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Sophie Agulhon
(sophie.agulhon.1@univ-amu.fr) - (Pas d'affiliation)
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Cet avis d’expert prolonge la réflexion développée par l’auteure dans le chapitre qu’il signe au sein de l’ouvrage collectif « Vers un management durable des systèmes d’information ?« , publié aux Éditions Management & Data Science en partenariat avec l’AIM – Association Information et Management.
👉 À découvrir ici : https://management-datascience.org/books/65061/
De la stratégie nationale à la chaîne logistique : la décarbonation en marche
Depuis 2015, la France est dotée d’une Stratégie Nationale Bas Carbone dont l’objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre, soit essentiellement de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4). Ses objectifs ont été révisés à la hausse en 2023, afin de respecter le cadre européen qui prévoit une baisse de 55% de ces mêmes émissions. Si l’enjeu de la décarbonation est un sujet identifié de longue date dans le domaine industriel, notamment dans le secteur de l’énergie, la décarbonation de la chaîne logistique, qu’elle permette de transporter des biens ou la mobilité des personnes, a longtemps été considérée comme un champ relativement mineur. Depuis la crise sanitaire, le monde de la supply chain a acquis ses lettres de noblesse aux yeux du grand public, or cet univers concentre les enjeux en matière d’écologie et de soutenabilité. En France, le transport représente près du tiers des émissions de gaz à effet de serre et constitue le premier poste de notre pays selon les ministères de l’aménagement du territoire et de la transition écologique. Cependant, loin de constituer une activité économique uniforme, la mobilité des personnes et l’acheminement de biens concerne tout à la fois des professionnels, des particuliers, des associations ou encore les pouvoirs publics dans des espaces variés et marquent tout autant de choix de société : désenclavement des territoires, justice sociale, qualité de vie et de l’air et même plaisir du voyage.
S’il est d’usage de constater la multiplication des phénomènes extrêmes aux imbrications multiples, les limites de notre entendement voire un certain désarroi face à ce type de situation, force est également de constater que d’autres visions de la stratégie et du management font de nouveaux adeptes pour répondre à ces enjeux. Parmi ces nouvelles écoles, la stratégie « chemin faisant » (Avenier, 1997) ne cherche pas de recette miracle pour prendre les décisions les plus satisfaisantes mais insiste sur la dimension processuelle et dialogique de la stratégie pour s’attaquer à des problèmes complexes, donc multidimensionnels et partagés par des parties prenantes avec des intérêts potentiellement divergents. À cet égard, le management durable des systèmes d’information passant d’abord par leur impact sur la société, mon avis porte ici sur leur contribution à la décarbonation de la logistique, au-delà de la seule question des outils.
Penser la logistique comme un écosystème d’affaires durable
À cet égard, ce billet sur l’ouvrage Vers un management durable des systèmes d’information ? (Biot-Paquerot, Clauzel, Riché , 2025) porte sur le chapitre « Mobilité décarbonée dans le SI Logistique » piloté par un collectif de 11 auteurs dont je fais partie : Hind Aboussikine (Cnam Paris/LIRSA), Sophie Agulhon (Aix-Marseille Université/CERGAM), François Baron (EDC Business School), Sonia Bendimerad (ESLI Cachan), Raphaël Falco (Scalian), Mohamed Haouari (ESLI Redon), Karine Le Rudulier (Université Rennes 1/IGR), Loïc Perrin (H2X ECOSYSTEMS), Cyril Sarrieu (Scalian), Thierry Sauvage (Cnam Paris/LIRSA et ESLI) et Patrice Schoch (EDC Business School).
Ce chapitre est construit en plusieurs sections. Dans un premier temps, les auteurs explicitent une approche de la logistique par les écosystèmes d’affaires, empruntant à la littérature de la complexité et de la stratégie chemin faisant (Fabbe-Costes, 2018) pour dégager les grandes caractéristiques d’un écosystème logistique. Dans ce contexte, les systèmes d’information représentent tour à tour l’infrastructure qui supporte les processus collaboratifs et la création de valeurs collectives et un facteur facilitant une gouvernance multi-niveaux ainsi que les processus d’innovation entre les acteurs.
