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Reyan Benallal
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Les transformations sociétales impulsées par le numérique et la culture redéfinissent les écosystèmes sociaux, en intégrant des acteurs publics, privés, associatifs et citoyens. Cependant, ces transformations, qui impactent aussi bien les structures que les comportements, se heurtent aux inerties héritées du passé. Ce phénomène, illustré par le concept de sentier de la dépendance théorisé par Pierson et Krugman, montre comment les pratiques et choix historiques influencent les trajectoires présentes et créent des obstacles structurels au changement (Pierson, 2000; Krugman, 1991).
Cet article examine deux contextes à deux échelles opérationnelles – la France et l’Algérie – pour démontrer que ces inerties constituent un frein commun et systémique aux transformations sociétales numériques et culturelles. En France, le chercheur adopte une posture d’observation participante au sein des institutions, dans des initiatives telles que Conseiller Numérique France Services (CNFS) et les Labs du Ministère de l’Éducation Nationale (Labs du MEN). En Algérie, le changement est impulsé par des acteurs privés, notamment Young Creators, avec les projets Nedroma.io et Ain Teine Numérique, qui visent à initier une transformation numérique et culturelle au niveau local.
Bien que ces deux contextes aient des cycles de maturité et des cadres institutionnels distincts, ils révèlent des obstacles communs, tels que la fragmentation des écosystèmes et le manque de vision partagée. Pour répondre à ces freins, cet article propose un cadre intégré, adaptable et adaptatif, inspiré de la théorie des systèmes complexes, qui favorise une délégation claire des rôles et met l’accent sur la formation et sensibilisation de toutes les strates pour transformer les acteurs réticents en forces de proposition. Ce modèle favorise la scalabilité des initiatives en Algérie et la résilience en France, deux objectifs essentiels pour permettre une transformation sociétale durable, inclusive et mieux ancrée dans les réalités locales.
État de l’art
Les concepts de sentier de la dépendance et de résistance au changement sont essentiels pour comprendre les dynamiques de transformation au sein des écosystèmes sociaux. Pierson (2000) et Krugman (1991) montrent que les pratiques et choix hérités conditionnent les trajectoires actuelles, créant une inertie structurelle qui freine l’adoption de nouvelles pratiques. Cette inertie, enracinée dans des choix et habitudes passés, limite la capacité des organisations et des systèmes à évoluer face aux changements technologiques et culturels.
Dans le cadre des transformations numériques et culturelles en France et en Algérie, cette inertie persiste malgré les différences de contexte. En France, des initiatives institutionnelles comme Conseiller Numérique France Services (CNFS) et les Labs du Ministère de l’Éducation Nationale (Labs du MEN) visent à relever les défis numériques et culturels par l’expérimentation de nouvelles approches. Cependant, la fragmentation des écosystèmes, l’absence de vision partagée et la répartition floue des responsabilités freinent leur efficacité, renforçant les résistances institutionnelles (Benallal, 2021). La délégation de rôles y reste parfois incertaine, freinant l’autonomisation des acteurs et limitant leur potentiel d’innovation.
En Algérie, les projets de Young Creators, tels que Nedroma.io et Ain Teine Numérique, montrent comment des acteurs privés initient la transformation numérique dans des zones rurales. Ces initiatives révèlent également des obstacles communs, tels que la fragmentation des écosystèmes et le manque de coordination entre les parties prenantes, qui limitent la scalabilité. De plus, l’absence de formation continue et de sensibilisation adéquate empêche une adhésion forte de tous les acteurs, freinant leur capacité à devenir forces de proposition dans le changement sociétal (Benallal, 2024).
Ces deux contextes révèlent que la résistance au changement et le sentier de la dépendance transcendent les différences nationales et opérationnelles. Ils soulignent également la nécessité d’une vision intégrée, incluant des stratégies de délégation et de formation pour toutes les strates sociales, afin de garantir une transformation durable et inclusive.
