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Charles Ngando Black
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Les organisations ne manquent plus de lucidité sur les bouleversements que l’IA introduit dans le monde du travail. Elles savent désormais que les compétences requises évoluent, que les référentiels doivent s’ajuster, que les usages doivent être accompagnés. Elles ont compris que l’IA ne se contente pas d’automatiser, mais transforme les décisions, les responsabilités, les marges d’interprétation et les pratiques professionnelles elles-mêmes.
Mais entre ce constat largement partagé et la mise en œuvre d’une dynamique de pilotage cohérente, un écart persiste. Comment faire de la montée en compétence un levier de transformation durable, et non une réponse fragmentaire, ponctuelle ou technique ? Comment accompagner cette transition dans le temps, à l’échelle de l’organisation, en respectant à la fois les réalités de terrain, les rythmes d’apprentissage et les exigences stratégiques ?
Cet article propose de répondre à cette question non plus uniquement en termes de vision, mais en montrant comment une organisation peut outiller et structurer sa capacité à piloter les compétences individuelles liées à l’IA. Il s’appuie sur une conviction centrale : pour faire face à la transformation induite par l’IA, les organisations doivent articuler trois dimensions clés – leur stratégie, leur cadre de gestion de l’IA, et leur capacité d’apprentissage collectif.
Un schéma de pilotage intégré permet de rendre cette articulation visible et opératoire. Il servira ici de fil directeur pour montrer comment les entreprises peuvent, étape par étape, construire une gouvernance des compétences IA à la fois alignée, contextualisée et évolutive.
Une transformation à piloter dans un cadre intégré
Le pilotage des compétences individuelles liées à l’IA ne peut plus se concevoir comme un module de formation périphérique ou comme un volet annexe d’un projet technologique. Il suppose la mise en place d’un cadre intégré, à même d’aligner l’ambition stratégique de l’organisation, la gouvernance concrète de l’IA et la dynamique de développement des compétences.
Trois composantes à articuler
La stratégie organisationnelle constitue le premier levier. Elle explicite les priorités IA de l’organisation : veut-on automatiser certains processus ? Explorer de nouveaux services à valeur ajoutée ? Généraliser l’usage de l’IA générative dans les équipes ? À ce niveau, il ne s’agit pas seulement d’énoncer une ambition, mais de traduire cette ambition en exigences de compétences : quelles connaissances, postures, capacités sont attendues pour que la stratégie IA devienne opérante ?
Le cadre organisationnel de l’IA est la seconde composante. Il relie la vision stratégique aux dispositifs d’action : référentiels de compétences, méthodologie d’évaluation, instances de gouvernance, modalités de réévaluation, priorisation des plans d’action. C’est dans ce cadre que se posent les questions clés : Qui décide ? Qui suit ? Qui accompagne ? Ce niveau structure la régulation, l’arbitrage et l’alignement dans le temps.
La capacité, enfin, désigne ce que l’organisation est réellement en mesure de faire évoluer sur le terrain : les rôles occupés, les compétences mobilisées, les usages appropriés. Elle se mesure, s’évalue, se consolide. Et surtout, elle se construit par étapes, selon une logique de transformation progressive et réévaluable.
Une articulation à rendre visible et opératoire
Le schéma de pilotage proposé permet de rendre tangible cette articulation. Il montre comment la stratégie oriente les référentiels et les diagnostics ; comment ces derniers nourrissent des plans d’action successifs ; et comment les capacités individuelles atteintes rétro-alimentent les décisions stratégiques à travers des boucles d’évaluation.
Il ne s’agit pas d’un modèle abstrait, mais d’un cadre mobilisable pour concevoir un dispositif de pilotage vivant, outillé, gouvernable. En intégrant cette logique dans la durée, les organisations peuvent sortir de la logique du « coup de formation » pour s’inscrire dans une trajectoire d’apprentissage pilotée, appuyée sur des diagnostics réguliers, des arbitrages coordonnés et des parcours adaptés.
Prenons l’exemple d’une organisation souhaitant renforcer les compétences de ses équipes RH sur l’identification et l’analyse des cas d’usage IA. La stratégie organisationnelle fixait comme orientation de développer une fonction RH augmentée, capable d’anticiper les besoins de transformation. À partir de cette ambition, un objectif opérationnel a été défini : renforcer la capacité des collaborateurs RH à comprendre les usages concrets de l’IA dans leur domaine.
Le cadre organisationnel de l’IA a alors mobilisé un référentiel spécifique – compétence « Compréhension et usage » – avec un niveau requis défini (3/5). Une évaluation initiale a été conduite via auto-positionnement et entretiens croisés, révélant une faible exposition aux projets IA, une confusion entre automatisation et IA, et des attentes peu explicitées.
Sur cette base, un plan d’action ciblé a été élaboré : capsules vidéo, webinaires interactifs, témoignages internes, quiz sur les cas d’usage. Trois mois plus tard, une réévaluation a montré une progression significative (score moyen 3/5), accompagnée de remontées de cas d’usage depuis le terrain et de la désignation de relais IA au sein des équipes RH.
Ce type de démarche montre que l’articulation entre vision stratégique, gouvernance IA et capacité opérationnelle peut produire des effets tangibles dans un temps court, à condition d’être pilotée dans une logique itérative, contextualisée et coordonnée.
Une approche structurée pour faire levier
La transformation des compétences IA ne peut être laissée au hasard des initiatives locales, ni à la seule dynamique des outils. Elle exige une approche structurée, capable d’organiser une montée en compétence progressive, alignée sur les ambitions stratégiques de l’organisation et pilotée dans le temps. C’est précisément ce que permet l’approche proposée ici, conçue comme un dispositif adaptable, mobilisable dans des contextes variés, mais toujours guidé par une logique d’apprentissage collectif et de gouvernance active.
