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Risques humains et enjeux éthiques des innovations digitales RH

  • Résumé
    Si l’épidémie de Covid19 a accéléré l’utilisation d’outils numériques dans l’ensemble des organisations pouvant rester en activité, l’offre qualifiée d’innovante n’est pas nouvelle et un bon nombre d’entreprises a déjà entrepris une mue digitale dans ses missions RH avant la nécessité liée au confinement.
    Citation : Spach, P. (Déc 2020). Risques humains et enjeux éthiques des innovations digitales RH. Management et Datascience, 5(2). https://management-datascience.org/articles/14632/.
    L'auteur : 
    • Philippe Spach
       (philippe.spach@devinci.fr) - Ecole de Management Léonard de Vinci - EMLV
    Copyright : © 2020 l'auteur. Publication sous licence Creative Commons CC BY-ND.
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    Financement : 
    Texte complet

    Les directions des ressources humaines qui mettent en place leur transformation numérique sur une partie de la chaine de Valeur RH ont deux objectifs principaux. Le premier est celui de valoriser l’action humaine dans son expression décisionnelle et créative, l’autre est celui d’automatiser des tâches dont la valeur ajoutée n’apparaît pas évidente. Mettre au centre de la préoccupation RH l’expérience collaborateur afin de se concentrer sur son développement demeure le « but » annoncé. Dans ces choix de redéfinition des missions de ressources humaines accompagnées par la mise en place d’outils digitaux, quelle place conservent l’humain et son éthique ? Les directions des ressources humaines intègrent-elles bien les tensions générées par cette transformation positive promise ? Incorporent-elles la réduction de ces tensions dans leurs plan d’actions de préventions des risques comme l’exige la loi ?

    Innovation digitale RH, mettre fin aux servitudes des taches sans plus-values

    Nous pouvons distinguer des bienfaits et des méfaits potentiels dans cet emploi d’outils innovants et nous assistons à une certaine cristallisation des postures sur ce sujet.

    Discriminer l’outil qui promet de répondre au mieux aux objectifs d’une mission devient assez aisé. Nombreuses sont les solutions offertes. A l’exemple de la RhTech française comptant plus de 600 startups qui investissent la quasi-totalité du champs de missions des ressources humaines, le choix se pose, mais cela demeure de l’outillage. Sourcing, recrutement, on-boarding, formation, gestion des compétences, mobilité, système d’information, communication interne ou externe, image employeur, évènements, analyse et prévention des risques, administration, traitement des données, quasiment toutes les missions des ressources humaines se voient proposer un ou plusieurs outils digitaux. L’emploi de ces innovations permet sans aucun doute possible de gagner en temps et en qualité de traitement. Ainsi, bien paramétrées et répondant aux objectifs assignés, ces modalités numériques favorisent l’expression humaine dans ce qu’elle a de vertueux. L’acte de décision, le respect moral, l’éthique dans le jugement ne peuvent pas être paramétrable. Le professionnel de la ressource humaine se concentre sur la relation à l’autre, avec ses techniques métiers, usant de son empathie et de son intelligence émotionnelle. L’outil est conduit par la main humaine, l’œil et l’intelligence. Un outil ne se substitue pas à la décision humaine. Mais cet outil, aujourd’hui numérique, digital, peut s’emballer lorsqu’un individu, ou groupe d’individus, aura manqué d’éthique dans sa programmation ou son utilisation.

