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Jean Babei
- ESSEC - Université de Douala (Cameroun)
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Introduction et contexte subsaharien
Les Systèmes d’information (SI) et leurs effets potentiellement bénéfiques dans les pratiques managériales sont devenus incontournables en Afrique comme partout dans le monde. Si ils sont correctement déployés, bien intelligibles et efficacement paramétrés, ils sont censés induire une bonne traçabilité tout en augmentant le volume des échanges et en réduisant les distances perçues entre partenaires. De plus, un rapport récent de la Banque mondiale (2018), révèle que la production économique mondiale augmenterait de 1,4 millions de dollars USA grâce à un usage accru des SI. Cependant les pays africains restent à la traîne en matière d’usage de ces technologies. Dès lors, l’Afrique est devenue le mur du monde selon une expression de F. Tannery en 2020. Le taux de pénétration d’internet en Afrique centrale est de 12%, contre 80% en France selon le rapport Digital Social Media in Middle Africa (mobile et e-commerce) de janvier 2018 par We Are Social et Hoot-Suite. Les raisons principales semblent être: le coût d’acquisition élevé de ces technologies et la délicatesse de leur entretien. Existent-ils d’autres raisons marquant le peu d’engouement observé en Afrique dans l’appropriation de ces SI? Quels sont les freins à l’émergence des SI en Afrique? Les SI dans un écosystème numérique, sont de véritables supports stratégiques pour un management plus efficace des organisations. Ils déterminent les actions de communication à mener sur les médias ou réseaux sociaux, le web, et les terminaux mobiles. L’information dématérialisée était jusqu’alors mise en ligne sur les sites Web corporate; il ne manquait aux entreprises qu’à la rendre vivante et interactive grâce aux médias sociaux; puis à en faciliter l’accès, à l’humaniser, en la mettant à disposition, sur des objets devenus familiers et ergonomiques. Nul doute, l’usage des réseaux sociaux à travers la multiplication des groupes Whatsapp par exemple pourrait bien être un levier de développement durable. Cet article comprend quatre parties: une revue synthétique de littérature, les résultats et leurs apports, une bibliographie suivie d’une note méthodologique.
Revue de littérature autour de l’efficacité des SI et des TI
SI, levier d’efficacité managériale
Plusieurs auteurs comparent la révolution numérique à la révolution industrielle du XIXe siècle (Autissier, Johnson et Moutot, 2014). Pour ceux-ci, la révolution industrielle, par l’invention de machines productrices de la force motrice, a permis à l’homme de se libérer des limites de sa force de production. La révolution numérique incarnée par la généralisation de l’info-télécommunication, est en train de proposer des machines avec des capacités calculatoires permettant une automatisation croissante des processus informationnels et transactionnels. L’informatique est couplée à la télécommunication pour créer des applications et systèmes partagés entre ordinateurs sans contraintes de temps, d’espace et à des coûts réduits. Nous parlons d’info-télécommunication pour illustrer ce qu’est internet, les réseaux sociaux et toutes les applications informatiques dites portables. Ces machines sont de plus en plus impliquées en Occident comme en Afrique dans les processus managériaux. Des prestations telles que les réservations de billets d’avions, d’hôtels, de spectacles, etc. se font de plus en plus par internet. Cela préfigure ce que nous pouvons appeler une mutation des usages. L’environnement sociétal pousse à proposer des solutions digitales pour un plus grand confort et ainsi s’affranchir de coûts de transaction élevés; ceci pour plus d’efficacité. A l’évidence, les managers sont de nos jours, de plus en plus aidés par des machines. Les TI permettent la célérité du traitement de l’information, favorisent les échanges d’informations et la traçabilité (Jorgenson et al., 2011). Deux types de territoires cohabitent aujourd’hui au sein des entreprises. Celui regroupant l’ensemble des territoires fonctionnels issu de la définition des postes, des responsabilités hiérarchiques et des compétences pouvant être modélisé par l’organigramme; et celui regroupant l’ensemble des territoires numériques issu de la définition des habilitations, des droits d’accès et les profils, et pouvant être modélisé par la matrice des habilitations (profils) au sein du système d’information de gestion (Bidan, 2006).
