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Charles Perez
(charlyperez@live.fr) - Paris School of Business - ORCID : 0000-0001-9030-5331
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Cet article explore comment le métavers redéfinit les frontières entre le réel, le virtuel et l’imaginaire. Il analyse la manière dont les technologies métaversiques enrichissent ou transforment nos perceptions et interactions avec le monde. De la réalité augmentée, où des éléments numériques s’intègrent au réel, à des univers totalement fictifs et immersifs, le métavers se présente comme une extension du réel. En croisant les dimensions du virtuel et de l’imaginaire, il ouvre un champ très vaste d’applications, de l’éducation à l’industrie, tout en reflétant l’évolution de nos aspirations culturelles et technologiques. Plus qu’une simple immersion numérique, le métavers se révèle être un processus en constante évolution, enrichissant la créativité et l’innovation.
Contenu
Du réel au virtuel : le continuum de Milgram
Le métavers est souvent défini comme un espace virtuel immersif et persistant (VIP). On pense à un avatar qui se promène sur Roblox, Horizon Worlds ou Fortnite. Mais cette vision est restrictive. Dans cet avis, nous proposons un cadre pour définir le métavers de manière plus inclusive.
Le métavers redéfinit les frontières entre le tangible et l’immatériel, entre le concret et l’imaginaire. Il progresse selon deux dimensions fondamentales : le virtuel et l’imaginaire. En combinant ces axes, on révèle un éventail d’applications capables de transformer nos perceptions, nos interactions et notre créativité.
Au départ, le numérique et le réel évoluaient côte à côte, sans véritable interaction. Peu à peu, cette frontière s’est estompée. D’abord avec le Web 2, qui a connecté les individus à une échelle inédite avec les réseaux sociaux. C’était l’ère du web social. Puis, il y a eu l’avènement des technologies capables d’intégrer et d’absorber les données du monde réel dans nos systèmes d’information. C’était l’ère du big data et de l’industrie 4.0.
Le premier constat est simple :
Plus on combine intelligemment le réel et le virtuel, plus on crée de la valeur.
Le métavers pousse cette idée encore plus loin. Ce n’est pas seulement une immersion dans des mondes numériques. C’est une extension du réel, où le virtuel enrichit notre perception du monde. Le métavers ne se résume pas à des mondes numériques fictifs. Il regroupe toutes les technologies qui enrichissent notre perception et nos interactions avec le monde, en augmentant ou remplaçant notre espace physique grâce au numérique. Qu’il s’agisse de réalité augmentée, de virtualité augmentée, de jumeaux numériques ou de réalité mixte, ces technologies prolongent et transforment notre expérience du réel.
Du réel au virtuel : le continuum de Milgram
L’évolution du réel vers le virtuel peut être conceptualisée par le continuum de Milgram et Kishino (Milgram et al., 1994). Ce modèle décrit un spectre où les environnements passent graduellement du monde purement réel à des univers entièrement virtuels.
La réalité augmentée, qui superpose des éléments numériques à un cadre physique, est située entre les deux, où les éléments virtuels et réels sont présents en proportions similaires. L’application à succès de Niantic, Pokémon Go, en est une illustration, où les créatures prennent vie dans nos espaces réels. Les technologies comme celles proposées par la société Distance permettent de transformer toute surface transparente en support pour de l’information virtuelle, comme dans le cas des pare-brises connectés. Ces solutions ajoutent subtilement une dose de virtuel à nos expériences.
D’autres initiatives, comme celles d’Over the Reality (OVR), le métavers français, ou le 8th Wall de Niantic, permettent même une intégration géolocalisée du numérique dans l’espace réel, donnant vie aux environnements physiques. Elles permettent d’animer une devanture de magasin, un espace public, etc.
En 2025, de nombreux projets de lunettes connectées, de réalité augmentée ou de réalité mixte vont voir le jour, comme celles proposées par Baidu, Samsung, Snapchat, et les prototypes Orion de Meta, dont on ne connaît pas encore la date de sortie.
À l’extrême du continuum, on retrouve des environnements totalement virtuels et immersifs, utilisés pour les simulations, comme par exemple pour travailler la prise de parole en public, ou pour les jeux vidéo comme Fortnite, Decentraland, Roblox. Ces univers totalement virtuels peuvent être accessibles sur navigateur, smartphone ou parfois même en réalité virtuelle afin d’augmenter l’immersion.
