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Gouvernance opérationnelle adossée aux SI de santé au Burkina Faso

  • Résumé
    Cet article s’intéresse aux SI de santé en Afrique subsaharienne. Il est basé sur le corpus théorique des SI et plus particulièrement sur la littérature liée à la transformation organisationnelle relayée par le modèle de Besson et Rowe. Notre démarche méthodologique est qualitative et s’appuie sur l’étude d’un cas emblématique au Burkina Faso. Elle nous a permis de souligner que la gouvernance transformationnelle, adossée aux personnels et technologies, est orientée vers une transformation structurelle, processuelle et communicationnelle soutenue par une gouvernance hospitalière intégrée, informée et alignée. Nous montrons que face au concept de gouvernance, déroulé en contexte subsaharien, une démarche opérationnelle de gouvernance hospitalière « intégrée » par les SIS, se doit d’être resituée dans un cadre «méso-économique e-santé – » et de la responsabilité sociétale naissante des hôpitaux d'autant plus que le contexte sanitaire est perturbé depuis 2020.
    Citation : Semde, A., Traore, Y., Some, L., & Semde, A. (Sep 2020). Gouvernance opérationnelle adossée aux SI de santé au Burkina Faso. Management et Datascience, 4(5). https://doi.org/10.36863/mds.a.14018.
    Les auteurs : 
    • Abdoulaye Semde
      - Université Nazi Boni (Bobo-Dioulasso) - Aube Nouvelle (Ouagadougou)
    • Yacouba Traore
      - Université Nazi Boni, Bobo-Dioulasso
    • Lucain Some
      - Université Aube Nouvelle Ouagadougou
    • Adama Semde
      - Université Nazi Boni, Bobo-Dioulasso
    Copyright : © 2020 les auteurs. Publication sous licence Creative Commons CC BY-ND.
    Liens d'intérêts : 
    Financement : 
    Texte complet

    Introduction et mise en contexte burkinabé

    Avec un système de santé plus embryonnaire, peu médicalisé et sans tiers payant, et en attendant la couverture sanitaire universelle, seuls les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes bénéficient de la gratuité des soins au Burkina Faso. Cette situation tend à remettre en cause la légitimité sociale, organisationnelle et institutionnelle de l’hôpital burkinabé avec, en toile de fond, un défi informationnel lié à un processus de transformation et d’adaptation actuellement en cours. Ce besoin de transformation fut clairement réaffirmé lors de l’adoption en décembre 2017 de la récente loi N°057-2017/AN relative à la fonction publique hospitalière (FPH). Ces nouvelles réformes engagées par les politiques actuelles pour le secteur hospitalier placent les Systèmes d’Information de Santé (SIS) au cœur des stratégies hospitalières. Ces réformes portent essentiellement sur trois obligations : la continuité des services de santé, la garantie de la qualité des soins et l’obligation pour le personnel sanitaire d’offrir leur temps au service public. En contrepartie, cette loi offre des droits au personnel de santé à savoir : 1) l’amélioration du plan de carrière et des conditions de travail des agents de santé et 2) l’amélioration de la rémunération des agents de santé. Il s’agit d’une prise de conscience des défis de la gouvernance auxquels l’hôpital burkinabé fait face et du rôle des SIS dans la création des « capacités créatrices collectives » à même de le conduire vers une meilleure intégration des acteurs et de leurs besoins informationnels. De ce fait, les SIS sont un impératif à la gouvernance des établissements hospitaliers tel que le Centre Hospitalier Régional (CHR) de Gaoua – hôpital de deuxième niveau dans la pyramide sanitaire – situé dans le sud-ouest du Burkina Faso. Le CHR de Gaoua, malgré ses ressources limitées, constitue un cas emblématique. En effet, contrairement à l’hôpital Universitaire Tengando à Ouagadougou, avec son concept d’hôpital numérique (Semde et al., 2017), le CHR de Gaoua, avec des ressources limitées, a entrepris une reforme de modélisation du service public avec l’arrivée à sa direction de Monsieur Seydou NOMBRE en 2013. Ce processus de transformation vise à optimiser ses ressources et à améliorer sa légitimité ternie par des conceptions théoriques (mais parfois objectives) de la population de son aire géographique.

