Citer
Imprimer
Partager

Transformation digitale : vers un Business Model Digital Dynamique (BMD2)

  • Résumé
    La crise du Covid-19 a sensiblement accéléré la transformation digitale des organisations, considérée comme une garantie de survie par nombre d’entre elles. Cet article se concentre sur la façon dont l’organisation conduit sa transition d’un Business Model Traditionnel (BMT) vers un Business Model Digital (BMD) et pose la question suivante : quel Business Model pour digitaliser l’organisation ? A partir des résultats obtenus lors d’une recherche doctorale, l’article développe un Business Model Digital Dynamique (BMD²) qui met l’entrepreneur au centre du processus de transformation.
    Citation : Varenne, P., & Godé, C. (Mar 2021). Transformation digitale : vers un Business Model Digital Dynamique (BMD2). Management et Datascience, 5(3). https://doi.org/10.36863/mds.a.16269.
    Les auteurs : 
    • Patrick Varenne
       (direction@cfid-conseil.com) - CFID-Conseil
    • Cécile Godé
       (cecile.gode@univ-amu.fr) - Aix-Marseille Université CERGAM  - ORCID : https://orcid.org/0000-0002-9148-2820
    Copyright : © 2021 les auteurs. Publication sous licence Creative Commons CC BY-ND.
    Liens d'intérêts : 
    Financement : 
    Texte complet

    La crise sanitaire du Covid-19 met en lumière l’urgente nécessité pour l’organisation de digitaliser ses processus et pratiques de travail, une transformation perçue comme garante de sa survie et sa performance future. Selon Besson et ses co-auteurs (2017), la transformation digitale repose sur « une combinaison de trois phénomènes : l’automatisation, la dématérialisation et la réorganisation des schémas d’intermédiation [et] touche tous les processus d’affaires, du business model aux relations avec les parties prenantes » (p. 1). Ce processus de changement en profondeur implique pour l’organisation de repenser son offre, de développer son contenu de service et de construire une proposition de valeur ancrée dans les capacités des technologies digitales et la conduite du changement (Varenne, 2020).

    Cet article s’intéresse au processus de transformation digitale d’un Business Model Traditionnel (BMT) vers un Business Model Digital Dynamique (BMD²) et adresse la problématique générale suivante : quel Business Model pour digitaliser l’organisation ?

    Cadre conceptuel

    Business Model traditionnel, Business Model Digital Dynamique

    Initialement, la notion de Business Model apparaît dans la littérature scientifique pour décrire le fonctionnement des start-ups de l’économie internet ; son usage s’est ensuite étendu, à partir de la fin des années 1990, aux autres domaines d’activités.

    Les contributions se rapportant aux Business Models peuvent être classées en deux catégories : les Business Models Traditionnels (BMT) (voir par exemple le Business Model Canvas par Osterwalder et al., 2005, ou encore le RCOV par Demil et Lecoq, 2010) ; et les Business Model Digitaux (BMD²), notamment caractérisés par Weill et Woerner (2013).

    Les BMT décrivent les mécanismes de création de valeur dans l’organisation, reflétant son fonctionnement à un moment précis, au sein d’un écosystème donné. S’ancrant pleinement dans une vision systémique de l’organisation, les BMT sont constitués d’un ensemble d’éléments interreliés évoluant en interaction avec l’environnement. Cependant, force est de constater qu’ils peinent à prendre en compte les imprévus associés aux environnements incertains et fortement changeants dans lesquels les organisations évoluent aujourd’hui (Godé, 2015 ; Godé, 2010). Etonnamment, la littérature en management interroge encore peu les capacités d’adaptation et d’anticipation des BMT (Brillinger et al., 2020), alors que l’activité même de l’entreprise peut se retrouver radicalement compromise face à un imprévu tel que le Covid-19.

    Au-delà de ces questions d’ajustement à l’imprévu, les BMT rendent difficilement compte des modèles basés sur une plateforme web, ainsi que des changements organisationnels et managériaux qui en découlent (Tokatli, 2008 ; Girotra et Netessine, 2011 ; King, 2013 ; Dudézert, 2018). Or, ces éléments sont au cœur de la transformation digitale. Weill et Woerner (2013) décrivent les trois composantes au centre de la proposition de valeur d’une entreprise traditionnelle souhaitant se digitaliser : une plate-forme numérique, du contenu et la prise en compte des retours d’expérience des utilisateurs (UX), qu’ils représentent les partenaires de l’organisation ou ses collaborateurs. La transformation digitale d’un BMT vers un BMD² repose sur un ajustement permanent entre le modèle d’affaires initial et ces retours utilisateurs.

