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Déploiement du Financement Participatif de Proximité au Burkina Faso

  • Résumé
    Cet article s’intéresse aux éléments de contexte liés à une opérationnalisation de technologies innovantes telles que le financement participatif de proximité (FPP) en Afrique subsaharienne (Burkina Faso) impliquant des populations modestes dans le cadre de projets concrets (puits, pompes, énergie, plantation, etc.) La recherche est basée théoriquement sur les travaux de Shamba et Livian (2014) et sur ceux de Gallo (2017) et empiriquement sur une démarche qualitative investigant trois communautés villageoises (Arbollé, etc.) au sein desquelles furent testés des dispositifs type FPP. Nos résultats montrent qu'une mécanique d'aide – via les Organisations Non Gouvernementales ou via les communautés religieuses - malgré une efficacité sur l'urgence ont contribué à installer une logique de dépendance face à l’aide extérieure qui ne facilite pas l'implication des populations. Cette aide exterieure inhibe de facto les tentatives d'opérationnalisation du FPP. Toutefois, les apports potentiels du FPP semble entrer en cohérence avec les liens familiaux et la diversité des groupes ethniques notamment s'il est déployé au niveau de ce qu'il est possible de nommer le « bassin de vie ».
    Citation : Ramde, S., & Bidan, M. (Sep 2020). Déploiement du Financement Participatif de Proximité au Burkina Faso. Management et Datascience, 4(5). https://doi.org/10.36863/mds.a.14014.
    Les auteurs : 
    • Seydou Ramde
      - Université Aube Nouvelle (U-Auben)
    • Marc Bidan
       (marc.bidan@univ-nantes.fr) - Université de Nantes
    Copyright : © 2020 les auteurs. Publication sous licence Creative Commons CC BY-ND.
    Liens d'intérêts : 
    Financement : 
    Texte complet

    Mise en contexte subsaharien

    Sur le terrain, de façon un peu caricaturale, il est possible de remarquer que les populations des villages attendent que les mairies fassent quelque chose, les mairies à leur tour attendent que les ONG et/ou l’Etat fassent quelque chose, puis l’Etat et/ou les ONG locales vont à leur tour se tourner vers les partenaires financiers de l’extérieur notamment du Nord. Il semble donc qu’en dehors des taxes que les burkinabè consentent peu ou prou à payer, ils restent clairement absents des partenaires financiers qui accompagnent le Burkina Faso qui demeure l’un des pays les plus pauvre au monde. Ainsi, nous pouvons introduire cette recherche par l’un  des verbatim des villageois rencontré « dans tout développement, il faut un propulseur. Le peuple ne propulse pas car le concept ‘’peuple’’est une notion à la fois fictive et à la fois matérielle. Le peuple est matériel parce que tout simplement on voit les individus mais fictif parce qu’il ne peut pas déclencher seul le développement. Tout peut partir d’une communauté ou d’un groupe d’individus qui voudrait changer sa situation indésirée ».

    Concrètement, cette recherche fut confrontée à l’effritement de la confiance entre le peuple et les pouvoirs publics en particulier et les décideurs en général (Shamba & Livian, 2014) . Corollairement, cette confiance s’est reportée sur les communautés religieuses et coutumières que nous avons alors privilégiées comme parties prenantes de ce type de déploiement. Nous nous sommes donc posés la question centrale suivante : Dans quelle mesure les communautés coutumières et religieuses peuvent -elles s’organiser pour conduire collectivement les opérations de FPP au Burkina Faso ?

    Quelques précisions historiques sur le Financement Participatif de Proximité

    Nous pouvons nous référer aux travaux de Poissonnier & Bès, 2016 sur le crowfunding pour souligner que le crowdfunding – financement par la foule – est donc un type de financement participatif qui remonte à la nuit des temps Gallo, 2017 . Toutefois,  les outils de collecte et les  vecteurs de diffusion ont largement évolué avec la propagation de la téléphonie puis de l’internet. Cependant, l’utilisation des plates-formes de crowfunding en est encore à ses prémices en Afrique subsaharienne (Equipe Esprit de l’Entrepreneur, 2019). A ce propos, le Burkina Faso est clairement absent de ce type d’offre technologique et les plates-formes y sont quasi inexistantes (Club d’affaire Afrique, 2016) excepté concernant les tontines numériques et autres porte-monnaie électronique via la téléphonie mobile. Dès lors, pourquoi ce désert technologique ? Que faire pour y remédier et lancer quelques opération de déploiement FPP ?