    Cet article présente le cadre général d’une gestion opérationnelle de la gouvernance transformationnelle adossée aux SIS. Ensuite, face à la diversité de l’information et la limite des ressources, cet article a pour objet de présenter le modèle de gouvernance hospitalière intégrée (GHI) adossée aux SIS frugaux avec les implications au niveau organisationnel. Ce faisant, dans quelle mesure la gouvernance opérationnelle peut-elle s’appuyer sur les SIS pour amorcer les réformes organisationnelles au sein de l’hôpital régional de Gaoua ?

    De la gouvernance transformationnelle intégrée adossée aux SIS

    Au-delà des mécanismes de régulation de l’activité, la problématique de la gouvernance hospitalière peut être appréhendée comme un construit social fondé sur la nécessaire pondération des différentes contradictions d’acteurs en présence (Christophe, 2013). Il s’agit de tenir compte des possibilités offertes par les SIS dans la coordination des activités devant conduire à l’implication des différents acteurs afin de trouver un certain équilibre entre les attentes sociales et le service réalisé. Avec une tendance actuelle qui se tourne vers l’extérieur, la gouvernance hospitalière ne doit plus se limiter aux frontières de l’organisation mais doit être intégrée et intégrative. Cela requiert une gouvernance innovante visant à prendre en compte le concept d’écosystème d’innovation afin d’intégrer les contraintes organisationnelles (Oruzabala, 2018). En effet, les contraintes financières introduites par la FPH et la volonté affichée des acteurs de repenser l’offre hospitalière, ont marqué la fin d’une approche strictement médicale de la qualité par une vision commune des acteurs parties prenantes au travers des 3C – la collaboration, la coordination et la coopération – afin d’amorcer l’engagement collectif (Kernaghan, 2009).

    En effet, une coordination, une collaboration et une coopération efficace au travers d’un SIS finalisé, permettent de créer et d’adopter de nouvelles capacités collectives afin de partager les ressources, de renforcer les compétences professionnelles (Kefi, 2011), de construire et d’entretenir un climat organisationnel favorable à l’expression des potentialités individuelles et collectives. De ce fait, la pérennité de l’organisation semble presque impossible à obtenir sans un apprentissage organisationnel (Reix et al., 2016) et une culture organisationnelle pour s’adapter à l’hostilité environnementale (Mintzberg et al., 2002). Ce faisant, les SI et les phénoménologies de la transformation sont liés, (Besson et Rowe, 2011). Selon ces auteurs, les SI sont essentiels pour la transformation parce qu’étant la base de la stratégie et des pratiques évolutives appelées boucles récursives entre l’ « in-formation » et l’organisation. Par ailleurs, de par son rôle de coordination organisationnelle, les SI contribuent à vaincre les inerties structurelles mais sans se préoccuper de la construction de l’organisation nouvelle compte tenu des difficultés de transformation liée au poids de son passé et de son enracinement organisationnel. En outre, les SI participent au processus de transformation et permet à la gouvernance de concevoir l’organisation comme un centre de formation, de transformation culturelle et comportementale des acteurs, de création de valeur et de sa livraison aux différents acteurs. Enfin, l’évaluation des résultats de la transformation peut se faire de deux manières : l’évaluation en termes de risque d’échec et l’évaluation en termes d’adaptation.

    Les SIS comme vecteur et socle de gouvernance transformationnelle

    Le développement des SIS du CHR de Gaoua a contribué au décloisonnement et à « faire violence » sur l’hôpital pour créer un cadre favorable à une prise de « conscience collective » et à l’implication des acteurs nécessaire au « désenkystement organisationnel ». Au-delà de la volonté des politiques, deux principales raisons ont motivé la transformation au sein de l’hôpital selon nos interviewés.

