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Thuy AUFRERE
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Souvent glorifiée par le cinéma, l’intelligence artificielle (IA) fascine pour toutes les possibilités presque illimitées qu’elle semble offrir.
L’engouement pour l’IA est réel. Son marché global est estimé à plus de 130 milliards d’euros en 2023. Les entreprises voient dans l’IA une manne financière dans un marché ultra compétitif n’hésitant pas à investir massivement. 72% des organisations prévoient même d’augmenter leur investissement en IA en 2024 alors qu’elles avaient déjà dédié 29 milliards d’euros en 2023. Contradictoirement, 76% des dirigeants rencontrent des difficultés à implémenter l’IA dans leur organisation.
Avant développement d’un projet IA, les organisations commencent en général par un POC (proof of concept) afin d’étudier la faisabilité d’un besoin. Par cet article, nous aborderons les conditions qui favorisent le passage d’un POC d’un projet d’IA vers la réussite de son industrialisation opérationnelle et son adoption au sein de l’organisation.
Mais qu’est-ce d’un projet d’intelligence artificielle ?
Le Parlement européen définit l’intelligence artificielle comme “tout outil utilisé par une machine capable de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité« . Par cette définition, nous supposons que l’entreprise utilise l’IA pour imiter au plus juste le comportement humain dans une optique de réduire les coûts, les délais, et d’améliorer la performance, la qualité de leurs produits et/ou services.
Nous allons d’abord lister les facteurs d’échec d’un projet d’intelligence artificielle. Puis nous aborderons les composants qui nous semblent primordiaux pour réussir l’implémentation d’un projet IA :
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- Un POC cadré, fondement de la nécessité d’un besoin ;
- Les conditions pour une opérationnalisation optimale ;
- Une acculturation de la donnée pour une adoption réussie.
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Facteurs d’échec d’un projet d’intelligence artificielle
Selon RAND, plus de 80% des projets d’intelligence artificielle échouent. L’organisation de recherche identifie cinq raisons potentielles expliquant l’échec de l’implémentation d’un projet IA.
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- Le besoin : La difficulté par les métiers à définir (ou à expliquer) le besoin pouvant être résolu par l’IA.
- La donnée : RAND estime que la donnée disponible au sein de l’organisation n’est pas suffisante pour entraîner un modèle d’IA efficace.
- La technologie comme un but : Les entreprises se concentrent plus sur le moyen technologique à utiliser qu’à identifier le problème réel à résoudre grâce à l’IA.
- L’infrastructure : L’absence d’une infrastructure adéquate pour collecter, stocker, gérer les données pour le déploiement des modèles algorithmiques.
- La complexité du problème à résoudre : La dernière raison qui explique l’échec d’un projet d’IA concerne la technologie disponible qui ne permet pas de résoudre encore les problèmes complexes.
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Prérequis en amont d’un projet IA
Pour éviter tout “push” technologique, il est important que les organisations et surtout les métiers prennent pleinement conscience que la technologie n’est qu’un moyen qui permet d’atteindre un objectif bien défini et clair. Dans un projet d’IA, il est nécessaire que les métiers répondent le plus précisément possible à ces 2 questions sans prendre en compte la technologie :
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- Quel est le problème que je souhaite résoudre ?
- Quel est l’objectif en résolvant ce problème ?
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Puis, en étroite collaboration avec l’équipe technique, les 2 parties répondent à ces 2 autres questions :
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- Comment le problème peut être résolu ? Quels sont les résultats attendus ?
- Quelles ressources (données et humaines) sont requises pour résoudre le problème ?
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Mettre par écrit son besoin aide à l’exprimer et facilite sa compréhension, d’où l’étape du POC qui ne doit pas être négligée. Elle confirme ou, au contraire, réfute le besoin métiers. L’identification du cas d’usage laisse ensuite place aux moyens de le résoudre comme :
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- Les parties-prenantes métiers et techniques. Plus la collaboration entre ces 2 acteurs est étroite, plus le projet réussira car la bonne compréhension du besoin par les équipes techniques, dès le début, leur permettra de réaliser les tests nécessaires pour atteindre les résultats attendus.
- Les sources et la qualité des données : le POC s’assure que les entreprises disposent des données pertinentes permettant aux modèles algorithmiques de s’entraîner pour émettre des résultats cohérents et explicables.
