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Les auteurs
Cagnelle Joseph
(joseph.cagnelle@gmail.com) - Groupe Reel iT expert en transformation digitale pour les PME - Aix Marseille Univ, CNRS, LESTAmandine Pascal
(amandine.pascal@univ-amu.fr) - LEST, Aix-Marseille Université, InCIAMThibaut METAILLER
(thibaut.metailler@emse.fr) - (Pas d'affiliation)
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Sous l’impulsion des technologies émergentes, telles que l’intelligence artificielle, l’Internet des Objets (IoT), le big Data ou encore la blockchain, la transformation digitale redéfinit profondément les modèles d’affaires des organisations, offrant de nouvelles possibilités de création de valeur. Au cœur de ce changement, la maturité digitale permettrait aux dirigeants et aux organisations de mesurer et de guider leur progression dans leur processus de transformation digitale. Cependant, face à la multitude de conceptualisations et de modèles existants, cette notion fait toujours l’objet de discussions, notamment sur la question de son opérationnalisation au sein des entreprises et de son appropriation par les professionnels. Dans cet article, nous explorons donc la notion de maturité digitale, en soulignant son intérêt pour les PME, et son rôle dans le processus de transformation digitale. Nous nous appuyons pour cela sur les travaux d’un projet de recherche à l’initiative du Groupe REEL IT, en partenariat avec l’Ecole des Mines de Saint-Etienne et l’Université d’Aix-Marseille.
Maturité, maturité digitale
Classiquement, la maturité est définie dans le dictionnaire de la langue anglaise d’Oxford comme « the state of being complete, perfect or ready » (Simpson, 1989), et par le dictionnaire de l’académie Française comme un « État de développement complet des forces physiques et intellectuelles ». Ainsi définie, la maturité se réfère donc à un état, qui, pour être atteint, nécessite qu’un processus d’évolution soit mené (croissance, ou une transformation pour une entreprise).
La maturité, dans un contexte organisationnel, est également définie comme un état où une organisation atteint un niveau de développement complet ou optimal grâce à un processus évolutif (Barry et al., 2022). Elle implique une progression, de l’état initial d’une entreprise vers un état avancé, permettant une maîtrise accrue de certaines compétences ou processus (Teichert, 2019).
Le concept de maturité digitale est sujet quant à lui à différentes définitions comme le montre le tableau 1 ci-dessous.
Définition de maturité digitale | Source |
“The status of a company’s digital transformation and describes what a company has already achieved in terms of performing transformation efforts.” | Chanias & Hess, 2016 p.4 |
“Digital maturity draws on a psychological definition of “maturity” that is based upon a learned ability to respond to the environment in an appropriate manner. Digital maturity is about adapting the organization to compete effectively in an increasingly digital environment […] a continuous and ongoing process of adaptation to a changing digital landscape.” | Kane et al., 2017 |
digital maturity represents the degree of adoption and application of digital technologies in corporate business models. | Rossmann 2018 p.3 |
Willingness and ability of the company to change and apply innovative technologies, depending on the trends, in order to remain competitive in the market | Eremina et al., 2019 p.2 |
It describes what a company has already achieved in terms of performing transformation effort and how a company systematically prepares to adapt to an increasingly digital environment in order to stay competitive. | Teichert, 2019 p.1675 |
Tableau 1 : définitions du concept de maturité digitale
Si la définition la plus largement utilisée est celle de Chanias & Hess (2016), d’autres auteurs sont venus la compléter par la suite. La maturité digitale représente, selon Kane et al. (2017), un processus d’adaptation continue aux changements de l’environnement digital, qui va bien au-delà de la simple adoption de nouvelles technologies. En ce sens, la maturité digitale implique une mise en jeu des dimensions culturelle et organisationnelle, où l’entreprise développe non seulement des compétences techniques, mais aussi une stratégie alignée sur les besoins digitaux de ses clients, partenaires et employés. En se basant sur les définitions proposées dans la littérature, plusieurs caractéristiques communes ressortent. La maturité digitale comprend donc :
- La notion d’intégration de nouvelles technologies digitales (Rossmann et al.,2018 ; Eremina et al., 2019)
- La définition d’un état de l’organisation en termes de transformation digitale (Chanias & Hess, 2016)
- L’adaptation constante à l’environnement dans lequel l’entreprise évolue pour rester compétitive (Kane et al., 2017 ; Eremina et al., 2019)
Les définitions de Chanias et al (2016) et de Kane et al. (2017) sont les plus utilisées dans la littérature, et correspondent à notre vision du concept de maturité digitale. Elles sont synthétisées dans la définition proposée par Teichert (2019, p. 1675) :
« It describes what a company has already achieved in terms of performing transformation effort and how a company systematically prepares to adapt to an increasingly digital environment in order to stay competitive”.
