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Les auteurs
Daniel Pélissier
(dpelissier12@gmail.com) - IUT de RodezJérôme Bousquié
(jerome.bousquie@ut-capitole.fr) - (Pas d'affiliation)Laurent Wehrlé
(laurent.wehrle@iut-rodez.fr) - (Pas d'affiliation)
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La tendance à l’évaluation de nombreuses situations de la vie quotidienne s’est généralisée et l’action de juger est devenue un phénomène de société et une condition de fonctionnement des marchés (Karpik, 2007) en permettant de classer des biens et services aux contours imprécis.
Dans le domaine de l’emploi, la communication de recrutement est centrale pour l’attractivité des organisations. Dans ce cadre, le développement de plateformes d’avis de salariés a débuté vers 2008 aux États-Unis avec l’apparition de Glassdoor qui couronne une lente évolution de ce type d’usages depuis la fin des années 1990. Glassdoor, ce Tripadvisor de l’emploi, a connu rapidement le succès et le nombre d’avis se multiplie rapidement.
Le lien avec la logique de marque employeur apparait de prime abord et à plusieurs niveaux. Les avis de salariés peuvent être intégrés à des politiques d’attractivité et de marque employeur comme un outil complémentaire de valorisation de la marque. De plus, ces nouvelles données contribuent à la construction identitaire de l’organisation. Dans cette perspective, ces avis proposent une information de nature différente de celles généralement évoquées par la marque employeur plus centrée sur les discours institutionnels.
La note employeur est parfois mais rarement réemployée sur les sites web des entreprises (Pélissier, 2020) qui préfèrent les témoignages, mieux contrôlés, ou les labels associés à la marque employeur. Il est en effet difficile, pour un employeur de situer cette note. Avec une échelle de 1 à 5, la moyenne se situe à 3 mais ce repère évident ne suffira pas pour estimer la satisfaction globale d’un ensemble de salariés. Comparer avec d’autres entreprises, savoir interpréter une répartition, comprendre la formation de la note, etc. sont autant de compétences nécessaires pour prendre en compte ce score.
C’est pourquoi cet article explorera la question des caractéristiques statistiques des notes employeurs (niveau, répartition) pour proposer un premier ensemble de repères sur cette nouvelle information publique.
État de l’art : niveau et réputation de la note employeur
La littérature scientifique sur les notes employeur est en développement et très largement anglo-saxonne. Les échantillons varient fortement selon les études avec une moyenne de plus de 400 000 avis collectés avec un minimum de 17 000 (Farhadi et Nanda, 2021). Dans tous les cas, les données sont massives, comme le montre aussi le nombre d’entreprises concernées dans notre corpus d’articles.
Ces études sont récentes, la majorité datant de 2019 au plus (64% des articles). Les entreprises sont très largement américaines (78% des cas) et la plateforme utilisée est Glassdoor (78% des études). Kununu, plateforme d’origine allemande, est parfois utilisée mais marginalement (Könsgen et al. 2020 ; Konkar et Helic, 2020). La durée de collecte est souvent longue avec une moyenne de presque 7 ans de données jusqu’à 11 ans pour certains auteurs (Chi et Chen, 2020 ; Konkar et Helic, 2020). L’accès aux données facilite ces études longitudinales.
La question de la répartition des notes est posée dans certaines publications. Marinescu et al. (2018) montrent, pour la plateforme Glassdoor, que la méthode Give-to-Get permettrait de limiter le risque d’une courbe en J ou en U . Peu d’études publient cependant leur répartition de notes. Parmi celles-ci, certaines sont quasiment en cloche avec une légère asymétrie négative (Chemmanur, Rajaiya et Sheng, 2020, p. 81 ; Sheng, 2019, p. 55). D’autres mettent en évidence une courbe asymétrique, avec une répartition plus concentrée à droite de la répartition (notes 3, 4 et 5) (Stamolampros et al. 2019, p. 135).
Les quatre publications citées concernent des données Glassdoor. Il est difficile de comprendre les causes de cette répartition qui peuvent être multiples (effet plate-forme, type de notes, pays, etc.). La courbe de répartition, en cloche centrée sur la moyenne ou en cloche asymétrique, est cependant similaire ce qui ne correspond pas à l’expression de salariés insatisfaits ou à une domination d’ambassadeurs enthousiastes. Cette revue de littérature montre ainsi un niveau de note assez élevé, entre 3 et 3,5, quel que soit le pays ou la plateforme concernée avec un écart-type assez faible autour de 0,5. Il faut cependant relever un effet culturel puisque le niveau de notes peut varier fortement selon pays concerné (Konkar et Helic, 2020).
Cependant, les données de ces études ne concernent pas les entreprises françaises. Par ailleurs, aucune répartition de la moyenne des entreprises n’est étudiée alors que cette approche permettrait de vérifier, notamment, la normalité de cette variable continue et ainsi faciliter sa modélisation et les prévisions. Si cette revue de littérature fournit quelques repères intéressants, un transfert au contexte français permettra de vérifier, infirmer ou nuancer ces repères statistiques en complétant ces approches par un effort de modélisation des données obtenues.