Par la suite, le chapitre propose des pistes méthodologiques pour identifier les parties prenantes impliquées dans ces écosystèmes d’affaires logistiques, via des modèles de classification et des éléments de cadrage pour profiler des personae, c’est-à-dire le rôle qu’une partie prenante assume ou affiche en public, par distinction avec la personnalité ou le moi intérieur. Ces éléments de méthodologie sont ensuite illustrés via un modèle de concertation autour d’une politique de décarbonation de l’ADEME via le programme EVE (« Engagements volontaires pour l’environnement – Transport et Logistique »). De surcroît, suite aux polémiques sur la campagne de sensibilisation « Le dévendeur » (des vendeurs encourageant les clients à réparer, voire à réutiliser, plutôt qu’à acheter des produits neufs) et au poids des agences étatiques à l’heure où des coupes s’imposent dans les budgets, il est intéressant de noter que l’ADEME s’efforce d’expliciter sa stratégie au sein de l’espace public, entre urgence climatique et réalités économiques. Enfin, plusieurs stratégies de mobilisation des parties prenantes sont explicitées pour faire évoluer les rapports de force et coconstruire des solutions.
Le troisième temps fort de ce chapitre aborde le rôle central des systèmes d’information dans les stratégies de décarbonation de la logistique. Y sont présentés les différents SI logistiques et leurs contributions à la décarbonation ainsi qu’une étude de cas sur l’univers NOZ. En effet, cette chaîne de magasins qui achète en quantité des marchandises soldées pour en faire profiter les consommateurs à moindre prix, s’est lancée dans une démarche exigeante de décarbonation et de modernisation tout en maintenant des objectifs de revente inférieurs de 30 à 80% aux prix pratiqués dans les circuits de distribution classiques.
La dernière partie propose trois encadrés, qui constituent autant de pistes pour faire avancer les recherches et les pratiques. Le premier encadré synthétise les solutions émergentes quant à la gestion du dernier kilomètre répertoriées en France. Le second porte sur l’amélioration de la prise de décision en termes de mobilité des personnes via l’analyse conséquentielle de scénarios de mobilité sous forme de preuve de concept de l’entreprise de conseil Scalian, pour le compte d’une grande agglomération française. Enfin, le troisième encadré ouvre sur les potentialités de la technologie blockchain pour une approche plus intégrée des opérations logistiques et une meilleure traçabilité.
Enfin, parce que les enjeux d’une supply chain ne se limitent pas au transport et à la mobilité, je recommande de compléter sa lecture avec celui dédié aux Achats de Laurence Saglietto, Élodie Kacioui-Maurin, Jennifer Lazzeri Gracia-Campo et Gwenaëlle Oruezabala (2025) pour une réflexion de l’amont à l’aval et approfondir ce dernier encadré.
En conclusion, si nous pouvons « penser & agir » à tous les niveaux aujourd’hui, c’est-à-dire pour pratiquer la reliance via d’authentiques dialogues pour bâtir des stratégies alignées dans leurs organisations respectives (Fabbe-Costes et Gialdini, 2018), alors nous aurons une chance de pouvoir porter le transport et la logistique décarbonée à un tout autre niveau en mobilisant le plein potentiel des technologies de l’information. Différentes instances opérationnelles semblent d’ailleurs prêtes à y veiller, à l’instar de l’association Club Demeter pour une logistique responsable. Parallèlement, il est heureux de constater que la communauté AIM s’engage pour faire face aux grands challenges de notre temps (Buckley et al., 2017).
Bibliographie
Aboussikine, H., Agulhon, S., Baron, F., Bendimerad, S. Falco, R., Haouari, M., Le Rudulier, K., Perrin, L., Sarrieu, C., Sauvage, T. et Schoch, P. (2025) Mobilité décarbonée dans le SI logistique, Dans Biot-Paquerot, G., Clauzel, A., Riché, C. (Eds). Vers un management durable des systèmes d’information ? Paris : Management & Datascience, p.173-204.
Avenier, M.J. (1997). La stratégie « chemin faisant », Paris : Economica.
Biot-Paquerot, G., Clauzel, A., Riché, C. (2025). Vers un management durable des systèmes d’information ? Paris : Management & Datascience.
Buckley, P. J., Doh, J. P., & Benischke, M. H. (2017). Towards a renaissance in international business research? Big questions, grand challenges, and the future of IB scholarship. Journal of International Business Studies, 48(9), 1045-1064.
Fabbe-Costes, N. (2018). Sans dialogue, pas de stratégie logistique durable ! Dans Fabbe-Costes, N. et Gialdini, L. (Eds), Stratégie Organisationnelle par le Dialogue. Paris : Economica, p. 154-166.
Fabbe-Costes, N. et Gialdini, L. (2018), Stratégie Organisationnelle par le Dialogue. Paris : Economica.
Saglietto, L., Kacioui-Maurin, E., Lazzeri Gracia-Campo, J. et Oruezabala, G. (2025). Système d’information et management des achats décarbonés. Dans Biot-Paquerot, G., Clauzel, A., Riché, C. (Eds). Vers un management durable des systèmes d’information ? Paris : Management & Datascience, p.205-226.
https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/strategie-nationale-bas-carbone-snbc
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