Nous proposons donc la définition suivante de la maturité digitale : « la maturité digitale décrit ce qu’une entreprise a déjà réalisé en termes d’efforts de transformation et comment une entreprise se prépare de manière générale à s’adapter à un environnement de plus en plus numérique afin de rester compétitive ». Après avoir définit la notion de maturité digitale, il est nécessaire de la rendre opérationnelle. Dans cette perspective, les modèles de maturité offrent des cadres permettant aux entreprises d’évaluer leur progression et de se fixer des objectifs d’amélioration.
Modèles de maturité digitale
Les modèles de maturité digitale permettent de faire un état des lieux du niveau de transformation digitale à un instant t dans une organisation. Ils offrent donc en théorie des outils de diagnostic et de planification. Trois types de modèles peuvent être distingués dans la littérature (Röglinger et al., 2012) :
- les modèles descriptifs : Ils permettent d’évaluer l’état actuel de l’organisation, en identifiant les dimensions critiques pour la digitalisation.
- les modèles prescriptifs : Ils aident à définir des trajectoires de progrès vers des objectifs de maturité ciblés, suggérant des mesures d’amélioration.
- les modèles comparatifs : Ils offrent un cadre de benchmarking interne ou externe, permettant aux entreprises de se situer par rapport aux normes sectorielles.
Dans sa revue de littérature, Teichert (2019) met en avant quinze dimensions principalement présentes dans les modèles existants : la gouvernance, la vision, l’expérience client, l’innovation, les compétences digitales, l’organisation, la stratégie digitale, les opérations et processus, la technologie, la culture digitale, l’écosystème digital, le leadership, la sécurité, les produits et services ainsi que le modèle d’affaires. Les modèles de maturité digitale comprennent donc des dimensions technologiques, mais également stratégiques, organisationnelles et culturelles (Berghaus & Back, 2016 ; Salviotti et al., 2019). Un modèle de maturité digitale est structuré autour de niveaux de développement qui décrivent la progression de l’organisation d’un stade initial d’adoption technologique jusqu’à une intégration avancée et optimisée des technologies numériques (Thordsen & Bick, 2021). Cependant, d’importantes limites subsistent quant à l’application empirique de ces modèles.
En effet, la grande majorité des modèles de maturité présente des failles, que ce soit dans leur construction théorique, ou dans leur appropriation empirique par les praticiens (Cagnelle et al., 2022, Bley et al., 2024). Premièrement, beaucoup de modèles souffrent d’un manque de validation empirique ainsi que d’un ancrage théorique insuffisant dans la sélection des dimensions et des facteurs qui les composent (Lahrmann et al., 2011). Cela s’ajoute au fait qu’ils supposent souvent un parcours unique et linéaire vers la maturité, ne tenant pas compte de la multitude de chemins possibles pour y parvenir et de la notion d’équifinalité (Lasrado et al., 2015). De plus, beaucoup de modèles sont construits dans le cadre d’un contexte spécifique, rendant leur généralisation à d’autres organisations extrêmement limitée. Ces lacunes tendent à conduire à des modèles peu adaptés à la réalité des entreprises, et présentant des difficultés, voire des risques lors de leur appropriation par des professionnels. Les modèles existants adoptent souvent une approche standardisée qui ignore la grande hétérogénéité des organisations cibles. En conséquence, un même modèle de maturité est appliqué à des organisations de tailles et de secteurs différents, sans prendre en compte leurs besoins spécifiques (Pereira & Serrano, 2020). Cette approche unique est particulièrement inadaptée aux PME, dont les dynamiques de digitalisation et les contraintes de ressources diffèrent largement de celles des grandes entreprises. Ainsi, les PME sont assez peu étudiées, alors qu’elles présentent un certain nombre de spécificités organisationnelles qui justifieraient de construire un modèle qui leur est propre.
