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S’affranchir du paradoxe de productivité de l’Intelligence Artificielle

  • Résumé
    Malgré les promesses, le "paradoxe de la productivité de l'IA" est apparu, selon lequel l'adoption de l'IA ne conduit pas nécessairement à des gains de performance importants dans les entreprises. Se focalisant sur un échantillon d’entreprises multinationales qui ont investi dans l’IA,  nous montrons que les frictions liées à la qualité et aux compléments de l'IA, peuvent en effet rapidement limiter l'avantage concurrentiel de l’IA. Mais l’inverse est aussi vrai, avec une portion d’entreprises traditionnelles, dans tous les secteurs, qui sont déjà capables de limiter les goulots d'étranglement organisationnels, et exploiter l’IA de manière innovatrice et concurrentielle, menant à des gains matériels de productivité, de l’ordre de 10% par an.
    Citation : Bughin, J. (Mar 2023). S’affranchir du paradoxe de productivité de l’Intelligence Artificielle. Management et Datascience, 7(2). https://doi.org/10.36863/mds.a.23330.
    L'auteur : 
    • Jacques Bughin
       (jacquesbughin@machaonadvisory.com) - PE/VC senior advisor FortinoCapital and Antler, retired as seniro partner McKinsey, Board Mmeber, seniro advsior Accenture Researcxh and Portulans institute  - ORCID : https://orcid.org/0000-0002-1973-3656
    Copyright : © 2023 l'auteur. Publication sous licence Creative Commons CC BY-ND.
    Liens d'intérêts : 
    Financement : 
    Texte complet

    L’IA est un ensemble de technologies prometteuses qui, à partir de données sont de plus en plus capables d’identifier, reproduire et étendre les processus cognitifs humains (Mikalef et Gupta, 2021). Leur potentiel est suffisamment important pour que certains aient commencé à craindre l’IA, – par exemple parce qu’elle pourrait remplacer la majeure partie du travail humain (Acemoglu et Restrepo, 2018)– ; tandis que d’autres espèrent que l’IA pourra être la source de percées majeures, comme pour construire l’avenir de la médecine (Rajpurkar, et al. 2022).

    En tant qu’entreprises numériques de premier plan, les FAANG ont été les premiers à tirer parti de l’IA. Google a investi des milliards dans l’IA et utilise largement cette technologie pour soutenir ses services; aujourd’hui, toutefois, Google est aussi attaqué par des services d’ IA comme chatGPT. Netflix a également construit un modèle d’exploitation centré sur l’IA, qu’il s’agisse de soutenir la production des nouvelles séries les plus populaires, d’outils pour stimuler la consommation de vidéos de ses abonnés ou de prédictions par apprentissage automatique des besoins en bande passante pour optimiser l’expérience de streaming des utilisateurs (Bughin et al, 2022).

    En ce qui concerne les entreprises traditionnelles, Nissan, dans le secteur automobile, a récemment rapporté qu’il a réduit les temps d’arrêt de 50 % grâce à sa plateforme de maintenance prédictive par IA, tandis que BMW utilise un outil de reconnaissance d’image pour faciliter l’identification de centaines de milliers de pièces automobiles et assembler une nouvelle voiture en moins d’une minute.

    Pourtant, au-delà de tous ces cas d’utilisation de l’IA, des doutes sont apparus quant à la possibilité que le succès au niveau des cas d’utilisation puisse s’étendre de manière significative au niveau organisationnel. Des cabinets de conseil tels que PWC ont conclu que le principal problème de l’IA est le manque de retour sur investissement. Une autre enquête menée auprès de cadres par le Boston Consulting Group et le MIT constate que sept projets d’IA sur dix ont généré peu d’impact.  Des économistes tels que Brynjolfsson et al. (2018) ont inventé le terme de « paradoxe de la productivité de l’IA », se référant à l’absence de productivité majeure en dépit d’investissements importants dans l’IA.

    Notre étude a porté sur les grandes entreprises, essentiellement multinationales, pour mieux comprendre les raisons derrière le (non-) gisement de productivité lié à l’investissement dans l’IA. Nous avons découvert que les frictions organisationnelles sont nombreuses mais aussi coûteuses pour l’entreprise surtout lorsque la concurrence est intense et que l’IA offre une réelle percée. Autrement dit, les questions de gestion interne à l’entreprise et les questions de concurrence sont étroitement liées :  concurrence et innovation se marient étroitement pour créer des gisements importants de productivité en faveur de gagnants, et au détriment des autres entreprises, lorsque l’IA est disruptif. Nous en concluons que cette concurrence par les compétences et l’innovation se trouve au cœur du nouveau cycle de la transformation numérique par les technologies de l’IA, et ne fera que s’accroître avec le développement rapide et de plus en plus efficace de ces technologies.

