Citer
Imprimer
Partager

Toutes les innovations managériales ne se valent pas

  • Résumé
    A l’heure des réseaux sociaux, une innovation managériale peut très vite se retrouver sur le devant de la scène, faire le buzz, alors même qu’elle n’est qu’une anecdote sur le terrain. Comment s’y retrouver dans l’évaluation de sa pertinence pour les entreprises, suivre son évolution sans se perdre dans les méandres d’une temporalité qui vire très vite à l’anachronisme ?
    Citation : Le Morlec, L. (Mar 2023). Toutes les innovations managériales ne se valent pas. Management et Datascience, 7(2). https://doi.org/10.36863/mds.a.23152.
    L'auteur : 
    • Loic Le Morlec
       (llmconseil@gmail.com) - (Pas d'affiliation)
    Copyright : © 2023 l'auteur. Publication sous licence Creative Commons CC BY-ND.
    Liens d'intérêts : 
    Financement : 
    Texte complet

    Si la mise en place d’une nouvelle pratique managériale dans une entreprises constitue pour elle une innovation, l’intérêt de son étude n’est pas le même si à l’échelle d’un marché elle correspond à un rattrapage des bonnes pratiques déjà mise en place chez les leaders. Elle peut même poser question si ladite pratique a été abandonnée depuis par ces mêmes leaders, au profit d’une autre jugée mieux adaptée à l’évolution de leur business model, leur stratégie, ou encore la modification de leur environnement. Ainsi, l’étude du lien entre une innovation managériale et le business model ou la stratégie de l’entreprise, tout comme son évolution jusqu’à sa possible disparition revêt toute son importance.

    Toutes les innovations n’ont pas la même valeur

    Les réseaux sociaux apprécient les innovations managériales, surtout quand elles sont en forte rupture avec les modèles classiques d’organisation et de management. Leur côté disruptif leur assure une visibilité valorisée par les algorithmes. La tentation alors est de les comparer entre elles en fonction de leur succès. Or, l’effet « buzz » d’une innovation ne préjuge en rien de son appropriation par les entreprises, ni de son efficacité. L’Holacratie en est un exemple caricatural. Cette organisation sans manager pourrait être considérée comme un symbole de rupture avec l’ancien monde basé sur le « command and control ». Pourtant, elle ne concerne qu’une poignée d’entreprises dans le monde parmi des millions. Elle constitue au mieux une anecdote. Ceux qui en font la promotion seront tentés de parler de tendance forte, de vague à venir afin de justifier de son intérêt. L’analyse de l’évolution chronologique de son implantation est alors un très bon moyen de vérification. Présent depuis une petite dizaine d’années sur les réseaux sociaux, l’Holacratie n’a pourtant pas pris dans les entreprises. Pire, son étendard, Zappos, seule très grosse structure à l’avoir adoptée, a jeté l’éponge, confirmant son échec au niveau diffusion. A l’épreuve du quantitatif, le qualitatif peut très vite perdre de sa superbe. Si les dirigeants n’adoptent pas une innovation, c’est qu’ils n’en veulent pas. On aimerait que ceci soit une lapalissade. C’est avant tout le rappel du décalage qu’il peut très vite y avoir entre des réseaux sociaux toujours prompt à s’emballer pour une nouveauté, et la réalité du terrain. Les innovations managériales ne sont pas dans l’agenda des dirigeants. Ils veulent des organisations performantes en soutien de leur business model et de leurs stratégies. La valeur d’une innovation managériale n’est pas tant dans la force de son caractère « innovant » que dans son niveau de diffusion et donc son adéquation avec le business model ou stratégie des entreprises ou des secteurs qui l’ont adopté. En ce sens l’étude du Lean et de son évolution (ou variantes) est représentative de l’importance de faire ce lien.

    Du Lean, modèle de management basé sur le TPS (Toyota Product System), disruptant le taylorisme historique…

    Le Lean, modèle de management basé sur le TPS créé par le constructeur automobile japonais Toyota a été importé en France notamment par Valéo. S’il a touché logiquement l’industrie automobile, il s’est étendu dans les années 1980 pour les précurseurs sur d’autres secteurs comme la grande consommation, de l’agroalimentaire en passant entre autres par l’électroménager. Il s’est diffusé via des petits cabinets de consultants ou directement par des experts japonais. Le Lean n’a pas simplement apporté de nouvelles méthodes industrielles. Il a permis la mise en place de stratégies dialogiques (en théorie opposées) telles que l’amélioration des performances des lignes de production et la qualité des produits. Surtout, Il a profondément transformé le métier d’ouvrier. Pour les entreprises les plus avancées, les ouvriers ont vu leurs niveaux de compétence, d’autonomie et de responsabilité considérablement augmentés. Par exemple, le droit accordé aux ouvriers d’arrêter une ligne de production en raison d’un problème majeur de qualité produit a entraîné une véritable révolution pour les entreprises concernées. Par voie de conséquence, cette rupture organisationnelle a vu se modifier le rôle de l’encadrement jusqu’à réduire les niveaux hiérarchiques en supprimant le poste de directeur de production. Alors même que le Lean représentait un tsunami dans des directions industrielles traditionnellement dirigistes, il a pu s’étendre en raison de son impact positif sur le business model des entreprises qui l’ont adopté. Il a généré une meilleure performance industrielle en productivité et qualité, et un soutien à la création des nouveaux produits, créant ainsi un mimétisme positif entre les entreprises.