Le développement d’un nouveau modèle, prenant en compte les spécificités de taille, de secteur et de contexte opérationnel des PME, permettrait de fournir un outil plus précis et opérationnel. En ciblant les besoins particuliers de ces organisations, un tel modèle contribuerait à améliorer la pertinence des recommandations de transformation digitale et à optimiser l’impact des stratégies de digitalisation dans des groupes d’entreprises homogènes, renforçant ainsi leur compétitivité dans un marché digitalisé. Dans cette perspective, une méthodologie de construction de modèle de maturité est proposée par Bley et al. (2024), reposant sur une approche configurationnelle. Nous proposons de nous appuyer sur cette démarche, qui répond aux problématiques soulevées précédemment. En effet, cette dernière permet de structurer un modèle de maturité reposant sur des éléments théoriques forts, tout en tenant compte de la réalité empirique des organisations. De plus, l’approche configurationnelle permet d’offrir plusieurs chemins pour mener à une maturité, contrairement aux modèles linéaires existants.
Conclusion
La transformation digitale des modèles d’affaires impose aux entreprises, en particulier aux PME, de repenser leurs stratégies, processus et compétences en réponse aux défis technologiques et à la volatilité des marchés. En se basant sur les critiques des modèles existants, nous nous sommes donnés pour mission de développer un modèle de maturité digitale adapté aux spécificités des PME, tenant compte de leurs contraintes et de leur diversité organisationnelle.
Ce nouveau modèle aura pour objectif de combler les lacunes théoriques et empiriques souvent reprochées aux modèles de maturité standardisés, en s’appuyant sur des dimensions validées empiriquement et en offrant une approche plus flexible et multi-parcours vers la maturité. En permettant une évaluation nuancée et ciblée de la maturité digitale, ce modèle devrait faciliter une appropriation progressive et stratégique de la transformation digitale par les PME, renforçant ainsi leur compétitivité et leur résilience.
L’objectif est d’aller au-delà de la simple conception théorique, en offrant des outils et des méthodologies pratiques pour accompagner les PME dans leur parcours de digitalisation. Ainsi, le développement de ce modèle spécifique de maturité digitale n’est pas seulement une réponse aux critiques académiques, mais aussi une avancée concrète pour le monde professionnel, ouvrant la voie à une digitalisation pérenne des PME dans l’économie numérique actuelle.
Bibliographie
Barry, A. S., Assoul, S., & Souissi, N. (2022). Benchmarking of digital maturity models according to the dimension component. 2022 2nd International Conference on Innovative Research in Applied Science, Engineering and Technology (IRASET), 1‑8.
Berghaus, S., & Back, A. (2016). Stages in digital business transformation : Results of an empirical maturity study. Mediterranean Conference on Information Systems.
Bley, K., Pappas, I., & Strahringer, S. (2024). A Configurational Approach to Maturity Model Development – Using fsQCA to Build a Multiple-Pathway Maturity Model. Communications of the Association for Information Systems, 54(1), 75‑132.
Cagnelle, J., Pascal, A., & Metailler, T. (2022). Maturité digitale des PME : Des modèles à réinventer ? Management & Datascience, 6(4).
Chanias, S., & Hess, T. (s. d.). How digital are we ? Maturity models for the assessment of a company’s status in the digital transformation.
Eremina, Y., Lace, N., & Bistrova, J. (2019). Digital Maturity and Corporate Performance : The Case of the Baltic States. Journal of Open Innovation: Technology, Market, and Complexity, 5(3), 54.
Kane, G. C., Palmer, D., & Phillips, A. N. (2017). Achieving digital maturity. MIT Sloan Management Review.
Lahrmann, G., Marx, F., Mettler, T., Winter, R., & Wortmann, F. (2011). Inductive Design of Maturity Models : Applying the Rasch Algorithm for Design Science Research. In H. Jain, A. P. Sinha, & P. Vitharana (Éds.), Service-Oriented Perspectives in Design Science Research (Vol. 6629, p. 176‑191). Springer Berlin Heidelberg.
Lasrado, L. A., Vatrapu, R., & Andersen, K. N. (2015). Maturity models development in is research : A literature review.
Pereira, R., & Serrano, J. (2020). A review of methods used on IT maturity models development : A systematic literature review and a critical analysis. Journal of Information Technology, 35(2),
Röglinger, M., Pöppelbuß, J., & Becker, J. (2012). Maturity models in business process management. Business Process Management Journal, 18(2), 328‑346.
Rossmann, A. (2018). Digital maturity : Conceptualization and measurement model. Thirty Ninth International Conference on Information Systems, San Fransisco.
Salviotti, G., Gaur, A., & Pennarola, F. (2019). Strategic factors enabling digital maturity: an extended survey.
Teichert, R. (2019). Digital transformation maturity : A systematic review of literature. Acta universitatis agriculturae et silviculturae mendelianae brunensis.
Thordsen, T., & Bick, M. (2020). Towards a holistic digital maturity model. ICIS Proceedings.
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