Un SI est un ensemble de processus formels de saisie, de traitement, de stockage et de communication de l’information basés sur des outils technologiques, qui fournissent un support aux processus transactionnels et décisionnels. L’étude des SI s’effectue dans un cadre organisationnel où ils sont implantés et utilisés. Ce qui fait que les SI sont un concept plus large que celui des Technologies de l’information (TI), c’est qu’ils comportent, en plus, des aspects non technologiques liés notamment aux actions et interactions entre acteurs qui font usage de ces SI. La technologie est l’application d’une technique à la conception et à la réalisation d’un produit (Reix et al., 2016). Les TI correspondent donc à des techniques permettant de saisir, traiter, stocker et communiquer de l’information. Les TI reposent sur le principe de codage électronique de l’information. La tendance actuelle est à la généralisation du codage numérique via le téléphone numérique, la télévision qui offre des gains de rapidité, de traçabilité et de sécurité. Parmi les technologies les plus marquées et les plus diffusées – y compris sur le continent africain – nous pouvons citer les progiciels type ERP (Enterprise Resource Planning) et CRM (Customer Relationship Management) mais elles sont souvent reliées à une offre on-demand (cloud computing, externalisation, plateformisation, etc.) qui renvoie aux problématiques de connexions et d’accès aux réseaux (électrique et internet)
SI, source de menaces en management des organisations
Comme pour la révolution industrielle, l’émergence de nouvelles technologies s’accompagne d’inquiétudes (Rogers, 2003), car elles modifient nos manières de travailler. L’arrimage aux TI induit de nombreuses transformations. Certains postes peuvent disparaître en l’occasion. À côté des technologies basées sur internet, des robots divers sont déjà mis à contribution. Cet état des choses bien que favorable pour le dirigeant qui compte faire des économies sur la main d’œuvre, affecte le climat de travail du fait des départs qu’elles engendrent. Les TI font maintenant partie du quotidien des africains. Les opportunités qu’elles offrent à leurs utilisateurs sont multiples. Toutefois, elles sont sources de plusieurs menaces parmi lesquelles le détour de production (Bohm-Bawerk,1929). Il désigne l’idée paradoxale qu’un investissement n’est pas immédiatement rentable et qu’au lieu de produire des gains de productivité, ils les détériorent d’abord pour les augmenter après un temps d’apprentissage. C’est un temps pendant lequel les salariés vont s’adapter à la nouvelle technologie. Les travaux de Davis(1989) sur le modèle TAM(Technology Acceptance Model) ont montré que le déploiement de la micro-informatique avait nécessité quatre ans dans certaines entreprises, parce qu’il fallait que l’ensemble des personnes voient l’ordinateur comme un outil de travail pour tous et non comme une super machine à écrire réservée au personnel administratif. Le changement de perception a ainsi crée de nombreuses expérimentations qui ont permis à cette technologie de trouver sa place et d’être un facteur de productivité. La notion de détour de productivité est reprise et vulgarisée par le prix Nobel de 1987 Solow. Il a été à l’origine de ce que l’on appelle le paradoxe de Solow. Il y a un décalage entre le moment de l’investissement informatique et les premiers effets sur la productivité. Les projets digitaux provoquent des reconfigurations, et les acteurs devront être aidés par des éléments organisationnels dans une logique adaptative selon DeSanctis et Poole(1994). L’exigence d’un certain niveau de revenu comme d’études (Tamokwe, 2013) est une autre menace. Une faible couverture du réseau électrique (Dakouré, 2004) et une instabilité criarde des connexions sont d’autres menaces dans le contexte africain (Melama, 2019). De nombreux risques informatiques sont également des menaces importantes. Les domaines à évoquer concernent les attaques sur les ordinateurs, les logiciels, les réseaux locaux à travers internet, l’espionnage industriel, les dénis de services, les connexions Wifi, les courriels, les cybercrimes et les atteintes aux personnes et la pornographie enfantine.
Mais si on doit se protéger contre toutes les menaces, certaines requièrent encore plus d’attention. Les discours tenus sur les SI ne sont pas tous en faveur de la promotion de ces dispositifs. La vulnérabilité est liée à l’acteur et au système. Le choix des dispositifs selon la taille de l’entreprise, ses réalités en dépendent.
Globalement les SI donnent lieu à des risques: opérationnels, stratégiques, culturels, juridiques et de dérive mécaniste. Ils sont sources de nombreuses formes de supercheries (e-criminalité).
Résultats et apports
Cette section restitue tout d’abord les résultats de l’étude empirique menée auprès d’un échantillon de SARL exerçant au Cameroun. Puis elle présente les apports de ladite recherche.
Exploration des obstacles à la montée des SI en Afrique
Des affirmations ont été proposées aux répondants. Le tableau suivant résume les proportions d’accord de ceux-ci.
Tableau 1 : Proportions d’accord des répondants.
Afin de valoriser chacun des présumés obstacles évoqués plus haut, nous avons retenu pour chaque question la proportion des gérants des SARL de l’échantillon en accord avec l’obstacle. La méthode a conduit tout d’abord à l’exclusion des données dites outsiders notamment 91%, 92% et 94% correspondant respectivement à Q1, Q2 et Q19 car ces valeurs traduisent un accord quasi total des assertions en question. La méthode se poursuit par la détermination du troisième quartile relativement aux données restantes des avis des gérants. Elle s’achève par la comparaison de la note de l’obstacle avec celle du troisième quartile.
Si la note de l’obstacle est au dessus du troisième quartile on conclut que l’obstacle est valide. En revanche si la note de l’obstacle est en dessous du troisième quartile on conclut que l’obstacle pourrait ne pas être valide. Les seize(16) notes d’obstacles à l’essor des TI en Afrique ont été rangées dans l’ordre croissant et le troisième quartile s’est situé entre 78% et 82% (78%˂Q≤ 82%). Ce résultat a conduit à la validation de quatre autres obstacles Q7, Q17, Q18 et Q12.
