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COVID19 – L’imaginaire de la virtualisation contre l’effondrisme ambiant

  • Résumé
    Le Covid 19 pose des questions de régulation des relations sociales et professionnelles. Face à cette situation de crise, des discours effondristes émergent, annonçant la fin prochaine de la civilisation technicienne.  Contre cette mentalité négative,  on retrouve un imaginaire davantage utopique, faisant notamment la promotion de la technologie, et particulièrement du virtuel, pour permettre à la société de retisser du lien et de continuer à fonctionner malgré le Grand Confinement.
    Citation : Michaud, T. (Avr 2020). COVID19 – L’imaginaire de la virtualisation contre l’effondrisme ambiant. Management et Datascience, 4(2). https://doi.org/10.36863/mds.a.12782.
    L'auteur : 
    • Thomas Michaud
       (michaud.thomas@yahoo.fr) - CNAM
    Copyright : © 2020 l'auteur. Publication sous licence Creative Commons CC BY-ND.
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    Texte complet

    L’épidémie de Covid 19 s’accompagne d’une mentalité effondriste, consistant à considérer que l’économie et la société connues jusqu’alors vont s’écrouler et mener à une nouvelle ère dans laquelle la morale sera repensée et les habitudes profondément changées. Depuis quelques années, les collapsologues publient de nombreux livres (Servigne et Stevens, 2015), fréquentent les plateaux télévisés, et profitent du réchauffement climatique pour annoncer la fin des temps. Même les technologues ont leur prophétie de malheur avec la singularité. Avec le virus, et l’avenir éminemment incertain, les critiques de la société sont de plus en plus virulents, estiment que les pays les plus touchés sont condamnés à une fin certaine. Les ennemis de l’Occident et de la Chine, à la tête desquels se trouvent les djihadistes, estiment même que le Covid 19 est un châtiment divin envoyé pour punir l’impiété des sociétés qui en sont les victimes. La pensée effondriste prospère sur la catastrophe collective et colonise les consciences, qui finissent par douter de la viabilité de leur système social, politique et économique. Face au risque de dissonances au sein de la civilisation, on assiste à la confrontation de deux imaginaires majeurs, dont l’issue pourrait bien mener à l’adaptation des individus à ce péril considérable. L’imaginaire d’Internet (Flichy, 2012), et de la virtualisation, pourrait contrecarrer les plans d’une pensée négative condamnant la société à un échec inéluctable, dans une perspective dépressive et pessimiste dangereuse pour la dynamique de la société et du capitalisme.