Enfin, le dernier pré-requis est l’importance de vulgariser les échanges entre les métiers et les équipes techniques avec un même langage. Les métiers expliquent aux équipes techniques leur règle des gestions. A l’inverse les équipes techniques doivent vulgariser les modèles algorithmiques afin que les métiers comprennent les résultats obtenus et expliquent les contraintes techniques, sécuritaires ou réglementaires qu’ils peuvent rencontrer ou respecter.
Ces 3 conditions (identification d’un besoin réel à résoudre, l’identification des données nécessaires et de qualité, la collaboration entre les métiers et les équipes techniques) lors d’un POC sont primordiales avant toute opérationnalisation d’un projet d’IA. Dès lors que les résultats obtenus lors du POC d’un projet d’IA satisfont les métiers, la phase d’industrialisation peut commencer.
Quels sont les composants pour son succès ?
Opérationnalisation d’un projet d’IA
Un projet d’IA reste un projet englobant les mêmes facteurs de succès tels que le soutien du top management, les bonnes parties prenantes et leur rôle, une planification réaliste etc.
À la différence d’un projet dit classique, d’autres paramètres sont à prendre en compte dans la phase d’opérationnalisation de l’IA axée sur un processus d’amélioration continue dont le but est la recherche de l’efficacité ou de l’efficience.
Importance de la documentation
Pour optimiser au mieux l’opérationnalisation d’un projet d’IA, une documentation sur l’architecture technique et la spécification est primordiale. La documentation est souvent réalisée au début du projet. Cependant avec le temps, nous constatons qu’elle est délaissée, la considérant comme une perte de temps. Dès lors, elle n’est plus mise à jour alors même que des changements majeurs ou minimes ont été apportés. Les parties-prenantes se reposent essentiellement sur les sachants présents sur le projet à un instant T. L’opérationnalisation d’un processus d’IA peut se retrouver dans une phase de difficulté car les sachants sont partis avec leur connaissance technique et/ou métiers du projet. La connaissance via une documentation claire, à jour, disponible et communiquée est la guerre de la guerre dans l’opérationnalisation d’un processus d’IA. Nous recommandons même une instance sur la revue de la documentation pour l’actualiser, même en phase de run.
Importance de la qualité de données
De plus, pour implémenter l’opérationnalisation d’un processus d’IA, la donnée, et surtout sa qualité, est exigée. Une vraie stratégie doit être mise en place.
Si l’entreprise n’a pas les données nécessaires, elle peut mettre en place une stratégie pour les collecter et les stocker en ayant en tête sa qualité avec une nomenclature définie et des moyens de contrôles dès la saisie.
Si l’entreprise possède les données nécessaires, une stratégie de qualité de données est fortement recommandée incluant les notions comme l’exactitude, la complétude, la cohérence…La qualité de la donnée ne se pose pas qu’au moment d’un besoin. Pour les données existantes, nous conseillons un travail sur la résorption -si elle est possible- de la mauvaise qualité des données dans les bases de données. Si le legacy est impossible à modifier, il est possible de définir des règles de collecte de données pour la traiter et la nettoyer.
Un chantier peut être effectué avec la création d’un tableau de bord sur le suivi de la qualité de la donnée et sa résorption, comme nous le faisons pour le suivi des réclamations des clients. En effet, la qualité des données est la condition sine qua non pour éviter des résultats aberrants (outliers) dans les modèles algorithmiques. Cette stratégie de la donnée doit être couplée avec la sécurité et la protection de données.
Importance de la collaboration entre métiers et experts data
Enfin le dernier composant qui nous semble important est le travail de collaboration entre les équipes métiers et techniques. Cette collaboration est même optimisée si elle est vue comme un partenariat entre les 2 parties-prenantes, l’une ne peut pas fonctionner sans l’autre. Souvent, nous constatons une incompréhension des techniques vers les métiers et inversement, impactant la réussite de l’opérationnalisation d’un processus d’IA. Pour les techniques, le besoin exprimé par les métiers est rarement clair et pour les métiers, les techniques ne comprennent pas le besoin.