    Identifier, comprendre et mettre en œuvre un BMD² implique ainsi d’aller au-delà d’une perspective causale de résolution de problèmes. Les réponses causales sont difficiles à élaborer dans des environnements incertains et changeants, où les interactions entre chaque bloc ne sont pas toutes connues ni même facilement repérables. Le cadre conceptuel des BMD² doit permettre de se concentrer sur les objectifs à atteindre, en adoptant une approche par les effets, par les conséquences des actions initiées. Dans cette perspective effectuelle, le BMD² vise moins à répondre à la question du « pourquoi ? » qu’à celle du « pour quoi faire (dans quels buts) ? ».

    L’entrepreneur au cœur de la transformation digitale du Business Model : une perspective effectuelle

    En situation d’incertitude, le raisonnement effectuel favorise latitude et adaptation. Si la logique causale fait appel aux connaissances acquises, l’effectuation renvoie davantage à une posture, une faculté d’ajustement. Autant d’attributs propres à l’entrepreneur, qui sait s’adapter aux conjonctures et saisir les opportunités qui s’offrent à lui pour les transformer en de nouveaux défis.

    La théorie de l’effectuation développée par Sarasvathy (2001) insiste sur ces éléments, décrivant notamment les traits dominants des entrepreneurs, comme leur personnalité, la maîtrise de leur métier et la capacité à savoir s’entourer de personnes compétentes. Sarasvathy (2008) l’explique simplement : « Qui suis-je ? Que sais-je ? Qui connais-je ? » (p. 7). Ces compétences s’accompagnent d’une capacité à savoir détecter les opportunités d’affaires. Les aléas du quotidien, qu’ils soient favorables ou défavorables, conduisent l’entrepreneur à s’adapter afin de transformer les imprévus et crises profondes en de nouvelles opportunités de marchés. Dans ce cadre, l’entrepreneur construit son projet d’affaires en fonction des aléas et des rencontres : il élabore un business model qu’il soumet ensuite à des prospects. Le Business model se construit de manière progressive, au travers du temps et d’apprentissages cumulés (Westhead et al., 2005).

    Un BMD² impose des ajustements continus afin de rester aligné aux besoins des consommateurs, des partenaires et des collaborateurs, de conduire les changements managériaux associés à la digitalisation et d’anticiper – ou du moins de s’adapter – rapidement aux imprévus et phases d’incertitudes. Du fait de sa posture effectuelle, l’entrepreneur se trouve au cœur de ce processus de construction et de gestion du BMD².

    Résultats

    L’étude empirique se fonde sur une recherche intervention de trente-six mois, réalisée au sein d’une entreprise de nettoyage : Agility Propreté. Cette SARL, créée il y a dix ans, est composée de 100 personnes. La clientèle est exclusivement constituée de professionnels recourant à des travaux d’hygiène et d’entretien de leurs locaux. Compte tenu du contexte fortement concurrentiel de son activité, le dirigeant a sollicité un accompagnement en soutien à la transformation digitale de son entreprise à travers l’élaboration d’un BMD². En l’occurrence, une recherche intervention a été réalisée par l’un des auteurs de cet article, à la fois doctorant à l’époque et dirigeant d’un cabinet de conseil en transformation digitale.

    Les résultats de la recherche sont synthétisés dans le tableau 1 ci-après. Ils mettent en évidence les éléments clés d’une digitalisation du BM. Parmi ceux-ci, l’entrepreneur joue un rôle central. Il fait le diagnostic d’un BMT insuffisamment rentable et souhaite mieux maîtriser son modèle d’affaires en environnement incertain La modification du BMT vers un BMD² impose un ajustement technologique ainsi qu’une réorganisation organisationnelle de l’encadrement et un ajustement opérationnel des acteurs de terrain. L’entrepreneur souhaite un accompagnement car il ne maîtrise pas le management de projet des SI ni la conduite du changement. L’entrepreneur est dans une posture effectuelle qui lui permet de profiter des opportunités d’affaires, le cabinet conseil est dans une démarche causale, encadrant la démarche entrepreneuriale.

