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Gamification : Un match n’est jamais gagné d’avance !

  • Résumé
    Les unités d’analyse de jeux et de jeux sérieux sont des « ludèmes », d'un point de vue conceptuel, ces ludèmes mobilisent d’une part des règles, de l’autre de l’affordance et enfin, une notion de match. Le match, notion qui nous préoccupe ici, implique une dualité, il diffère de l’idée de compétition par la définition du terme « match » impliquant l’équilibre voir la parité et de plus, dans un contexte ludique, par l’environnement sécurisé offert par chaque jeu (où finalement l’erreur et donc l'expérimentation et l'entrainement sont possibles).
    Citation : Kingston, J. (Jan 2023). Gamification : Un match n’est jamais gagné d’avance !. Management et Datascience, 7(1). https://doi.org/10.36863/mds.a.22560.
    L'auteur : 
    • John Kingston
       (john.kingston@polytech.univ-nantes.fr) - LEMNA
    Copyright : © 2023 l'auteur. Publication sous licence Creative Commons CC BY-ND.
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    Texte complet

    Dans un précédent article consacré aux jeux, aux règles de jeu et aux feedbacks nous expliquions qu’un jeu en tant qu’artéfact, est décomposable en unités fondamentales à l’image de la matière physique constituée de multiples molécules, elles-mêmes décomposables en atomes. Le nom retenu par la littérature pour décrire cette unité atomique du jeu est « ludème ». Il s’agit d’une allusion probable à la notion de « phonème ». Les ingrédients qui composent le ludème ne sont pas encore clairement définis dans la littérature académique. Cependant, nous proposons que le ludème soit composé, en termes théoriques, de trois sortes d’atomes que nous allons détailler ci-après. Le premier est un atome « d’affordance », le second est un atome de « règles » et enfin le dernier atome est celui qui est lié au « match ».

    1. La notion de règle est assez intuitive lorsqu’on songe aux règles d’un jeu. Il est aisément imaginable que des règles font parties de jeux et pourquoi pas des ludèmes de jeux. Bien entendu, les règles explicites et implicites qui composeraient jeux et ludèmes dépassent l’idée de règlement. Le bluff peut par exemple suivre des règles de dissimulations qui ne sont pas indiquées explicitement dans un règlement de jeu mais intégrées par les joueurs. Les règles constituent les atomes fondamentaux des jeux, leur « substantifique moelle ».

     

    2. La notion d’affordance est un peu moins intuitive. Elle nous vient du design (Gibson, 1966). Elle présuppose que la capacité humaine est apte à interpréter certaines informations comme une forme (carreau, cœur, pique…), comme une couleur ou comme de nombreuses autres informations en provenance d’un jeu ou d’un jeu sérieux. L’affordance est une aide précieuse pour le joueur dans sa quête d’acquisition et de compréhension des règles (du jeu). C’est l’affordance du jeu qui l’amène à être facilement jouable.

     

    3. La notion de match est, paradoxalement, l’un des piliers du ludème le moins aisé à aborder ! Que recouvre ce terme ? Une IA, largement commentée et clairement disruptive comme ChatGPT (OpenAI, 2023), nous propose d’aborder le « match » par les mots clés suivants : « compétition », « jeu » ou « deux équipes ». Dans ce qui suit, nous nous attarderons donc séparément sur les propositions de « compétition » et de « deux équipes ».

    Le match comme dispositif de « compétition » entre « deux équipes »  

    Nous commencerons par admettre que « comprendre la compétition dans un jeu » n’est pas immédiat car cela renvoie à l’idée d’affrontement, il s’agit donc d’abord de comprendre que le « jeu » est capable d’offrir un « havre de sécurité » qui va permettre une compétition saine. Ainsi, il est usuel de souligner que pour un joueur ou un groupe de joueur, la différence entre un jeu et la réalité c’est l’enjeu. Dans un jeu, l’erreur est permise, il suffit de recommencer alors une autre partie. Par contre, dans le cas de la réalité d’une compétition économique par exemple – c’est-à-dire dans un espace marchand – la conséquence d’une erreur stratégique peut être fatale à une entreprise. Cette idée d’espace de sécurité est clairement définie et défendue par Raph KOSTHER dans « Theory of Fun for Game Design » (Kosther, 2013). Elle peut être rapprochée dans une certaine mesure du fameux « cercle magique » avec ses enjeux et sa fonction sociale largement documentée (Huizinga, 1951).

    1. En ce qui concerne la « compétition », nous pouvons avancer que si la compétition ludique perd en dangerosité elle gagne en utilité.  C’est pourquoi (en entreprise, organisation, etc.)  accepter la compétition ludique c’est mieux accepter l’échec, la remise en cause et au final l’apprentissage au sens entendu par Von GLASERSFELD (Von GLASERSFELD, 1998) et PIAGET dans leur approche constructiviste. Les applications en conduite du changement sont ici intéressantes. Il est question de produire un effort cognitif pour 1) accepter de recevoir le signal et 2) accepter d’assimiler l’information correspondante au sens de nos approches usuelles en management des système d’information, c’est-à-dire celles qui se réfèrent aux travaux fondateurs de J L LEMOIGNE et qui refusent de valider la correspondance biunivoque d’un signe et d’un signifié (Amabile et al, 2018). Nous mettons là en lumière une évidence comportementale en termes empiriques mais encore peu investiguée en termes théoriques, l’acceptation d’être informé sera plus rapide lorsque l’enjeu d’un éventuel échec est considéré comme faible puisque ludique.