Finalement, la méthode a conduit à la validation de sept(07) obstacles sur les dix-neuf présumés. Un procédé plus souple, se fondant sur la médiane conduit à déterminer une médiane qui serait comprise entre 66% et 70% (66%˂Me≤ 70%). La comparaison de la médiane avec la proportion d’accord d’assertion suggère des chances considérables de validité des obstacles Q5, Q10, Q15 et Q13 qui ont une note de proportion d’accord supérieure à la médiane. Les huit(08) présumés obstacles non sélectionnés ne sauraient constitués des menaces.
Les statistiques des items Q1, Q2 et Q19 révèlent presque l’unanimité des gérants au sujet de la crainte du détour de production, des coûts d’acquisition et d’entretien élevés des SI et leur opportunité de nuisances. En effet, le temps d’apprentissage peut être coûteux et long. En Afrique un micro ordinateur portable de marque modeste, SAMSUNG par exemple coûte en moyenne 300.000Fcfa, montant qui n’est pas à la portée d’une population pauvre. Le continent est devenu par conséquent un cimetière de vieux PC et micro ordinateurs portables en provenance d’Europe, d’Amérique et d’Asie. Ceux-ci sont vendus à des prix abordables. Mais ils sont malheureusement responsables de plusieurs types de dangers et de pollution. De nombreux virus ou programmes malveillants sont quotidiennement conçus. Ils occasionnent des fraudes multiples et sont capables de bloquer le fonctionnement du SI. Par ailleurs, quatre items ont des scores supérieurs au troisième quartile Q7; Q12; Q17 et Q18 traduisant respectivement: l’instabilité des connexions, l’irreparabilité d’une diffusion d’une information inexacte, l’introduction facile d’une information erronée et les TI comme opportunité de fraudes. En Afrique et en particulier au Cameroun l’on entend fréquemment dire aux clients d’entreprises: «il n’y a pas de connexion» ou encore que : «la connexion est mauvaise». Ainsi la stabilisation des connexions est un bon préalable pour une pénétration aisée des SI. Nul doute, une information inexacte diffusée peut avoir des conséquences irréversibles. Donc l’usage des SI demande de nombreuses précautions. Les outils des SI sont en majorité tactiles, une action erronée d’un doigt peut avoir des répercutions importantes sur l’ensemble du système. L’usage des SI exige donc une parfaite concentration afin d’éviter des erreurs. Certes, les TI facilitent des fraudes (e-criminalité). Leur usage doit s’accompagner d’un recours à des codes d’accès et à des antivirus. Les SI requièrent de l’expertise que certains employés peuvent ne pas avoir. L’entreprise doit donc être capable de supporter ces coûts cognitifs liés à leur formation continue. Nos résultats ont également réduits l’ampleur de deux autres menaces pouvant être classées dans un même registre à savoir d’une part que les SI s’opposent aux décisions motivées par des liens culturels, etc. D’autre part que les SI s’opposent aux décisions motivées par l’appartenance à un genre ou à un groupe. En fait c’est le caractère d’objectivité des SI qui est révélé ici. Les répondants pensent qu’il s’agit d’obstacles mineurs. Une des raisons pourrait être la quasi inexistence de décisions prises de manière automatique car, en Afrique, la plupart des décisions émanent du dirigeant principal en mode autocratique. Il a été mentionné par exemple – et c’est une données fondamentale sur le continent qui renvoie à son oralité – que les SI ne facilitent pas la maîtrise de la confidentialité voire de l’opacité de l’information. Cet obstacle qui peut paraître incongru a toutefois reçu l’accord de 58% des répondants mais reste en deçà du troisième quartile et de la médiane. Il est donc encore évolutif et ne peut constituer une menace pérenne.
Gageons que cette recherche puisse aborder par la suite les atouts et opportunités des SI et montrer que les freins actuels ne sont pas – ne peuvent pas rester – insurmontables. Certes, de nombreux travaux ont déjà été consacrés aux adoptions des SI en Occident, mais en Afrique, ce type de recherche reste assez peu fréquente car l’accès à l’information et aux perceptions des dirigeants – ce sont des données sensibles – restent finalement peu aisé. Les SI et les TI renvoient aux processus d’aide à la décision et aux mécanismes de transmission du pouvoir ce qui constitue une riche thématique de recherche et dont la spécificité est forte sur le continent.
Bibliographie
Autissier D., Johnson K. J. et Moutot J.-M.(2014), La conduite du changement pour et avec les technologies digitales, Question(s) de management, n°7, pp.79-89.
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Michel S. et Bidan M.(2018), Proposition de caractérisation de la logistique humanitaire à la lumière de MSF Log: un fort couplage du système d’information et de la supply chain, Logistique & Management, vol. 26, n°3, pp.156-167.
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Rogers E. M.(2003), Diffusion of innovation, 5th edition free press, New York.
Tamokwe P. G. B.(2013), Les déterminants de l’accès et des usages d’internet en Afrique subsaharienne : analyse des données camerounaises et implications pour une politique de développement des TIC, Réseaux, n°180, pp.95 – 121.