    Le professionnel doit conserver « cette main » sur l’outil et non se laisser guider par lui. Le guide est l’homme et non l’inverse. Par exemple, en recrutement, selon l’étude « baromètre sourcing cadre » de l’Apec en 2019, confortée par celle de regionjob.com de juin 2020, l’emploi du numérique en recrutement est devenu massif. En effet, les canaux de recrutement sont devenus majoritairement numériques. Selon Médiamétrie 2019, 81 % des candidats cadres utilisent leur mobile pour la recherche d’emploi et 82 % d’entre eux surfent sur internet afin de se renseigner sur les employeurs potentiels. Néanmoins, il semble que 60 % seulement des entreprises communiquent auprès des candidats par internet ou au travers d’une application. Les efforts restent à faire… et cette étude fut réalisée juste avant le confinement de mars 2020 ! Les jobboards multidiffusent leurs annonces sur les réseaux sociaux professionnels. Ainsi, 53 % des recruteurs ont diffusé leur offre d’emploi sur les réseaux sociaux lors de leur dernier recrutement de cadres en 2019 (Étude Apec 2019, Baromètre sourcing cadres – rétrospective 2009-2019). Certaines applications proposent un partage d’annonces sur l’ensemble des canaux de distribution. Il suffit de mettre à disposition les ressources (humaines) pour suivre les actions et décider l’embauche d’un individu. Afin de favoriser cette numérisation-digitalisation du recrutement,  les entreprises investissent dans des  Applicant Tracking Systems afin de gérer l’ensemble du processus de recrutement. Les organisations doivent rendre cet investissement rentable, ce qui doit inclure la formation des collaborateurs en charge du déploiement et de son exploitation. Favoriser la prise en main, accompagner l’apprentissage et la vie de cet outil est un « l’enjeu majeur » et non se cantonner à l’acte d’achat de l’outil. Les individus intégrés au choix de l’outil et la formation sur celui-ci sont les mêmes qui verront ainsi leur métier s’améliorer, libéré de la servitude de la longue sélection, souvent pénible. De nouvelles méthodes de travail émergent mais, hélas, dans certaines organisations elles semblent faire jour pour répondre aux seules nécessités d’accueillir l’outil, au risque d’en oublier son but.

    Outils numériques des missions RH : La crainte de la perte de sens.

    Comment se garantir contre des fantasmes, des peurs, d’éventuels manque d’éthique dans l’utilisation d’outils numériques pour aider les actions en ressources humaines ?

    Si l’on considère que l’éthique et la morale sont étroitement liées (Siedel 1995), les principes moraux doivent rester inchangés, tels que le préconise Habernas (1992) pour qui l’éthique vise à fonder les principes moraux et à justifier les règles de l’action. Déterminer et participer à l’amélioration du bien commun demeurent les questions morales premières. L’éthique tient compte alors des contraintes de l’environnement et requiert de la part de l’individu la mise en œuvre des vertus sur lesquelles il base ses actions. Sans morale, pas de vertu, sans vertu, pas de choix et d’action éthique. L’utilisation qui verra la mise à l’écart de l’homme dans la transformation numérique serait ressentie comme immorale, sans vertu et donc absente d’éthique. Au contraire, si le développement d’outils numériques vise à libérer l’homme de servitudes et lui permet de déployer ses vertus dans l’action, l’éthique est non seulement conservée mais elle répond au bien commun, en prenant en compte l’évolution de son environnent. Les peurs, elles, restent bien souvent cramponnées à l’inconnu, d’abord économique puis psychologiques (la peur de perdre son emploi, celle de perdre la maîtrise de ses tâches, les latitudes décisionnelles, l’autonomie) sans que l’homme s’interroge sur la valeur de son action. L’individu doit donc passer du temps à apprendre à valoriser ses réflexions et ses actes là où les vertus conservent du sens. Il n’y de vertus qu’humaines. Dans le cas de la transformation numérique (des missions RH et autres fonctions) il s’agit de la peur du changement, tout simplement, et l’accompagnement bienveillant de cette transformation, outil par outil, en sera le cœur. L’individu a la nécessité de comprendre pourquoi et comment il travaille, de matérialiser sa contribution dans le collectif, peu importe avec quel outil il doit œuvrer.

    Cette “soif d’innovation”, qualification donnée par Le Bolzer dans les Echos (2018) peut également apparaître comme un miroir aux alouettes. Devant la kyrielle d’innovations qui est présentée nous pouvons tout d’abord trouver ces outils « géniaux » ou au contraire ressentir devant chacun une absence totale de vertu, puisque déshumanisés. L’automatisation, la robotisation liées au respect des sacro-saints processus peuvent pointer l’horreur du « hors norme ». Ce qui est hors cadre doit être éliminé ou du moins non retenu. La volonté de maîtrise et de contrôle est louable mais elle élimine la finesse de l’artisanat, de la créativité devant le process. Ces outils innovants cadrent nos décisions. Nous nous rassurons avec son aspect « rationnel ».

    Utiliser les innovations et apprendre à devenir raisonnable.