    Analyse empirique

    Enquête

    En l’absence de source formelle pour recueillir la façon dont les organisations investissent dans l’IA, et dans les compétences techniques et organisationnelles connexes, nous nous sommes appuyés sur une enquête. Celle-ci s’est focalisée sur les dirigeants des grandes multinationales, car les nouvelles technologies sont souvent d’abord investies par les grandes entreprises. De plus, l’échantillon s’est restreint aux sociétés qui ont déjà élaboré leur stratégie d’IA, car on désire comprendre les gains et les goulots d’étranglement liés à l’exécution d’un plan d’investissement sur l’ IA.  L’enquête a couvert15 industries NACE-2, principalement parmi les pays du G-20.  Environ 70 % des entreprises sont cotées en bourse, et l’entreprise médiane a généré un chiffre d’affaires d’environ 10,6 milliards USD d’ici 2020, pour une base de 23 000 employés. Dans l’échantillon final, le répondant le plus fréquent était le Chief Data scientist (42% des réponses), puis le directeur de l’IA/ML.   Notre enquête s’est concentrée sur les montants investis dans les technologies de l’IA, ainsi que les effets de ces investissements sur la rentabilité des firmes, à partir de plusieurs canaux, comme l’automation, l’innovation, etc.  Au-delà de l’IA, nous avons aussi considéré d’ autres investissements connexes comprenant à la fois les données, la plateforme technologique et les algorithmes. Finalement, nous avons aussi testé toutes une série de compétences comme les capacités analytiques des entreprises, etc.

    Résultats

    Nous avons découvert les éléments suivants :

    1. Le stock de capital IA est de 3 à 4% des revenus, c’est-à-dire aussi important que l’intensité en R&D des entreprises. Toutefois, 20% des grandes entreprises concentrent plus de 65% des stocks de l’IA.
    2. Le pay-back des investissement de l’IA dans les organisations s’élève à 2 et est comparable à d’autres investissements dans les technologies numériques, même si ce payback est concentré sur un nombre étroit de firmes (Rossini et al, 2021)
    3. Les données, doivent provenir de sources robustes et précises, et les données doivent être exemptes de biais et étiquetées de manière adéquate (Enholm, et al, 2021). En ce qui concerne la plateforme technologique, l’infrastructure technologique doit également disposer d’une puissance de calcul évolutive suffisante, et d’une méthodologie flexible pour interagir avec les données, souvent via des lacs de données (« data lakes »). Enfin, en ce qui concerne les algorithmes d’IA, les entreprises doivent disposer d’une architecture unifiée pour le déploiement des modèles. Nous avons découvert que les firmes sont loin d’avoir investi proprement dans les éléments complémentaires à l’IA. Les lacs de données ne sont présents que pour 32% des entreprises; tandis que les entreprises sont constamment confrontées à des difficultés lorsqu’il s’agit de données robustes et précises.   Les compétences en matière de données, de codage, d’analyse et de modélisation ML ne sont pas toujours présentes ainsi que la  mise en place d’une gouvernance responsable de l’IA qui soutient l’IA fiable ainsi que la conformité à la réglementation et à la cybersécurité, par exemple.

    Estimation des gains liés à l’AI

    Les données globales suggèrent un écart tant dans l’intensité de l’investissement en IA entre les entreprises, que dans la qualité des ressources et des capacités organisationnelles liées à l’IA. Nous avons exploité cette différence inter-firmes pour estimer une fonction de production liant les revenus des entreprises aux investissements en IA et les coûts frictionnels liés à l’IA.  Nous avons aussi contrôlé pour le siège social, la taille de l’entreprise, l’emploi, l’industrie, et avons considéré un modèle autorégressif, où la croissance actuelle et liée en partie à la performance passée, augurant de capacités pérennes d’exploitation et de capacité de concurrence.