Le virtuel, ce n’est pas tout ou rien, mais une multitude de niveaux intermédiaires qui se dessinent. Ce premier spectre met en lumière la richesse des expériences rendues possibles par les technologies métaversiques, que ce soit dans l’éducation, l’industrie ou le divertissement.
Le continuum de Milgram est régulièrement enrichi pour inclure la notion d’utilisateur ou d’immersion multisensorielle, mais aucun standard universel n’a encore émergé. Notre objectif n’est pas de redéfinir ce cadre, mais de l’utiliser comme base pour clarifier ce qui appartient au métavers : des technologies qui enrichissent, prolongent, voire même remplacent le réel de manière intuitive et crédible.
Du réel à l’imaginaire : une extension de la réalité
En parallèle du continuum de Milgram, un second axe s’envisage : l’éloignement du réel vers l’imaginaire. Cet axe met en évidence comment les expériences du métavers peuvent reproduire et s’ancrer dans le réel ou bien s’éloigner des contraintes tangibles pour intégrer des éléments fictifs ou créatifs. À la base de ce spectre se trouvent des applications ancrées dans le réel, mais avec des niveaux de virtualité variés. Par exemple, les jumeaux numériques sont totalement virtuels, mais reproduisent fidèlement des objets ou systèmes physiques dans le cadre du métavers industriel. L’application IKEA Place permet de visualiser un meuble dans son espace domestique avant achat en réalité augmentée. Le virtual try-on (essai virtuel), là encore, s’appuie sur un jumeau numérique du vêtement réel pour produire son cas d’usage.
En progressant sur cet axe, des expériences hybrides émergent. Le métavers Over the Reality, par exemple, combine des environnements réels et des éléments imaginaires, comme l’apparition de dragons aux abords des ruines bien réelles d’un château, afin d’effrayer les visiteurs. Ces expériences brouillent les frontières entre fiction et réalité. À l’extrémité de cet axe, des expériences purement imaginaires peuvent exister. Des entreprises comme bem.builders invitent les créateurs à concevoir des mondes virtuels affranchis des lois physiques, offrant des espaces où l’imaginaire est sans limite. L’expérience de réalité virtuelle TriPP propose des séances de méditation mêlant immersion visuelle et récits imaginaires pour créer des univers apaisants et transformateurs. Les flux d’énergie deviennent visibles sous diverses formes, rendant l’expérience méditative d’autant plus saisissante. L’application a été largement récompensée, notamment par le prix CES Top Pick du Washington Post en 2019 et le prix de la Meilleure Invention décerné par TIME Magazine en 2022.
La croisée des dimensions : vers une infinité d’usages
La force du métavers réside dans l’intersection de ces deux dimensions. Croiser le virtuel et l’imaginaire ouvre des possibilités inédites. Les pare-brises connectés enrichissent l’expérience de conduite par des données en temps réel, intégrées de manière fluide dans un environnement tangible. À un autre niveau, des plateformes comme The Sandbox permettent de créer des univers où utilisateurs et créateurs définissent leurs propres règles et scénarios.
Cette combinaison virtuel-imaginaire redéfinit également les usages industriels, éducatifs ou culturels. Par exemple, les simulateurs de vol combinent des éléments réels (commandes physiques) et virtuels (environnements simulés) pour offrir une formation immersive. Gucci Garden plonge les utilisateurs de Roblox dans un monde fantastique, tandis que Gravity Sketch offre aux designers un espace de création où concevoir les produits de demain.
Voici une première proposition de classification de cas d’usages du métavers selon le continuum proposé dans cet article.
Plus qu’une destination technologique, le métavers est un processus en constante évolution. Il reflète les aspirations humaines à enrichir le réel et à explorer de nouveaux territoires imaginaires. En croisant les dimensions du virtuel et de l’imaginaire, le métavers redéfinit nos interactions, nos modes de travail et nos expériences culturelles, ouvrant la voie à une nouvelle ère d’innovation.
Bibliographie
Milgram, P., Takemura, H., Utsumi, A., & Kishino, F. (1994). Augmented reality: A class of displays on the reality-virtuality continuum. Proceedings of SPIE: The International Society for Optical Engineering, 2351, 282–292. https://doi.org/10.1117/12.197321