont pas un accès réel et une participation à la décision sur le lieu de stockage des données.  L’un de nos répondants insiste sur cet aspect qui pour lui est important relativement à la souveraineté des données: «on ne sait pas où sont stockées nos données, ni le niveau de sécurité ou de pérennité. Tout est flou. Nous avons besoin de plus de traçabilité et de plus de transparence. Dans tous les cas au Cameroun nous n’avons pas de data center». Une réponse à cette épineuse question de protection de la souveraineté des données collectées dans le cadre de l’usage de l’IA par les agriculteurs camerounais est l’usage des technologies blockchain qui offrent l’avantage d’apporter un haut niveau de traçabilité et de transparence.

    Maîtriser la destination des données d’agriculteurs en IA 

    La démarche de l’IA relève de la théorie du lean management promue par James P. Womack en 1965. Dans le lean management, le but est d’éliminer le gaspillage, de faire des économies. Les données sont utilisées pour améliorer les prévisions météorologiques et les modèles agricoles, ce qui aident les agriculteurs à prendre des décisions plus éclairées (Harfouche et al., 2022). L’opacité qui existe au niveau de la gouvernance, de la collecte et du stockage des données; associée à l’absence de cadre juridique, renforce les inquiétudes sur les risques d’usages abusifs des données collectés et stockées dans les pays étrangers. Un de nos répondant met en avant cet aspect de la souveraineté dans l’extrait de verbatim suivant: «l’économie est actuellement mondialisée. Nous sommes en concurrence et avons comme débouchés les acteurs des pays qui contrôlent la technologie que nous utilisons. On se demande qui a réellement accès à nos données? Il faut reprendre le contrôle sur la technologie».

    Nous voyons donc que, il y a des risques en termes de souveraineté car les données sont stockées sur des serveurs appartenant à des entreprises étrangères. Nous recommandons aux agriculteurs et à l’Etat camerounais, la mise en place de dispositifs de protection de la souveraineté. Il est urgent de sortir de la naïveté technologique, et être conscient que les données peuvent être utilisées à des fins qui ne sont pas conformes aux intérêts des agriculteurs. Cet extrait de verbatim vient renforcer l’idée de la mise en place d’une base de collaboration entre agriculteurs et entreprises de technologies: «Nous les agriculteurs souhaitons être informés de la manière dont nos données sont utilisées et pouvoir consentir ou non à leur utilisation. Il faut des règles claires en ce qui concerne l’exploitation de nos données; nous voulons toujours avoir notre mot à dire sur le cycle de vie de nos données».

    Les agriculteurs sont bien conscients des risques liés au non contrôle de leurs données alors qu’une asymétrie d’information règne dans l’étendue du secteur agricole. Ces données peuvent par ailleurs être vendues à des concurents, et ainsi nourrir des stratégies d’affrontement. L'IA constitue également une opportunité majeure d’analyse de données informatiques dans la phénomique numérique des plantes avec un impact sur la science végétale (Harfouche et al., 2022). Elle promeut des liens nouveaux et créatifs entre la science des données, la science des plantes et les systèmes d'information.

    La souveraineté des données soulève des questions relatives à la gouvernance des systèmes d’information. Sa protection peut se fonder, aussi en Afrique sur des mécanismes contractuels et de transparence en particulier chez les agriculteurs. Et ainsi faire obstruction à la cyber-colonisation.

    Bibliographie

    Couture, S. et Toupin, S.  (2019). What does the notion of “sovereignty” mean when referring to the digital? New media & society, vol.10, n°21, pp.2305-2322.

    Georges, B. (2019), «Intelligence artificielle: de quoi parle-t-on?», Constructif, n°54, pp.5-

    10.

    Harfouche, AL, Nakhle, N., Harfouche AH, Sardella OG, Dart E. et Jackson D. (2022),”A primer  on artificial intelligence in plant digital phenomics: embarking on the data to insights journey, Trends in plant science, vol. 28, n°2, pp.154-184.

    Giraud, L., Hernadez, S., Autissier D., McGonigal, A. (2021), «L’évolution des compétences managériales face à l’essor de l’Intelligence artificielle: une approche par les méthodes mixtes», Management & Avenir, vol. 2, n°122, pp. 143-169.

    Stuart, R. et Norvig, P. (1995). “Artificial Intelligence: A modern Approach”, Prentice Hall.

    Thomasset, A. (2020), «Quelle éthique pour l’intelligence artificielle: le rapport de Cédric

    Villani», Revue d’Ethique et de Déontologie Morale, vol. 3, n°307, pp.7-9.

     

     

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