    L’imaginaire diurne du virtuel

    L’imaginaire de la virtualisation du monde a contribué depuis les années 1980 à informatiser la société et envisage de prolonger ce mouvement dans les prochaines décennies avec des innovations majeures comme les casques de réalité virtuelle devant mener à des technologies immersives de plus en plus sophistiquées permettant des relations numériques indiscernables de la réalité. À moyen, voire long terme, l’humanité vivra essentiellement dans le virtuel, déconnectée d’un réel soumis à la violence, à la misère ou à des épidémies, selon les auteurs de science-fiction (Michaud, 2018). Jean-Michel Truong, dans Le Successeur de Pierre, était particulièrement prophétique. Le roman se déroule en partie en 2032, alors que la Grande Peste a provoqué le Grand Enfermement de la population humaine dans des mégalopoles pyramidales dont il est interdit de sortir pour  éviter d’être contaminé. Les humains vivent dans des appartements, les cocons reliés entre eux par des systèmes de réalité virtuelle leur donnant l’impression de pouvoir voyager, de se rencontrer, grâce notamment à la technologie du polochon. Écrit en 1999 à l’époque de l’euphorie liée à la bulle spéculative sur les technologies de l’information et de la communication, ce roman était étonnamment précurseur de la situation vécue par l’humanité à l’ère du Covid 19. Une épidémie la condamne au confinement et il n’est plus possible de se connecter aux autres que par le biais des écrans et d’Internet. Sortir est fortement déconseillé, voire interdit, et les villes sont devenues désertes, à l’inverse des mondes virtuels, qui accueillent le lien social. La science-fiction a à de nombreuses reprises abordé le thème de la désertification du réel en raison de la prédominance du virtuel sur la société. Les univers cyberpunks, et par exemple le roman de Jean-Marc Ligny Inner City, montrent souvent les aspects négatifs de la virtualisation, bien que celle-ci provoque une migration des plaisirs humains dans les simulations informatiques. L’auteur évoque ainsi un Paris dont la population connectée est coupée de sa banlieue. Le film Virtual Revolution relaie cette thématique. Des révolutionnaires s’opposent à ce phénomène, la ville se vidant de ses habitants ultraconnectés aux mondes virtuels. Finalement, les terroristes opposés à l’abrutissement de la population par les verses, nom des mondes virtuels, sont matés par une contre-révolution d’usagers qui ne souhaite que protéger une technologie extatique qui supplante avantageusement un réel déprimant et bien moins valorisant socialement et humainement. L’imaginaire est particulièrement révélateur de la tendance de la société à s’équiper en technologies de communication. Bien que ces dernières soient critiquées pour leur tendance à isoler et à détruire le lien social, elles se révèlent particulièrement utiles à l’ère du Covid 19 pour assurer la survie sociale de bon nombre d’individus. Le confinement pourrait être vécu comme un drame par des millions de personnes seules ou éloignées de leurs familles. Mais Internet assure le lien social, les réseaux sociaux jouent un rôle substitutif, et une grande partie de l’économie, immatérielle, peut se dérouler presque normalement, grâce aux réseaux informatiques. Sans Internet, la crise serait bien plus grave, et l’effondrement serait bien plus probable. D’ailleurs, que nous dit l’imaginaire effondriste des épidémies ?

    L’imaginaire nocturne de l’épidémie

    Les films et romans ont à de nombreuses reprises traité de crises sanitaires majeures. Cet imaginaire macabre, « nocturne » pour reprendre la terminologie de l’anthropologue Gilbert Durand dans Les structures anthropologiques de l’imaginaire (1960), joue le rôle de catalyseur, voire d’annonciateur de cataclysmes majeurs. Les fictions de zombies se sont ainsi multipliées ces dernières années. Des séries comme The Walking Dead ou Z Nation, se déroulent dans un futur proche ou un virus transforme la population en zombies, monstres sanguinaires qu’il faut exterminer avant d’être contaminé. Dans le roman de Max Brooks World War Z, le monde est victime d’une épidémie de zombies qui trouve son origine en Chine. Il faut des miracles pour que la civilisation survive dans un monde soumis au chaos et à la désolation. Les gouvernements disparaissent. L’anarchie règne, et même l’armée peine à survivre dans un contexte où les humains peuvent être contaminés à tout moment. L’économie industrielle telle que nous la connaissons est bien entendu intégralement sinistrée, et c’est la survie qui prend le dessus. La philosophie survivaliste, particulièrement diffusée en Amérique du Nord, a beaucoup inspiré les collapsologues, en envisageant les conséquences d’un cataclysme climatique ou naturel majeur sur la civilisation. Certains évoquaient même une épidémie comme une source possible d’effondrement avant la crise du Covid 19. Les fictions de zombies sont une métaphore de la peur épidémique dans les pays développés. Elles touchent à un imaginaire collectif qui est réactivé à l’occasion de crises bien réelles, au point de pousser certains à considérer ces récits comme prophétiques.