    Quid du déploiement du FPP au Burkina Faso

    Éléments généraux liés à l’historique du pays des hommes intègres

    Certes, le Burkina Faso – pays des hommes intègres – a failli ne jamais exister (Observateur Paalga, 2010), sa population est modeste et reste largement tributaire de l’aide extérieure. De fait, elle participe peu au financement de son propre développement. Aussi, les programmes d’ajustement structurel  n’ont pas suffisamment abordé  les stratégies d’autofinancement du monde rural (Guissou, 1996). Il est donc logique que d’une part la population ne se perçoit pas comme un partenaire financier crédible et opérationnel et que d’autre part elle se méfie des investissements étatiques « Un de nos interlocuteurs sur le terrain souligne par exemple que « Quand les investissements de l’Etat sont « biodégradables », cela n’encourage pas la participation du peuple. Écoutez quand c’est le peuple qui finance, c’est difficile de faire des investissements biodégradables…le peuple va vouloir contrôler l’État et c’est ce que ces gens ne veulent pas ».

    Éléments liés aux dimensions politiques

    Dans le cadre de cette recherche, déroulée en contexte sanitaire et sécuritaire gravement perturbé, les plus hautes institutions du pays ont bien évidemment été approchées mais aucune ne s’est manifestée pour tester le FPP malgré nos demandes d’audience et propositions d’actions. Nous insistons ici sur le cas du ministère en charge de la jeunesse car il joue un rôle stratégique au travers de  son contact permanent avec la jeunesse qui en retour s’appuie sur ses réalisations pour apprécier le gouvernement. Nous soulignons bien sur l’existence d’une fronde et une défiance sociale, qui s’est installée depuis quelques années en même temps que se dégradait la sécurité dans le nord du pays, qui perturbe les lectures objectives des initiatives liées au financement participatif et qui les renvoie aux débats sur l’instrumentalisation des acteurs par et pour le pouvoir. Ces éléments à dimension politique et sociale ne facilitent pas la mise en place d’opérations tests de FPP et contribuent aussi à la prédominance d’un formatage à l’assistanat au sein des populations jeunes

    Éléments liés aux rôles des communautés religieuses

    Nous aborderons successivement les trois principales communautés religieuses du Faso pour souligner qu’elles financent largement et allègrement bon nombre de projets et donc – logiquement – que les fidèles restent individuellement assez inhibés face aux demandes de financement participatif de projets dont le périmètre, la nature et la taille restent pourtant modestes

    L’Eglise Catholique au Burkina Faso

    L’Eglise Catholique au Burkina est structurée en 15 diocèses autonomes entre elles. Le constat est que la plupart des sièges des diocèses sont construits à partir des fonds de l’extérieur. Ce qui pousse les fidèles à croire qu’il est également toujours possible d’avoir de l’aide extérieure pour des activités liées à l’église.  De plus,  l’OCADES CARITAS Burkina, principale structure d’appui au développement de l’Eglise Catholique, n’a pas clairement communiqué face aux communautés pour montrer comment les partenaires extérieurs mobilisaient les fonds. Cette pratique inhibe de facto la participation des fidèles catholiques et celles des communautés rurales bénéficiaires de l’aide qui restent enfermées dans une logique d’appartenance diocésaine et qui contribue à fragmenter la communauté catholique.

    La Fédération des Eglises et Missions Evangéliques (FEME)

    La FEME compte 14 dénominations et chacune d’elle est pilotée par un Président autonome. Pour participer au développement, la FEME a mis en place l’Office de Développement des Eglises Evangéliques (ODE). Un des verbatim de nos répondants est à ce titre intéressant sur l’histoire de l’ODE. Il explique la faible participation des églises et fidèles à son budget annuel en ces termes « c’est un problème historique, c’est un problème de mentalité, c’est un problème de conception. Sur le plan historique, quand on créait ODE, on a tout simplement dit, réunissez-vous, mettez en place une structure humanitaire, on va vous apporter de l’argent pour que vous puissiez aider les autres au Burkina. Et l’ODE s’est présenté aux bénéficiaires en disant indirectement, on a de l’argent pour vous…» (Répondant D6, entretien réalisé le 10 juillet 2019 à Ouagadougou).

    La FEME compte plus de 6000 églises et environ 2000 000 de fidèles (Sidwaya, 2010) pour tester le FPP mais là encore il semble difficile de désinhiber et d’impliquer les fidèles

    La Fédération des Associations Islamiques du Burkina Faso (FAIB)

    La FAIB est pilotée par quatre grandes associations (Le faso.net, 2015). Dans les réalités, la FAIB accueille la plupart des entrepreneurs localisés au Burkina Faso. Les investissements communautaires sont réalisés par ces entrepreneurs ou par des ONG issues du monde arabe. Le résultat est le même que pour les précédentes communautés et contribue à inhiber les fidèles musulmans qui font montre d’une faible participation au financement des petits projets

    Éléments liés aux collectivités territoriales, communes et autres « bassins de vie »