    Tableau 1 : Synthèse et commentaires des résultats

    Ces résultats, associés à d’autres issus de deux études de cas supplémentaires réalisés durant la recherche doctorale, permettent de proposer un Business Model Digital Dynamique (BMD² ; Figure 1) composé de différents blocs, chacun se lisant dans le sens des aiguilles d’une montre. L’ensemble est dynamique, chaque partie interagissant dans un ajustement permanent. La proposition de valeur (business model) s’ajuste en fonction de l’expérience utilisateur dans une relation réciproque. Afin d’être aligné en permanence sur la demande du client, les caractéristiques du modèle d’affaires digitalisé (BMD²) (son équation de valeur, les offres proposées) continuent d’évoluer même après leur introduction sur le marché.

    Figure 1 : Le Business Model Digital Dynamique (BMD²)

    Les différents blocs constituant le Business Model Digital Dynamique BMD2 (figure 1) sont les suivants :

    Le bloc maturité digitale : le degré de maturité digitale des infrastructures informatiques de l’entreprise est un pré-requis. Les technologies à déployer sont souvent complexes et il est nécessaire que les acteurs les maîtrisent et se les approprient.

    Le bloc entrepreneur : l’entrepreneur est confronté à l’incertitude de la transformation (échec ou réussite). Il fait également face à la complexité des transformations organisationnelles (demande d’ajustement permanent dû à l’évolution dynamique du business model.) et technologiques, essentielles à appréhender dans une démarche d’alignement de la technologie et du business model.

    Le bloc conduite du changement : les utilisateurs sont confrontés à la vision entrepreneuriale (buts). Ils doivent l’assimiler et la traduire en routine. L’accompagnement au changement doit permettre le dialogue entre les différentes équipes (opérationnelles et technologiques). Les acteurs sont confrontés à de nouveaux usages technologiques. L’automatisation des processus modifie leur posture. Les clients demandent de nouveaux ajustements qui affectent leurs habitudes. L’accompagnement favorise la compréhension du pourquoi de la transformation.

    Le bloc plateforme : la plateforme est à considérer comme un artefact numérique d’une extrême complexité. L’interfaçage des langages utilisés avec le système d’information génère de la complexité technologique. La traduction du modèle d’affaires traditionnel en modèle digital crée des freins au sein des équipes de développement et des équipes métiers. La plateforme correspond à la virtualisation numérique du business model, elle automatise et industrialise les processus d’affaires. La complexité du développement conduit l’entrepreneur et les acteurs concernés par cette transformation à des phases de doute et de complète incertitude quant aux résultats.

    Conclusion

    En conclusion, la transition d’un BMT vers un BMD2 est un processus complexe qui impose une conduite du changement en termes technologique (évaluation de la maturité digitale de l’organisation, déploiement d’une plateforme), organisationnelle et managériale (notamment au niveau des équipes de terrain en lien direct avec la demande des clients)

    Les résultats de la recherche démontrent également que l’entrepreneur est au centre du Business Model Digital Dynamique (BMD²), en impulsant et conduisant le processus de digitalisation. Initialement le facteur entrepreneurial apparait peu dans les différents composants d’un business model. La digitalisation évolue donc dans un environnement complexe et ce phénomène contribue à générer de l’incertitude et des craintes chez les différents acteurs. Néanmoins, les entrepreneurs, en articulant effectuation et causation, favorisent la réussite de la transformation de l’entreprise.

    Bibliographie

    Besson, M. Gossart, C. Jullien, N. (2017). Les enjeux de la transformation numérique dans l’entreprise du futur. Terminal. Technologie de l’information, culture & société, 120, CREIS-Terminal; L’Harmattan / CREIS; L’Harmattan / CREIS; L’Harmattan / CREIS; L’Harmattan / CREIS, 2017, ⟨10.4000/terminal.1605⟩⟨hal-01548642⟩

    Brillinger, AS. Els, C. Schäfer, B. Bender, B. (2020). Business model risk and uncertainty factors: Toward building and maintaining profitable and sustainable business models. Business Horizons, Volume 63, Issue 1, 2020, Pages 121-130, ISSN 0007-6813, https://doi.org/10.1016/j.bushor.2019.09.009. (https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0007681319301326)

    Charmaz K. (2006). Constructing grounded theory : a practical guide through qualitative analysis. Thousand Oaks : Sage.

    Corbin J. & Strauss A. (2008). Basics of Qualitative Research. Thousand Oaks: Sage, 3rd ed.

    David A. La recherche-intervention, cadre général pour la recherche en management. In David A., Hatchuel, A. & Laufer, R. (Eds), Les nouvelles fondations des sciences de gestion, Paris : Vuibert, 2000(b), (193-213).

    Demil, B. et Lecocq, X. (2010). Business model evolution : In search of dynamic consistency. Long Range Planning, 43 (2-3), 227-246. Doi: 10.1016/j.lrp.2010.02.004.