    Premièrement, le besoin d’ouverture de l’hôpital tant à l’intérieur qu’à l’externe pour prendre en compte la société de consommation informationnelle, la modélisation du service et la promotion du travail collaboratif. A ce propos, G3 affirme que : « Notre souci d’être à l’écoute des patients et du personnel nous a conduit à créer les conditions optimales pour répondre aux besoins des acteurs ». Au niveau interne, l’accent est mis sur la communication à travers les outils administratifs, les échanges individuels au cas par cas, la flotte téléphonique et l’amélioration de la connectivité internet. De ce fait, G11 soutient que « … Notre SIS, … tend à remplacer les blâmes parfois nuisibles à la cohésion sociale … » et G1 de renchérir : « Sans information, pas d’implication ni de communication et sans communication pas de soins efficaces ! ». Au niveau externe, une initiative « d’éducation » des populations sur la vie de l’hôpital organisée annuellement à travers des journées portes ouvertes, des émissions radiodiffusions avec la population, soutenu par des outils marketing, a permis la création d’une unité de néonatologie pour répondre aux attentes sociales.

    Deuxièmement, le mode de management a connu des évolutions positives à travers une réelle implication du premier responsable. Economiste de santé de formation, le premier responsable de l’époque (2012 – 2018) incarne un leadership transformationnel à travers un management implicatif ayant permis d’amorcer les processus de transformation organisationnelle. Pour lui, la priorité était de faire prendre conscience de la situation actuelle et de la nouvelle vision de développement. Outre, les formations se rapportant à chaque catégorie professionnelle, deux autres formations ont été initiées. La première se rapporte aux SIS et la deuxième sur le processus de production et de gestion de la qualité des prestations de services (adoption de la méthode 5S). L’objectif de ces formations était d’améliorer la dynamique organisationnelle à travers l’innovation dans les pratiques professionnelles et dans les relations interpersonnelles. Egalement, la direction générale veille à récompenser individuellement ou collectivement les acteurs internes engagés dans les initiatives d’amélioration des processus organisationnels (mise en compétition des services dans l’application des 5S).

    Discussion et Conclusion : (re)mise en contexte sub-saharien

    L’étude terrain au CHR de Gaoua nous a permis de souligner que la gouvernance transformationnelle, adossée aux SIS, est axée sur trois approches essentielles à savoir : l’approche processuelle, l’approche « personnel » et l’approche structurelle. Ces trois approches combinées peuvent expliquer 1) l’amélioration de la qualité globale de l’offre de soins et de services, 2) la meilleure productivité des soins, 3) un niveau de satisfaction patient très acceptable (93%) et 4) une baisse significative des indicateurs intra-hospitaliers. Ces résultats semblent être en adéquation avec le modèle de Besson et Rowe. Autrement, malgré le caractère basique et frugaux des SIS, et au-delà des technologies pour leurs apports dans l’amélioration des processus organisationnels, d’autres possibilités sont envisageables dans les pays émergents. Parmi ces possibilités, le leadership managérial soutenu par les « slack ressource », (Soparnot, 2009), la dynamique de groupes de travail et la communication (Christophe, 2013)  associés à la téléphonie mobile, sont susceptibles de répondre aux besoins informationnels et de traitement de l’information.

    Apports, limites et perspectives

    Les principaux apports de cette étude de cas sont plutôt théoriques et managériaux. Les apports théoriques renvoient aux fondements de la gouvernance hospitalière intégrée qui ne doivent pas se limiter aux 3C, mais doivent se situer également dans un cadre communicant d’où la nécessité d’associer un quatrième C à savoir la Communication. La communication constitue un déterminant majeur dans la mise en œuvre des 3C car la gouvernance transformationnelle requiert du temps et de l’énergie. Aussi, nous suggérons un prolongement du modèle intégrateur des phénoménologies de transformation de Besson et Rowe par une cinquième thématique, la communication transformationnelle et qui semble avoir été oubliée. Ces résultats apportent une plus-value dans la gouvernance en contexte sub-sahélien. Elles incitent les managers à (ré)-situer les modes managériaux par une gouvernance adaptative intégrée, informée et alignée (Kefi, 2011), fondée sur l’écoute terrain, l’observation in situ, le déploiement d’un SIS finalisé pour soutenir les processus organisationnels (Christophe, 2013). En ce sens, ils doivent être mis en contexte qui recentre la gestion opérationnelle des établissements hospitaliers avec les parties intéressées au cœur des processus de transformation. Dès lors, nous suggérons un cadre d’analyse contextuel sur la gouvernance hospitalière intégrée (GHI).