    … Vers des variantes Lean soutenant une financiarisation du management

    Il est communément admis que les grands groupes sont pour la plupart dans une vision court termiste. Cet état est la conséquence directe de la dérèglementation des marchés intervenue à la fin des années 1990. Leur business model s’en est retrouvé profondément bouleversé. Il les a placés dans la recherche d’efficacités ayant un impact immédiat sur le résultat au détriment d’une vision de moyen/long terme. Les innovations managériales dans les grands groupes ont suivi ce changement majeur. On le retrouve notamment dans l’évolution du modèle Lean issu du TPS. Des grands cabinets conseils US dans la fin des années 1990 l’ont fait évoluer vers des versions orientées cost killing plus en phase avec des stratégies de court terme. Des grands groupes précurseurs qui avaient abandonné le principe du command and control dans les années 80/90 en adoptant celui du TPS, ont migré rapidement vers une financiarisation du management (Le Morlec/2022) soutenant cette vision court termiste. Ainsi, certaines avancées réalisées au niveau autonomie comme l’auto-planification des équipes ont pu être remises en causes au profit de nouvelles pratiques maximisant l’efficacité et la productivité. Le juste à temps en est un exemple. La planification des flux est venu remplacer les planifications par ateliers. Elle implique un service centralisé en soutien aux opérationnels. D’une manière générale, toute tension forte exercée sur un processus va impliquer une attention particulière et des arbitrages. L’assimiler à un retour du « command and control » des années 1970 comme on peut le lire régulièrement, génère une confusion pénalisante. Le pendant de ce contrôle issu de la financiarisation n’est pas lié à la confiance mais à la nature de processus performants sur l’efficacité, soutenant un business model (ou une stratégie) donné. Les tensions sur les tâches sont logiquement moins fortes lorsque le business model ou la stratégie sont centrés sur l’innovation produit ou encore la fiabilité. La compétence des ouvriers y est plus fortement sollicitée, offrant des potentiels d’innovations managériales adaptées. Pour rappel, Toyota est une référence mondiale au niveau de la fiabilité de ses véhicules et de la fidélisation de ses clients.

    Hors de son contexte, l’étude d’une innovation trouve très vite ses limites

    L’étude d’une innovation managériale en tant que « sujet », c’est- à-dire extraite de l’environnement dans lequel elle s’exprime favorablement (apportant de la valeur à l’entreprise) est un exercice théorique certes intéressant mais qui trouve rapidement ses limites. Pour l’évaluer pleinement, il convient de déterminer les causes de son adoption : stratégiques, tactiques, ou plus structurelles en lien avec le business model. L’estimation de sa diffusion permet d’en déterminer la valeur opérationnelle. L’analyse chronologique de son déploiement, son évolution, jusqu’à sa possible disparition sont également des facteurs d’analyse majeurs. Dans un monde digital où l’information est très vite et très largement partagée, la qualité d’une prédiction sur le déploiement futur d’une innovation est désormais l’affaire de quelques mois pour être vérifiée.

    Par ailleurs, établir cette prédiction à partir des qualités intrinsèques d’une innovation managériale a toutes les chances de passer à côté. La prédiction doit s’établir avant tout sur ce que l’innovation va soutenir :

    • Une innovation managériale est avant tout la conséquence d’une évolution du Business Model ou de la stratégie de l’entreprise.
    • Elle ne précède donc pas leurs transformations mais les accompagne.

    Il faut ainsi être très prudent quand on fait le constat de la naissance ou renaissance d’une innovation managériale à partir de l’étude d’une entreprise. Celle-ci peut se révéler être un problème d’anachronisme comme Poult ou Favi, entreprises libérées de référence en France (Le Morlec/2022). Elle peut aussi toucher des grands groupes comme Michelin qui a vu dans les années 2010 son business model basé sur une innovation produit haut de gamme attaqué par des produits low cost. Le besoin de générer plus de productivité de court terme l’a amené à se pencher sur des innovations déjà réalisées depuis plus d’une décennie dans l’industrie. La véritable innovation chez ce géant français sera vraisemblablement comment il aura réussi à conjuguer une culture de l’innovation avec une contrainte de productivité de court terme. Un tel défi demande du temps dans un monde qui aujourd’hui en accorde peu.

    Avec des réseaux sociaux où désormais la qualité d’une innovation managériale s’évalue au niveau de buzz qu’elle a généré, le besoin de définir une nouvelle méthodologie d’étude est plus que jamais d’actualité.

    Bibliographie

    Le Morlec.L (2022) FAKE MANAGEMENT éditions ems collection Management & Société

  • Évaluation globale
    (Pas d'évaluation)

    (Il n'y a pas encore d'évaluation.)

    (Il n'y a pas encore de commentaire.)

    • Aucune ressource disponible.
    © 2024 - Management & Data Science. All rights reserved.