C’est pourquoi une stratégie d’acculturation de la donnée est essentielle pour favoriser l’adoption et la réussite de l’opérationnalisation d’un projet d’IA. Les acteurs d’une organisation assimilent toujours mieux un projet, un processus quand ils en comprennent les enjeux, les impacts et le travail attendu et réalisé nécessaires.
Acculturation de l’IA pour une meilleure adoption
Le Memorandum de Redfield, Linton et Herskovits (1936) définit l’acculturation comme “l’ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraînent des changements dans les modèles culturels initiaux de l’un ou des deux groupes.”
Dans les organisations, chaque direction, chaque métier, chaque acteur ont leur manière de fonctionner, leur priorité et leur compétence qui collaborent pour atteindre un même objectif.
Stratégie de la donnée
Pour une meilleure adoption de l’IA dans les organisations, sa compréhension et surtout son utilité, son usage par toutes les couches d’une organisation sont cruciales. Elle passe par une stratégie de la donnée, une acculturation de l’intelligence artificielle de tous les acteurs, de la collecte et du stockage de la donnée par les gestionnaires de données et data engineers en passant par ceux qui l’analysent comme les data analysts/scientists pour arriver à ceux qui la consomment comme le top management et les opérationnels.
Stratégie de formation
L’acculturation à l’intelligence artificielle repose sur le principe de munir les collaborateurs des compétences principales pour comprendre et utiliser tout le potentiel de la donnée et des systèmes d’IA. Plus concrètement, elle consiste à vulgariser et à familiariser les principes de base de l’IA, à former sur l’usage des technologies et de la qualité des données.
Stratégie de l’utilité et de l’usage de la donnée
De nombreuses études ont démontré qu’un individu adopte mieux une idée quand il comprend le sens et la valeur que cela peut apporter à lui-même ou aux autres. Nous constatons que dans la plupart des entreprises la qualité des données est un enjeu central. En effet, sans elle, même avec la meilleure technologie, les meilleurs experts data, les résultats des modèles algorithmiques seront toujours relatifs, voire faussés. Par conséquent, l’acculturation à la donnée devrait se faire dès sa collecte ou sa saisie dans les bases de données. Nous préconisons d’impliquer les gestionnaires de données en communiquant sur l’usage des données. Le story telling ne doit pas être limiter au management ou aux utilisateurs finaux.
Par ailleurs, nous avons évoqué au début de cet article, les pré-requis d’un projet d’IA avec le commencent d’un POC avec les questions essentielles à se poser. L’adoption de l’opérationnalisation de l’IA devrait passer systématiquement par cette étape avec une définition claire des besoins, des indicateurs mesurables et évaluables et un partenariat avec les métiers et les équipes techniques.
Conclusion
L’intelligence artificielle est devenue incontournable dans nos vies, à tel point que nous ne nous rendons plus compte que nous l’utilisons quotidiennement. Elle est devenue quasi obligatoire dans les entreprises si celles-ci veulent rester compétitives. Paradoxalement, la grande majorité des projets d’IA échouent ou ont du mal à être implémenter dans les organisations. Nous oublions que la vitesse à laquelle se propage l’IA est plus rapide que son assimilation dans les entreprises.
Son temps d’apprentissage est lent et nécessite un investissement dans le long terme de son opérationnalisation et de ses bonnes pratiques, telles que la mise en place d’un POC réussie, la qualité des données, le développement d’un partenariat entre métiers et techniques avec un même langage. Cet investissement nécessite d’importants moyens financiers et humains, possible dans les grandes entreprises mais qu’en est-il des structures plus petites ?
Bibliographie
JAMES RYSEFF, BRANDON DE BRUHL, SYDNE J. NEWBERRY (2024) https://www.rand.org/content/dam/rand/pubs/research_reports/RRA2600/RRA2680-1/RAND_RRA2680-1.pdf
European Parliament : AI investment: EU and global indicators
https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2024/760392/EPRS_ATA(2024)760392_EN.pdf
Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche : Intelligence artificielle (IA) : de quoi parle-t-on ?
https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/intelligence-artificielle-de-quoi-parle-t-91190
Vention: AI adoption statistics by industries and countries: 2024 snapshot https://ventionteams.com/solutions/ai/adoption-statistics
UNIVERSALIS : https://www.universalis.fr/encyclopedie/acculturation/
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