    L’intelligence n’est cependant pas uniquement composée de « raison », elle intègre « l’émotion ». Qu’est-ce qu’un cadre si ce n’est un espace vide et rigide ? Il appartient à l’homme de le remplir de ses bonnes intentions. Une machine – un outil – fusse-t-elle dotée d’une forme artificielle d’intelligence, n’est qu’un artifice sans vertu. Toutes les tensions humaines qui émanent de ces utilisations d’outils sont liées à la fois à la peur d’être supplanté par ces mêmes outils mais aussi par la crainte de la nouveauté. Se positionner comme utilisateur d’un outil nouveau n’est pas aisé pour tous les individus. L’exercice du métier des ressources humaines se modifie aujourd’hui de part cette profusion d’outils RH innovants. Le risque d’une inefficacité (mauvaise mise en place, remplacement de toute action humaine jusqu’à la décision, sabotage inconscient ou conscient, absence de formation) réside dans la peur. D’une peur naîtra une colère. Pour réduire ce sentiment il convient de dialoguer en comprenant et régulant l’émotion ainsi générée. Les acteurs qui mettent en place ces outils digitaux en ressources humaines comprennent la nécessité que leur entreprise devienne utilisatrice de ces modalités. Question d’image employeur, question de rationalisation des tâches en RH (sourcing, onboarding, formation, mobilité, administration, etc.). Le risque – et le frein potentiel – réside dans l’acceptation par les équipes de déployer et d’être à la hauteur ces mêmes outils. Ces initiateurs devront valoriser les missions où l‘homme peut exercer ses vertus (choisir un candidat après pré-sélection, aider un collaborateur qui rencontre des soucis de santé au travail, accompagner un manager dans le déploiement d’une politique d’intégration, solutionner un conflit social, etc.). L’arrivée des collaborateurs issus de générations très utilisatrices d’outils numériques favorise cette nécessité qu’ont les décideurs en ressources humaines à employer ses outils innovants. Les jeunes diplômés jouent et œuvrent sur les réseaux sociaux, entre autres, et c’est alors ici un lieu de rencontre entre eux et les organisations. (Dalmas 2019). Mais les collaborateurs issus de cette génération attendent plus d’humanisation et de cohérence dans leur traitement, tout en étant fort utilisateur de ces outils, la relation affective reste un moteur de leur motivation.

    L’utilisation de ces outils innovants doit s’exercer selon un principe de vertus partagées.

    Les perspectives peuvent apparaitre plus discutables. Les prédictions RH 2020 de Gartner, montrent les tendances quant à l’utilisation de l’IA par les organisations. Ces dernières peuvent s’avérer dangereuses par manque d’éthique. Une machine n’a pas d’éthique, son programmateur et ses utilisateurs potentiellement. L’action seule démontrera les vertus déployées.  L’agence France Presse rapporte que le 5 décembre 2020, Timnit Gebru, numéro 2 chez Google en charge des questions d’éthique liées à l’intelligence artificielle (IA) avait remis sa démission et que la direction l’avait acceptée, sans en préciser les motivations. En revanche, l’intéressée affirme sur son compte Twitter ne jamais l’avoir soumise ! Le manque de transparence tente à prouver un éloignement de l’éthique et des vertus pratiquées. Qu’en est-il de l’intelligence artificielle développée par Google ? Quel regard y porter ? Qu’en sera- t- il pour les recrutements, les mobilités, les développements de compétences ? Le degré de transparence est un véritable indicateur à l’exercice de l’éthique.

    L’enjeu des organisations est de conserver l’action humaine au cœur de ses processus car lui seul peut être le garant des vertus, malgré ses défauts. En France, comme dans la majeure partie des pays industrialisés, il est obligatoire, en réponse à la loi sur la prévention des risques de 1991, puis des amendements de 2010, d’y intégrer les impacts des nouvelles technologies de l’information. Ainsi une organisation se doit d’analyser les risques liés à une modification de l’activité par l’utilisation de nouveaux outils, et de proposer des mesures de prévention afin de participer à l’amélioration des conditions de travail. Il est indispensable que ces mesures se traduisent en actions de prévention, techniques, organisationnelles et informationnelles, les protections devant apparaitre à postériori de l’apparition du risque.

    Il n’est pas nécessaire de se précipiter sur l’outil digital RH par « mode ». Ces innovations, géniales ou inquiétantes ne sont l’œuvre que d’individus et ne demeurent que des outils. Ils sont programmés, déployés, utilisés par des collaborateurs. Une des mesures majeures de prévention consiste à s’interroger sur l’objectif poursuivi par la mise en place d’une innovation et de savoir comment l’utiliser. Il convient alors d’informer, de former, de motiver les futurs concepteurs et utilisateurs, d’accompagner dans le déploiement et toujours d’écouter les résultats des retours d’expérience et les craintes. L’homme doit comprendre la nature de sa tâche et savoir en quoi il participe au bien collectif, peu importe l’outil qu’il utilise.

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