Analyse des cas d’étude et résultats
L’analyse des dynamiques de transformation en Algérie et en France met en évidence des obstacles communs à la résilience et à la scalabilité, entravés par des résistances structurelles, des trajectoires héritées et une fragmentation des écosystèmes. Dans chaque cas, l’absence de délégation claire et de formation adéquate limite la capacité des acteurs à s’engager dans le processus de transformation.
Initiatives de Young Creators : Nedroma.io et Ain Teine Numérique en Algérie
Les programmes de Young Creators en Algérie, tels que Nedroma.io et Ain Teine Numérique, illustrent comment des acteurs privés peuvent catalyser la transformation numérique dans des zones rurales en l’absence d’un soutien institutionnel structuré. Ces initiatives sont conçues pour répondre aux besoins des communautés locales, mais la fragmentation des écosystèmes et l’absence de coordination entre les parties prenantes publiques et privées limitent leur scalabilité. De plus, le manque de formation et de sensibilisation auprès des acteurs freine leur autonomisation et leur capacité à devenir forces de proposition, entravant ainsi l’efficacité du changement.
Ces projets mettent également en lumière le besoin d’une délégation claire des rôles entre les différents acteurs locaux pour mieux répartir les responsabilités et renforcer l’efficacité des initiatives. La mise en place de mécanismes permettant une co-construction des projets, incluant les communautés locales, pourrait transformer la dynamique actuelle en mobilisant un réseau local plus intégré et capable d’essaimer au-delà des zones pilotes.
Initiatives en France : Conseiller Numérique France Services et les Labs du MEN
En France, des initiatives telles que Conseiller Numérique France Services (CNFS) et les Labs du Ministère de l’Éducation Nationale (Labs du MEN) bénéficient d’un soutien institutionnel fort. Bien que cette centralisation permette une structuration plus claire, elle peut également créer des résistances, notamment en raison des processus administratifs rigides et du manque de vision transversale. La responsabilité partagée entre les acteurs reste souvent floue, ce qui limite leur engagement dans les projets et freine la résilience nécessaire pour intégrer de nouvelles pratiques.
La délégation claire de responsabilités et la mise en place de cycles de feedback pourraient encourager une dynamique plus participative. Par ailleurs, une formation systématique et une sensibilisation accrue de toutes les strates des parties prenantes faciliteraient l’appropriation des innovations, tout en transformant les acteurs institutionnels en forces de proposition. Ces mécanismes sont essentiels pour renforcer l’adaptabilité et l’engagement durable de chaque partie prenante.
Discussion : Apports théoriques et managériaux
Apports théoriques
Cette étude met en évidence l’influence du sentier de la dépendance et de la résistance systémique au changement dans des contextes sociétaux différents, en France et en Algérie. Bien que les structures institutionnelles et les niveaux de maturité des cas d’étude varient entre les deux pays, les trajectoires héritées créent une inertie qui freine l’adoption de nouvelles pratiques. Les concepts de fragmentation des écosystèmes, manque de vision partagée, délégation de rôles clairs, et co-construction apparaissent comme des éléments clés pour comprendre comment les acteurs peuvent surmonter les résistances et s’engager dans la transformation.
Ces freins montrent l’importance de décloisonner les écosystèmes et d’inclure toutes les strates de la société dans un processus participatif de transformation numérique et culturelle. L’analyse révèle que la co-construction et l’adaptabilité des pratiques sont essentielles pour réduire la dépendance aux trajectoires héritées, permettant ainsi une adoption plus fluide de nouvelles dynamiques.
Apports managériaux : Cadre intégré, adaptable et adaptatif
Sur le plan managérial, cette étude justifie la nécessité d’un cadre intégré, adaptable et adaptatif qui favorise à la fois la résilience en France et la scalabilité en Algérie, en tenant compte des spécificités de chaque contexte. Ce cadre propose une structure de délégation de rôles clairs, où chaque acteur, public ou privé, comprend ses responsabilités et sa contribution au processus de transformation. Une telle clarté permettrait de renforcer l’autonomie des acteurs et leur potentiel à agir en tant que catalyseurs du changement.