Une méthodologie articulée en six étapes
L’approche s’appuie sur une séquence cohérente de six étapes, conçues pour aligner les objectifs stratégiques, rendre visibles les écarts, et organiser une dynamique d’appropriation progressive des compétences liées à l’IA.
Tout commence par un cadrage stratégique partagé, qui permet de clarifier les ambitions de l’organisation, les cas d’usage prioritaires et les publics concernés. Cette première étape aligne les intentions de transformation avec une vision RH et métier concertée.
Vient ensuite la cartographie des rôles IA, qui identifie les différentes postures en présence – consommateurs, contributeurs, techniciens, stratèges – et leurs implications en termes de niveaux d’exposition et de responsabilités.
Sur cette base, une phase d’évaluation est conduite, à travers des auto-positionnements ou des entretiens croisés, afin de situer les collaborateurs dans leur parcours de transformation et de capter les signaux faibles d’appropriation.
Les résultats sont alors consolidés pour construire une lecture globale : profils dominants, points de fragilité, besoins non couverts, compétences émergentes invisibles dans les référentiels classiques.
Cette lecture permet de bâtir des plans d’action différenciés, fondés sur des formats variés (formation, accompagnement, pair à pair) et adaptés aux besoins des rôles identifiés.
Enfin, une gouvernance évolutive est mise en place : elle repose sur des cycles de réévaluation, des retours d’expérience et des dispositifs de suivi pilotés par les acteurs internes.
Des outils concrets à chaque étape
À chaque phase de l’approche, des outils spécifiques peuvent être activés selon les besoins de l’organisation :
- Radars de compétence pour visualiser les niveaux et les progressions,
- Référentiels adaptatifs intégrant des postures et usages réels,
- Grilles de consolidation pour agréger les autoévaluations,
- Tableaux de suivi évolutifs pour piloter la montée en compétence dans le temps,
- Formats réflexifs (carnets de transformation, séquences RETEX) pour nourrir l’appropriation.
Cette approche ne se limite pas à mesurer des niveaux de compétence. Elle vise à construire un environnement d’apprentissage actif, à révéler les potentiels internes, à faire émerger des relais et à soutenir une dynamique collective où les compétences deviennent une ressource stratégique partagée.
Une capacité à faire grandir les organisations dans le temps
Ce qui distingue une approche véritablement transformatrice d’un simple dispositif de formation, c’est sa capacité à s’inscrire dans le temps long de l’organisation, à faire évoluer ses pratiques, ses repères, et à renforcer son autonomie face aux mutations en cours. L’enjeu n’est pas seulement de « former à l’IA », mais de renforcer les conditions collectives d’apprentissage, de régulation et de réévaluation.
Une transformation accompagnée, pas transférée
L’approche proposée ne repose pas sur un contenu prescriptif, ni sur un transfert de solution. Elle s’appuie sur une logique d’accompagnement actif, qui valorise les dynamiques internes et la co-construction avec les acteurs impliqués. À chaque étape :
- les référents internes sont mobilisés comme relais d’appropriation,
- les équipes RH sont outillées pour assurer un suivi contextualisé,
- les managers sont soutenus dans leur rôle de médiateurs de transformation.
Cette posture permet à l’organisation de s’approprier progressivement la démarche, d’en adapter les outils, et de faire émerger une culture de pilotage apprenante.
Une montée en responsabilité progressive
L’enjeu ne réside pas seulement dans l’acquisition de nouvelles compétences techniques, mais dans la capacité à assumer de nouveaux rôles, à exercer un jugement, à ajuster les usages en conscience. L’approche structure une montée en responsabilité progressive, qui permet :
- aux collaborateurs de mieux comprendre l’IA et ses enjeux,
- aux métiers de s’engager dans l’évolution des pratiques,
- aux directions de piloter la transformation avec discernement.
Cette responsabilisation progressive contribue à renforcer la souveraineté interne de l’organisation face à des outils complexes, évolutifs, parfois opaques.
Trois effets levier dans la durée
Dans sa mise en œuvre, cette approche produit des effets structurants à plusieurs niveaux :
- Alignement stratégique : la compétence cesse d’être un élément périphérique pour devenir un vecteur d’activation de la stratégie IA.
- Appropriation responsable : les usages de l’IA ne sont pas simplement « déployés », ils sont compris, ajustés, parfois discutés.
- Soutenabilité de la transformation : la montée en compétence devient un processus itératif, régulé, piloté, capable de s’adapter aux évolutions technologiques, réglementaires et sociales.
Conclusion
Soutenir l’évolution des compétences individuelles à l’ère de l’intelligence artificielle n’est plus un simple luxe. C’est une nécessité stratégique, une condition de cohérence, une clé de souveraineté. Dans un contexte où les technologies évoluent rapidement, où les responsabilités se déplacent, et où les usages se recomposent, piloter les compétences devient un acte de gouvernance à part entière.
L’approche présentée ici n’est pas un modèle figé, mais un cadre outillé, évolutif, capable de s’ajuster aux contextes organisationnels. Elle articule les trois niveaux essentiels d’un pilotage efficace : une stratégie claire, un cadre de gestion structuré, et une capacité à faire progresser les personnes dans le temps. Elle permet de transformer une exigence abstraite – « former à l’IA » – en une dynamique collective, ancrée, pilotable.
Faire grandir une organisation face à l’IA, c’est apprendre à apprendre différemment, à structurer des parcours dans la durée, à reconnaître l’expertise qui se construit dans l’usage, l’échange, la vigilance. C’est aussi reconnaître que la compétence ne se délègue pas : elle se construit, s’accompagne, se régule. Et c’est là, précisément, que réside la capacité réelle à transformer.
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