     

    2. Concernant l’idée que « deux équipes » soient nécessaires pour arriver à un match, cela peut s’expliquer même pour des jeux prétendument solitaires. C’est le cas de nombreux jeux vidéo par exemple. Ils proposent des entrainements solitaires, le joueur est souvent simplement en compétition décalée avec d’autres joueurs ou avec les concepteurs du jeu par l’intermédiaire d’un leaderboard. Le joueur progresse en se référant à son niveau dans une compétition par rapport à d’autres joueurs solitaires. Si l’on se penche sur un jeu solitaire de cartes physiques, le joueur est effectivement en compétition principalement avec le hasard et l’intérêt du jeu peut être limité sur le long terme. Le match est alors incomplet. En effet, l’autre équipe qu’elle soit présente ou déportée permet au joueur de rester dans une dynamique de progrès par un mécanisme de compétition sécurisée.

    A la suite de ces deux mises au point factuelle, pourquoi ne pouvons-nous pas parler de « compétition » plutôt que de « match » ? Il semble là encore que la littérature et l’étymologie peuvent nous aider à avancer. Tout d’abord, à l’image des pratiquants du jeu de la Soule au 18éme siècle, il semble clair que la compétition libre – ou du moins non encadrée  – c’est-à-dire « hors-jeu » est, au moins en apparence, plus dangereuse que la compétition réglementée, arbitrée, encadrée et limitée qui justement aurait pour but de protéger les joueurs et/ou les spectateurs et/ou les investisseurs (courses de chevaux, combats de gladiateurs, pratiquant du « noble art » anglais/français, etc.). Ensuite, en Français, le mot compétition n’implique pas l’idée d’équilibre qui existe dans la notion anglo-saxonne de « match ». En effet, si nous mobilisons une définition complète de « match » (Oxford dictionary) celle-ci inclue certes l’idée de compétition, mais aussi l’idée d’équilibre – par exemple de forces ou de compétences en présence – voire même de parité possible. Ainsi finalement, l’idée de « match » ludique permettrait une compétition équilibrée dans un espace de règles organisationnelles (affordantes).

    Conclusion et ouverture

    Cette courte contribution à visée théorique et étymologique permet de mieux comprendre ce fameux trinôme ludique qui compose les ludèmes d’un jeu. Il est également opportun de se référer à la définition du mot anglais « game » qui signifie certes « jeu » mais aussi de façon moins connue « gibier » (Oxford dictionary). Il est en effet assez clair qu’un gibier se chasse – la chasse est perçue dans ce cas comme un jeu pour le joueur qu’est le chasseur – et la « chasse » devient quelque fois utile, parfois dangereuse (mais le risque est largement asymétrique en la faveur du chasseur) et très souvent ludique. Tel le propriétaire d’un chien qui lance un bâton pour que son chien le ramène « en jouant » (comme il ramènerait un gibier), il est possible d’appréhender le jeu – qu’il soit sérieux ou non, car finalement cela ne change rien aux perceptions des joueurs – comme un entrainement sécurisé à l’acquisition de règles. L’affordance va favoriser- en termes d’effort cognitif – cet entrainement et le « match » en fera de même à une échelle inter ou intra organisationnelle.

    Dans tous les cas pour paraphraser R L STEVENSON  «  En vérité, je ne voyage pas, moi, pour atteindre un endroit précis, mais pour marcher : simple plaisir de voyager »  ce n’est pas la victoire qui compte, c’est de bien jouer le match !

    Bibliographie

    Gibson. (Édition originale 1966). The Senses Considered as Perceptual Systems. Praeger revised ed, edition 1983, ISBN : 0313239618

    OpenAI est une société de recherche et de déploiement d’IA. Ses investisseurs incluent Microsoft, la fondation caritative de Reid Hoffman et Khosla Ventures. URL https://chat.openai.com/chat

    Kosther. (2013). Theory of Fun for Game Design. O’Reilly media, second edition, ISBN : 1449363210

    Huizinga. (Première parution en 1951). Homo Ludens, Essai sur la fonction sociale du jeu, Trad. du néerlandais par Cécile Seresia, , éditions Gallimard, ISBN : 2070712793

    Von Glasersfeld. Cognition, ( pp. 11-30, 1998). Construction of Knowledge, and Teaching: Constructivism in Science Education, Ed Springer, Dordrech, Ed originale, 1989, pp. 2-19, ISBN : 978-0-7923-4924-2, https://files.eric.ed.gov/fulltext/ED294754.pdf

    Amabile, S., Meissonier, R. & Peneranda, A. (2018). XIX. Jean-Louis Le Moigne – Pionnier de l’ingénierie des systèmes d’information organisationnels. Dans : Isabelle Walsh éd., Les Grands Auteurs en Systèmes d’information (pp. 370-389). Caen: EMS Editions. https://doi.org/10.3917/ems.walsh.2018.01.0370

    https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/montfaucon-montigne-49230/en-1715-le-jeu-violent-de-la-soule-622c1ec8-c424-4c97-9060-2294ddcb2fa1

    https://www.oxfordlearnersdictionaries.com/

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