    De ce modèle de régression, nous avons estimé que l’élasticité des investissements en AI est statistiquement significative et positive, donnant en moyenne, une augmentation de la productivité de 2 à 4 %. Cette augmentation de productivité est forte, et plus importante que les technologies du numérique. Surtout, l’investissement dans l’IA n’a de valeur que dans la mesure où il est corrélé avec des ressources de haute qualité et une forte culture de l’innovation (Benbya et al, 2020, Wamba-Taguimdje et al, 2020).

    Encore plus important, l’effet de l’IA sur la productivité des entreprises du quartile supérieur est d’environ10 %, alors que l’effet sur le quartile inférieur est de 1,1 %.  Une telle différence augure d’un déclassement rapide pour les firmes du dernier quartile, et montre que bien que le paradoxe de productivité de l’IA n’est pas le reflet de la puissance avérée de ces technologies, mais le signe que l’AI exige une nouvelle vague de transformation numérique orientée vers un  nouveau paradigme liant algorithmes, données, et nouvelles compétences organisationnelles.

    Conclusion

    Cette recherche a ouvert la « boîte noire » au-delà de l’adoption de l’IA, dans le but de comprendre comment les entreprises parviennent à augmenter le rendement des investissements en IA.  Les dépenses en IA croissent relativement vite, à un rythme d’environ 25 % par an, avec une productivité de l’IA dans une fourchette de 2 à 4 %.

    Toutefois, ceci est une moyenne, et une grande disparité existe entre firmes.  L’effet sur la productivité est clairement renforcé par la capacité des entreprises à innover et à se doter de capacités organisationnelles et d’exécution adéquates en matière d’IA. Ces capacités se développent par nécessité si l’IA devient un facteur crucial pour l’avantage concurrentiel. Ceci est déjà clair dans le secteur de l’High-tech, mais ceci va devenir rapidement le cas dans toutes les industries vue la vitesse d’amélioration de ces technologies, et les opportunités qu’elles offrent. La question n’est pas tellement comment chatGPT d’Open AI peut bouleverser le marché de la recherche détenu par Google, mais aussi combien de nouvelles firmes vont parfaire des innovations de rupture dans tous les secteurs de notre économie, comme Moderna l’ a déjà démontré par la puissance d’une plateforme d’IA pour l’ARN, et le développement en mois plutôt qu’en années, d’un vaccin anti-covid par exemple.

    Bibliographie

    Acemoglu, D., et Restrepo, P. (2018). La course entre l’homme et la machine : Implications de la technologie pour la croissance, les parts de facteurs et l’emploi. American Economic Review, 108(6), 1488-1542.

    Benbya, H., Davenport, T. H., & Pachidi, S. (2020). L’intelligence artificielle dans les organisations : état actuel et opportunités futures. MIS Quarterly Executive, 19(4).

    Brynjolfsson, E., Rock, D. et Syverson, C. (2018). L’intelligence artificielle et le paradoxe de la productivité moderne : un choc entre les attentes et les statistiques. In The economics of artificial intelligence : An agenda (pp. 23-57). University of Chicago Press

    Bughin J  , Hintermann, F et Ph. Roussiere, (2022), Crise ? Quelle crise ? Why Europe an Companies Should Double Down on AI Now, The European Business Review, Sept.

    Enholm, I.M., Papagiannidis, E., Mikalef, P. et al. Artificial Intelligence et Business Value : a Literature Review. Inf Syst Front (2021).

    Mikalef, P , & Gupta, M. (2021). Capacité d’intelligence artificielle : Conceptualisation, calibration de la mesure et étude empirique de son impact sur la créativité organisationnelle et la performance de l’entreprise. Information & Management

    Rajpurkar, P., Chen, E., Banerjee, O., & Topol, E. J. (2022). L’IA dans la santé et la médecine. Nature Medicine, 28(1), 31-38.

    Rossini, M., Cifone, F. D., Kassem, B., Costa, F., & Portioli-Staudacher, A. (2021). Being lean : comment façonner la transformation numérique dans le secteur manufacturier. Journal of Manufacturing Technology Management, 32(9), 239-259.

    Wamba-Taguimdje, S. L., Wamba, S. F., Kamdjoug, J. R. K., & Wanko, C. E. T. (2020). Impact de l’intelligence artificielle sur la performance des entreprises : Exploration de l’effet médiateur des capacités dynamiques orientées processus. In Digital Business Transformation (pp. 3-18). Springer, Cham

    Annexes
  • Évaluation globale
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