    Dudézert, A. (2018). La transformation digitale des entreprises. Paris, France : La Découverte. https://doi.org/10.3917/dec.dudez.2018.01.

    Gassmann, O., Frankenberger, K., & Csik, M. (2014). The business model navigator : 55 models that will revolutionise your business. Upper Saddle River, NJ: FT Press.

    Girotra, K., & Netessine, S. (2011). How to build risk into your business model? Smart companies design their innovations around managing risks. Harvard Business Review, 89(5), 100 e 105.

    Girotra, K., & Netessine, S. (2014a). Reinventing business model through risk management. Risk Management. 61(9), 38 e 42.

    Girotra, K., & Netessine, S. (2014b). The risk-driven business model: Four questions that will dene your company. Boston, MA: Harvard Business Review Press.

    Glaser B.G. & Strauss A. (1967). The discovery of grounded theory. Chicago: Adline.

    Godé, C. (2010). Se coordonner en environnement volatil : les pratiques de coordination développées par les pilotes de chasse. Finance, Contrôle, Stratégie, Vol. 13, N°3, pp 61-93.

    Godé, C. (2015). La coordination des équipes en environnement extrême : pratiques de travail et usages technologiques en situation d’incertitude. Paris, France : ISTE Editions, collection Innovation, entrepreneuriat et gestion.

    Hymes, D. H. (1962). The ethnography of speaking.

    King, R. (2013) Business Model Canvas: A Good Tool With Bad Instructions ? Silicon Valley Rebel (Livre 1), Editeur : Create Space Independent Publishing Platform ; 1 édition (17 mars 2017), ISBN-10 : 1544841787, ISBN-13 : 978-1544841786 Broché : 176 pages Page d’accueil – Dr Rod King. http://businessmodelhub.com/group/business-dna-management-for-business-model-innovat?xg_source=activity ,

    Labianca G., Gray B. & Brass D.J. (2000). A Grounded Model of Organizational Schema Change During Empowerment. Organization Science, Vol. 11, No. 2, pp.235-257.

    Nolan, R.L., (1973). Managing the computer resource : a stage hypothesis. Communications of the ACM, vol.  16, n° 7, juillet, p. 399-405.

    Sarasvathy, S. D. (2001a). Causation and Effectuation : Toward a Theoretical Shift from Economic inevitability to Entrepreneurial Contingency. Academy of Management Review, 26 (2), 243-288.

    Sarasvathy, S.D. (2006). The bird-in-hand principle : who i am, what i know and whom i know. Technical note prepared by Saras D. Sarasvathy, associate professor of business administration. Copyright © 2006 by the University of Virginia Darden School Foundation, Charlottesville.

    Tokatli, N. (2008). Global sourcing: Insights from the global clothing industry e The case of Zara, a fast fashion retailer. Journal of Economic Geography, 8(1), 21 e 38.

    Osterwalder, A. (2004). The Business Model ontology – a proposition in a design science approach. PhD Dissertation, Université de Lausanne, février.

    Pettigrew S. (2002). A grounded theory of beer consumption in Australia, Qualitative Market Research : An International Journal, Vol. 5, No. 2, pp.112-122.

    Varenne, P. (2020). La transformation digitale des entreprises : effectuation et Business Model Digital Dynamique (BMD2). Thèse de doctorat en sciences de gestion, Université de Lyon.

    Warnier V., Lecocq X., Demil B., (2016) Le business model, un support à la créativité de l’entrepreneur. Entreprendre & Innover, 2016/1 (n° 28), p. 65-75. DOI : 10.3917/entin.028.0065. URL : https://www-cairn-info.bibelec.univ-lyon2.fr/revue-entreprendre-et-innover-2016-1-page-65.htm

    Weill, P.; Woerner, S.L. (2013). Optimizing your digital business model. MIT Sloan Manag. Rev. 2013, 54, 71–78. [CrossRef]

    Westhead, P. & Ucbasaran, Deniz & Wright, Mike. (2005). Decisions, Actions, and Performance: Do Novice, Serial, and Portfolio Entrepreneurs Differ ?*. Journal of Small Business Management. 43. 393 – 417. 10.1111/j.1540-627X.2005.00144.x.

    Annexes
  • Évaluation globale
    (Pas d'évaluation)

    (Il n'y a pas encore d'évaluation.)

    (Il n'y a pas encore de commentaire.)

    • Aucune ressource disponible.
    © 2024 - Management & Data Science. All rights reserved.