Le cadre repose également sur la formation et la sensibilisation de toutes les strates sociales pour transformer les acteurs en forces de proposition. En plus de transmettre les connaissances techniques, cette approche encourage la capacité d’appropriation et de réappropriation du numérique, de l’innovation et de la culture, permettant ainsi une adaptabilité accrue du framework. En cultivant l’esprit critique et l’initiative, ce modèle permet aux acteurs d’imaginer et de mettre en œuvre des scénarios d’application concrets, renforçant leur engagement dans le processus de transformation.
En intégrant des cycles de feedback continus et une évaluation rigoureuse, ce modèle adaptatif et participatif offre une flexibilité essentielle pour ajuster les actions en fonction des retours des parties prenantes. Inspiré de la théorie des systèmes complexes, il intègre des indicateurs de résilience organisationnelle et de scalabilité pour évaluer la capacité des initiatives à absorber le changement et à l’adopter durablement. Ces indicateurs incluent des KPI (indicateurs de performance clés) et des études d’impact pour mesurer l’efficacité des stratégies de transformation, permettant d’identifier les ajustements nécessaires pour renforcer la durabilité et l’impact des initiatives dans le temps.
En résumé, ce cadre intégré propose une approche holistique, où la délégation claire des responsabilités, le décloisonnement des écosystèmes, et la formation continue favorisent l’engagement des acteurs, en les dotant de la capacité à s’approprier et à réimaginer les usages du numérique et de l’innovation. L’utilisation de KPI et d’études d’impact systématiques garantit une transformation numérique et culturelle inclusive, durable et véritablement participative.
Conclusion et perspectives
Cette étude a mis en lumière les freins communs aux transformations numériques et culturelles en France et en Algérie, malgré des contextes et des objectifs distincts. La résistance au changement, exacerbée par le sentier de la dépendance et la fragmentation des écosystèmes, souligne la nécessité de développer des stratégies de décloisonnement et de co-construction pour favoriser une transformation durable. En Algérie, la scalabilité des projets privés, tels que ceux de Young Creators, requiert une intégration accrue des acteurs locaux, tandis qu’en France, la résilience des projets institutionnels nécessite une adaptabilité accrue aux retours des acteurs de terrain.
L’étude propose un cadre intégré, adaptable et adaptatif pour permettre aux acteurs de s’approprier le processus de transformation. Ce modèle repose sur une délégation claire des responsabilités et un effort de formation et de sensibilisation de toutes les strates sociales, favorisant l’émergence d’acteurs autonomes et capables de s’engager en tant que forces de proposition. En encourageant l’appropriation et la réappropriation du numérique, de l’innovation et de la culture, le cadre permet aux acteurs de co-construire des solutions adaptées et d’imaginer des scénarios d’application concrets, renforçant ainsi l’impact et la durabilité des initiatives.
Perspectives de recherche : Pour aller plus loin, il serait pertinent de tester l’efficacité de ce modèle à travers des études empiriques dans des contextes similaires, en particulier pour évaluer l’impact des cycles de feedback et des indicateurs de performance (KPI) sur la résilience et la scalabilité des transformations numériques. L’approfondissement de la gouvernance collaborative et des méthodologies de co-construction pourrait également offrir de nouvelles perspectives pour surmonter la fragmentation des écosystèmes et favoriser une transformation numérique inclusive et ancrée dans les réalités locales.
Bibliographie
Benallal, R. (2021). Éducation nationale et transformation numérique : les Labs du MEN. Management et Datascience, 5(3). https://doi.org/10.36863/mds.a.15922
Benallal, R. (2024). Transition numérique : un nouveau paradigme culturel et sociétal. Management et Datascience, 8(1). https://doi.org/10.36863/mds.a.27170
Krugman, P. (1991). Increasing Returns and Economic Geography. Journal of Political Economy, 99(3), 483–499. http://www.jstor.org/stable/2937739
Pierson P. (2000) Increasing Returns, Path Dependence, and the Study of Politics. American Political Science Review. ;94(2):251-267. doi:10.2307/2586011