    Les imaginaires, entre métaphore et prospective

    S’il serait exagéré de considérer l’accumulation importante et la mode de la zombie culture ces dernières années comme la manifestation d’un inconscient collectif prophétique, il est intéressant de considérer de quelle manière la science-fiction virtualiste a alimenté les représentations des innovateurs dans le secteur des technologies du virtuel, au point de favoriser l’équipement rapide des territoires. Internet et la nouvelle économie sont les grands gagnants de cette crise sanitaire. Un auteur comme Truong avait bien perçu de quelle manière l’enfermement de milliards d’humains dans de petites structures de vie en les interconnectant virtuellement pouvait sauver l’humanité de la disparition sous l’effet d’un virus dévastateur. Le roman va cependant plus loin, montrant que la décision du Grand Enfermement correspond à la politique d’une caste pour conserver le pouvoir, en interdisant à la population de sortir sous prétexte de lui sauver la vie. Les technologies ont donc une dimension ambivalente. Elles permettent d’une part de rendre plus vivable le confinement, mais elles peuvent aussi à terme devenir une modalité de contrôle social. Les téléphones portables sont ainsi accusés de permettre le traçage des individus, sous prétexte de leur donner des informations sur l’éventuelle contamination des personnes croisées lors de leurs déplacements. Plusieurs députés et décideurs politiques se sont opposés à une utilisation immodérée des technologies et des données personnelles pour gérer l’épidémie. Pourtant, la médecine pourrait beaucoup enrichir ses résultats et ses protocoles d’études en accédant aux données personnelles de millions de patients. La science-fiction imagine une population pucée, contrôlée par une médecine omniprésente capable de détecter les moindres signes avant-coureurs d’une pathologie, de prendre en charge immédiatement les individus, et repoussant la mort à tous les instants. Mais cette utopie d’une santé parfaite (Sfez, 1995) alimentée par un imaginaire science-fictionnel instrumentalisé par le capitalisme et la R&D, est aussi potentiellement liberticide, comme le montre le roman du Japonais Project Itoh Harmonie.

    La crise du Covid 19 met sur le devant de la scène deux secteurs majeurs, les télécommunications et la médecine, censés garantir la survie du lien social et de la santé face au virus. Le management des entreprises passe de plus en plus par le télétravail, qui n’en demandait pas tant pour s’institutionnaliser, après des mois de tâtonnements, liés notamment à des hésitations sur la viabilité psychologique de l’isolement des travailleurs face à leur outil de production. L’expérience du confinement permettra d’évaluer de quelle manière cette nouvelle pratique s’est développée, si la souffrance psychique s’est accrue, si la productivité en a été impactée, et si ce modèle est viable sur le long terme. Le confinement pourrait donc avoir des effets bénéfiques à moyen terme, et l’imaginaire d’une virtualisation vertueuse pourrait permettre de conserver une once d’optimisme dans une réalité négative pouvant mener à une sinistrose collective néfaste.

    L’imaginaire des mondes virtuels, en perpétuelle mutation depuis les années 1980, est aussi la métaphore des évolutions de nos sociétés, de plus en plus soumises à des technologies de communication permettant notamment le télétravail et un lien social de plus en plus virtuel. Il pourrait être réactivé pour juguler la montée de la pensée collapsologique et de l’imaginaire viral, zombique, émanant d’une société dépressive ou tendant à le devenir. Face à la catastrophe sanitaire, économique et sociale, les imaginaires doivent venir en aide aux décideurs en proposant des solutions positives (Michaud, 2017). La prospective et le management doivent s’inspirer de fictions optimistes et performatives pour créer des stratégies collectives vertueuses et innovantes.

    Bibliographie

    Flichy P. (2012), L’imaginaire d’Internet, Paris, La Découverte

    Michaud T. (2017), L’innovation, entre science et science-fiction, Londres, ISTE

    Michaud T. (2018), La réalité virtuelle, de la science-fiction à l’innovation, Paris, L’Harmattan

    Servigne P., Stevens R. (2015), Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Paris, Le Seuil.

    Sfez L. (1995), La santé parfaite, critique d’une nouvelle utopie, Paris, Le Seuil.

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