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Marc Bidan
(marc.bidan@univ-nantes.fr) - Université de NantesSouleymane Kone
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Commençons par une bonne nouvelle. En effet, cette belle infrastructure ivoirienne est conçue pour contribuer à lutter contre la cybercriminalité et à assurer la souveraineté numérique de la sous-région. C’est l’un des plus puissants Data Center d’Afrique de l’Ouest que nous évoquons ici. Il est l’un des seuls qui puisse répondre aux normes de la classification Tier IV (cf. Tab1) avec des redondances (électricité, numérique) qui lui permettent d’assurer la continuité du service en toutes circonstances ou presque! Il est situé en Côte d’Ivoire sur la Zone franche de Grand-Bassam. Ce monstre de technologies occupe environ 1 450 m² de surface dont 420 m² uniquement pour la salle des serveurs informatiques. Il s’agit bien sur d’un des plus performant Data Center d’Orange Afrique (GSO) – avec une puissance électrique de 1,3 MW – et est en service depuis 2016 pour héberger les plateformes de services des diverses filiales du groupe Orange de la zone Middle East Africa (MEA). Il a aussi pour objectif d’accueillir les applications et les données des clients Entreprises de la sous-région. L’exploitation et la maintenance de cette usine à données a été confié en mai 2019 pour 5 années à un autre géant – Engie – qui s’installe donc localement comme opérateur majeur dans les services énergétiques. Le groupe vise en effet le leadership dans les services d’efficacité énergétique, d’installation et de maintenance.
De même, au Bénin, le développement du numérique a imposé la construction d’un Data Center sur le territoire. Il est implanté à Abomey-Calavi c’est à dire à environ 20 km au nord de Cotonou et fut inauguré par MTN Bénin en juin 2019 pour aider les administrations et entreprises du pays à stocker leurs données, applications et serveurs. Toujours dans la sous région, c’est fin décembre 2018 que le Togo a lancé le projet de construction de son premier Data Center et c’est au Sénégal que nous pouvons déjà observer trois Data Centers qui font de ce pays l’un des plus puissants centre de traitement de données de toute l’Afrique de l’ouest.
Certes, Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin et Togo sont plutôt en avance en Afrique de l’Ouest avec des partenaires comme Orange, Free et MainOne (câbles sous-marin) mais ils restent en retard par rapport aux équipements déjà disponibles en Afrique du Sud notamment à Johannesburg. Ce pays situé tout en bas du continent a vu arriver dès 2015 les grands opérateurs du cloud comme IBM (avec Vodacom, IT Gijima et SAP) , AWS (Amazon) ou encore Microsoft (MS Azure). Il est donc logique, selon des données de 2018 – donc avant la crise sanitaire Covid19 – qu’il héberge à lui seul la moitié des infrastructures cloud du continent soit 40 Data Centers sur les 80 que compte l’Afrique avec une forte dispersion des 40 autres sur l’Afrique du Nord, de l’Ouest et de l’Est mais quasiment aucun situées au Centre du continent. A simple titre de comparaison, en France il y avait environ 200 data centers en 2018 qui étaient situés dans la grande périphérie (là où le terrain est moins coûteux) des métropoles technologiques et universitaires telles que Paris, Grenoble, Bordeaux, Nantes, Lyon, Lille, etc.
Pour contextualiser la situation mondiale,toujours selon des données datant de 2018, il n’y avait que 1,3% des data centers mondiaux qui étaient localisés sur le continent africain c’est à dire moins d’une centaine comme nous venons de l’évoquer. Concrètement, il y en avait 40%, 30% et 10% qui étaient situés respectivement aux USA , en Europe et en Asie. Pour comprendre cette répartition plutôt inéquitable et qui fragilise grandement la souveraineté numérique du continent, il faut revenir aux fondamentaux des usines à données. Leur présence dans les zones tempérées – voire froides – du globe s’explique en grande partie par la proximité des populations consommatrices et productrices de données (donc les pays riches), par la santé économique des continents évoqués (ces infrastructures coûtent des millions de dollars à construire puis à exploiter) mais aussi par des caractéristiques géotechniques et géologiques. Il faut, en effet, ne pas négliger qu’un data center a besoin d’eau, d’électricité, de béton, de verre, de plastique, de cuivre, de terres rares, de compétences humaines (ingénieurs et techniciens), de sécurité interne et externe (ni guerre, ni guérilla, ni conflit, ni coupeurs de routes) et qu’il n’apprécie guère la chaleur, les perturbations sismiques, le sable, l’humidité et l’instabilité. Enfin, il doit être connecté en permanence – temps d’arrêt annuel de moins de 2h pour obtenir une classification tier III – aux réseaux énergétiques surtout électrique et bien-sûr internet – par câble sous marin par exemple, d’où la proximité du littoral.
Le tableau ci-dessous rappelle combien la classification de sécurité et de fiabilité des Data Centers (nommée Tier 1 à 4) est plus ou moins exigeante selon le niveau recherché mais il souligne aussi que même le Tier I exige moins de 30 heures de non fonctionnement sur une année !
Tier I | Tier II | Tier III | Tier IV | |
Redondance des équipement | 1 | 2 | 2 | 2 N+1 |
Redondance électricité, climatisation et générateur | Non | Oui | Au moins doublé | Au moins doublé |
Alimentation | Réseau unique | Réseau unique | Réseau doublé | Réseau doublé |
Composants de secours | Non | Non | Non | Oui |
Alimentation des composants | Non | Non | Doublée | Doublée |
Refroidissement en continu | Non | Non | Non | Oui |
Temps d’arrêt annuel maximum | < 30 heures | < 22 heures | < 2 heures | < 48 minutes |
Durée de réserve des générateurs de secours | 12 Heures | 12 Heures | 12 Heures | 12 Heures |
Tableau 1 : Classification de la sécurité et de la fiabilité des Data Center de Tier 1 à 4 (source : Uptime Institute Issued Awards)
En conclusion, ce cas d’application relié au numéro spécial pays émergents s’inscrit dans la suite logique de la dernière conférence de l’AIM de juin 2020 qui eut lieu en ligne et donc peu ou prou grâce à un ou plusieurs Data Center pour piloter et adresser nos contenus et garantir la stabilité de nos visioconférences ! Il convient d’insister ici sur la situation assez inconfortable du continent africain qui n’est pas encore – loin de là – en mesure de maîtriser sa souveraineté numérique mais qui semble quand même sur la voie d’une prise de conscience bienvenue et opportune.
A ce propos, la problématique des données personnelles – et donc de la souveraineté au sens du RGPD européen ou Patriot Act américain – n’est pas tout à fait au centre des préoccupations. C’est pourquoi à cause du manque d’équipement sur place, de l’absence de législation spécifique et d’une confiance limité en la fiabilité des infrastructures existantes, les données sensibles africaines sont hébergées à l’étrangers. Cette situation de dépendance numérique ne peut durer et elle doit évoluer vers la souveraineté et un peu plus d’autonomie. C’est pourquoi même si seulement 3 nations – Sénégal, Ile Maurice, Togo – parmi les 13 signataires mettent actuellement en oeuvre la convention de l’union africaine qui concerne la cybersécurité et la protection des données personnelles (dite convention de Malabo), il faut les accompagner et les encourager.
Bibliographie
Sources web : https://mns-consulting.com/le-cloud-en-afrique-subsaharienne/
Sources académiques : Frimousse, S., & Peretti, J. M. (2020). Les répercussions durables de la crise sur le management. Question (s) de management, (2), 159-243. https://www.cairn.info/revue-questions-de-management-2020-2-page-159.htm
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