    Les communautés locales et les citoyens apprécient clairement le rôle et l’action du Maire par sa capacité à mobiliser les ressources extérieures. Toutefois, se mettre en réseau intercommunal pour expérimenter le FPP apparaît comme un risque explicite pour le Maire qui vise souvent à sa propre réélection au sein de sa commune et qui ne cible pas la dispersion de son action. Le maire est rationnel, ainsi, pour lui et son conseil, le FPP ne doit pas dépasser les frontières de sa commune. Ainsi, dans les villages, la proximité des contributeurs avec les projets à financer est un facteur déterminant pour le succès des opérations de FPP. En plus, le chef du village a un pouvoir sur les leaders des communautés religieuses présentes. Et ce fait constitue ce que l’un de nos répondants « appelle bassin de vie » (Répondant L9, entretien réalisé le 20 septembre 2019 à Ouagadougou).

    Notre recherche sur le terrain a montré – réitérant des travaux de 2014 – que plus les liens familiaux entre des ménages sont proches et ancrés géographiquement, plus les bassins de vie sont enclins à favoriser l’action collective. Nous soulignons que des résultats similaires montrent que « les prêteurs préfèrent les emprunteurs culturellement similaires et géographiquement proches » (Burth, Ghose et Wattal , 2014 : 773).

    Nous insistons enfin sur l’importance d’oublier, autant que faire se peut, la technologie support afin de relier le financement de ces projets concrets et modestes – pompes à eaux, puits, panneaux solaires, latrines, plantations de haies, etc. – à l’acceptation et à l’implication des acteurs du bassin de vie (BDV) auquel il se rapporte. Nous définirons ici le BDV comme le plus petit territoire géographique sur lequel des habitants auraient accès – ou pourraient avoir accès – à des équipements, outils et services basiques destinés à améliorer leur quotidien.

    Conclusion, apports, limites et perspectives

    Cette mise en perspective des difficultés de tester concrètement le FPP au Burkina Faso a permis de relever un certain nombre d’éléments contextuels à intégrer. Il conviendrait avant de tenter de déployer des technologies numériques perçues souvent comme inaccessibles et désincarnées – les plates-formes de crowfunding – de revoir les rôles et implications respectives des parties prenantes que sont l’Etat, la jeunesse, les femmes, les communautés religieuses, les collectivités territoriales, les communautés villageoises voire surtout les bassins de vie en ne négligeant pas l’accompagnement des chefs coutumiers. Le cas des communautés religieuses est différents car finalement elles gagneraient à d’abord travailler à opérationnaliser le FPP en leur sein sur des projets modestes et localisés avant de pouvoir « faire réseau » et envisager de participer au co-financement des projets de l’Etat. Gageons que le FPP – et sa logique créative et frugale de type « colibris » – reste mobilisable à l’échelle des bassins de vie qui pourront ensuite se mettre en marche pour financer des projets à l’échelle des collectivités territoriales

    Bibliographie

    Burtch, G., Ghose, A., & Wattal, S. (2014). Cultural differences and geography as determinants of online prosocial lending. Mis Quarterly38(3), 773-794.

    Enée, G. (2011). Les stratégies discursives du développement au Burkina Faso. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00626688/

    Guissou, B. L. (1996). Le Burkina Faso au-delà de l’ajustement structurel. Africa Development/Afrique et Développement21(2/3), 159-183.

    Poissonnier, A., & Bès, B. (2016). Le financement participatif: Un nouvel outil pour les entreprises. Editions Eyrolles.

    Ramde, S & Bidan M (2018). Le soum, le Faso et le FPP, https://theconversation.com/le-financement-participatif-de-proximite-le-cas-de-la-province-du-soum-au-burkina-faso-89662

    Ramde, S & Bidan M (2020). Le financement participatif de proximité : un atout pour l’Afrique de l’Ouest, https://theconversation.com/le-financement-participatif-de-proximite-un-atout-pour-lafrique-de-louest-139920

    Shamba, P. B., & Livian, Y. F. (2014). Le management africain introuvable : Pour une approche de l’hybridité segmentée.  https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01025783/document

    Autres Références

    Afrique Club d’affaires (2016). Le “Crowdfunding” en Afrique: https://docplayer.fr/28204870-Le-crowdfunding-en-afrique.html

    Equipe Esprit de l’Entrepreneur (2019). Les plateformes de financement participatif en Afrique noire https://www.espritentrepreneur.net/article/les-plateformes-de-financement-participatif-en-afrique-noire/1467

    Gallo, A (2017). L’exploitation des Big Data pour le Crowdfunding https://www.didaktic.fr/big-data/crowdfunding/

    Sidwaya (2010), Eglises et missions évangéliques du Burkina : Compassion internationale fait l’autopsie http://news.aouaga.com/h/11069.html

     

    Annexes
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