    Les principales limites de cette recherche sont principalement méthodologiques. La proposition du prolongement du modèle de Besson et Rowe mériterait d’être testée longitudinalement par une recherche action. Car, orienter l’activité hospitalière vers le patient, dans notre contexte sub-saharien et burkinabé, c’est créer les conditions de transformation culturelle pour permettre à l’hôpital de s’ouvrir aux acteurs de l’extérieur, vecteurs d’innovation technologiques frugales et d’adoption d’applications e-santé nécessaires à pénétrer l’hôpital et son écosystème. C’est aussi permettre aux acteurs – soignants et soignés – d’apprendre ensemble travers des portails Web pour se confronter positivement à leurs capacités créatrices collectives qui ne demandent qu’à émerger.

    Les perspectives sont nombreuses mais dès que la problématique d’un projet SIS finalisé et de son adoption est évoquée, la numérisation, voire l’informatisation du dossier patient médicalisé, reste une épineuse et délicate question pour l’ensemble des acteurs intéressés du CHR de Gaoua. Cela signifie, comme par exemple dans le cas fameux des ERP, que la qualité des valeurs des SIS n’est pas uniquement appréciée sur la base de la qualité technique mais également sur la base de sa cohérence et de son adéquation avec les processus métiers (Christophe, 2013) de l’établissement de santé. Une gouvernance transformationnelle, pour parvenir au « désenkystement organisationnel et culturel » devra mieux explorer les conditions des échanges interpersonnels souvent tributaires de la diffusion de l’information compte tenu du caractère confidentiel des données. Elle pourrait donc s’appesantir sur le sens réel donné aux 4C en milieu hospitalier et l’apport de la solution technologique dans son amélioration afin de donner un sens à la gouvernance hospitalière intégrée.

    Bibliographie

    Besson, P., et Rowe, F., (2011), Perspectives sur les phénomènes de la transformation organisationnelle, revue Systèmes d’Information et Management, Vol. 16, N°1, pp 3-34, http://www.sietmanagement.fr/wp-content/uploads/2016/04/BessonRowe.pdf.

    Christophe, P., (2013), La gestion par processus à l’hôpital entre procédure et création de valeur, Revue française de gestion 2003/5 (n° 146), p. 191-204. DOI 10.3166/rfg.146.191-204, http://www.lutecium.org/www.ecole-lacanienne.net/documents/actualites/1137/gestion-par-processus-hpital.pdf,  consulté le 21/07/2017 08h52.

    Kéfi, H., (2011), Processus organisationnels et systèmes d’information et de communication : alignement et performance. La revue des Sciences de Gestion 2011/5 (n° 251), pp. 189-200, https://www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion-2011-5-page-189.htm.

    Kernaghan, K., (2009),  Vers une gouvernance publique intégrée : Améliorer la prestation de services par le biais de l’engagement communautaire , Revue Internationale des Sciences Administratives, 2009/2 (Vol. 75), pp 261-278, https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2009-2-page-261.htm.

    Mintzberg, H., B., Ahlstrand, B., et Lampel, J., (2002), Strategy Safari : a Guided Tour Through the Wilds, Journal of Strategic Management, pp. 171-179.

    Oruezabala, G., (2018), Vers des écosystèmes d’innovation spécifiques en Afrique subsaharienne ?, 3ème colloque international de l’université Aube  Nouvelle, Ouagadougou,  22 – 24  février 2018.

    Reix, R., Bernard, F., Kalika, M. et Rowe F. (2016), Système d’information et management, 7ème édition, Paris, Vuibert, Coll. Gestion, Août 2016, 480p.

    Semdé, A., Bidan, M., et Ouedraogo, S. (2017),  Vers un décollage des systèmes d’information en Afrique de l’Ouest ? , novembre 2017, http://theconversion.com/vers-un-decollage-des-systemes-dinformation-sante-et-de-le-sante-en-afrique-de-louest-87629.

    Soparnot, R., (2009), Vers une gestion stratégique du changement : une perspective par la capacité organisationnelle du changement, Management & Avenir 8/2009 (n°28), pp. 104-122, https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2009-8-page-104.htm.

    Annexes
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