Résultats principaux sur la répartition des notes employeurs
Notre étude montre deux résultats significatifs : d’abord, le niveau et la répartition des notes correspondent à la revue de littérature ce qui ne démontre pas une spécificité française mais permet de valider cette analyse ; ensuite, une étude de répartition des moyennes par entreprise a mis en évidence une répartition suivant une loi normale de ces informations pour ce corpus. Ce second résultat permet alors de proposer une modélisation statistique du phénomène observé.
Niveau et répartitions des notes de grandes entreprises françaises
La note moyenne de 3, 63 est située dans la partie haute des notes employeurs par rapport aux données des articles présentés dans la revue de littérature. Seuls Konkar et Helic (2020) ont une moyenne supérieure de 3, 85 sur une plateforme différente avec des disparités importantes selon les pays. La note obtenue avec ce corpus est ainsi 14,52 sur 20 alors que la revue de littérature renvoie une méta-moyenne de 13,08. Cet écart pourrait s’expliquer par différents facteurs : plateforme différente, secteur, pays, culture de l’évaluation, etc. La répartition des notes de 1 à 5 (fig. 1) est cependant très proche de celles obtenues dans les autres études.
La répartition obtenue de cette variable discrète n’a pas le format d’un J ou d’un U mais plus d’une cloche décentrée sur la droite. La grande majorité des notes est supérieure ou égale à la moyenne de 3 soit 83,49% pour les notes 3, 4 et 5. Les notes au-dessous de la moyenne théorique ne représentent que 16,51% des 118 602 notes collectées.
Nombre d’avis | 118 602 |
Moyenne des notes | 3,63 |
Ecart type | 1,20 |
Médiane | 4 |
Mode | 4 |
Notes | Nombre | % |
1 | 10 330 | 8,71% |
2 | 9 257 | 7,81% |
3 | 25 777 | 21,73% |
4 | 41 521 | 35,01% |
5 | 31 717 | 26,74% |
Total | 118 602 | 100% |
Figure 1. Statistiques élémentaires des notes employeur du corpus
Modélisation des moyennes des notes employeurs
Un autre traitement a permis d’obtenir la note moyenne pour chacune des 429 entreprises. Elles s’étalent de 2,1 à 4,4 une fois arrondies au dixième. Si les notes sont des variables discrètes, la moyenne par entreprise est une variable théoriquement continue que nous avons souhaité représenter graphiquement pour connaitre le profil de sa répartition (fig. 2).
Figure 2. Modélisation des notes moyennes par entreprise
La forme de cette courbe met en évidence la rareté des entreprises dont la moyenne des notes est inférieure à la moyenne de l’échelle utilisée. Sur les 429 entreprises, 51 ont une moyenne de note employeur inférieure à 3, moyenne théorique de cette échelle de note (environ 12% de l’échantillon). La grande majorité des moyennes pour ce corpus se situe autour de la note de 3,5. 298 entreprises ont une moyenne située entre 3,1 inclus et 3,9 inclus soit environ 70% de cet échantillon. Par ailleurs, la forme de cette courbe et la nature continue de cette variable renvoient à une répartition normale asymétrique. Une loi normale asymétrique n’est pas centrée sur la moyenne de la variable mais sur une donnée supérieure à la moyenne théorique, 3 dans ce cas (asymétrie à droite de la courbe) ou inférieure à la moyenne (asymétrie à gauche). Pour ce corpus, un modèle est obtenu en réduisant la distance entre les deux distributions. Par une recherche systématique sur des valeurs de paramètres et plusieurs simulations, la valeur des écarts au carré est minimisée pour fournir une approximation des données réelles par la loi proposée. Les paramètres de la loi normale asymétrique (fig. 3) obtenue au terme de plusieurs itérations sont alors les suivants :
α = – 3, 89 ξ = 4,06 et ω = 0,69.
L’espérance de cette loi qui approxime les données réelles est de 3,52 et son écart-type de 0,19.
L’intérêt de cette modélisation est de démontrer que la répartition de la variable continue des moyennes par entreprises peut être raisonnablement approximée par une loi normale asymétrique sans se contenter d’une appréciation visuelle sur la forme de la courbe. La modélisation, une fois réalisée, permet de généraliser les données étudiées (voir note méthodologique) et envisager des estimations de probabilités pour la note moyenne d’une entreprise pour un secteur ou un pays donné, par exemple.
Discussion : la note employeur comme résultat d’un processus complexe d’évaluation
Les résultats présentés précédemment montrent surtout que la note employeur ne peut pas être interprétée simplement en l’associant à quelques variables significatives. Au contraire, les répartitions observées pour ces grandes entreprises françaises illustrent un phénomène complexe.
Le profil de la note employeur : les mécontents et les ambassadeurs ?
Les notes employeur ne sont pas un lieu d’expression des mécontents ou inversement d’ambassadeurs. Si tel était le cas, les répartitions obtenues (fig. 1 et 2) auraient une forme en U (mécontents et ambassadeurs) ou en J (ambassadeurs). Contrairement à ce qui pourrait être imaginé, a priori, la répartition montre globalement pour ce corpus des évaluations plutôt positives qui ne se laissent pas enfermer dans une interprétation simple de l’évaluation des salariés comme d’autres études l’avaient aussi montré précédemment (Chemmanur, Rajaiya et Sheng, 2020, p. 81 ; Stamolampros et al. 2019, p. 135 ; fig. 1). Force est cependant de constater que les notes employeur ne suivent pas une répartition caricaturale associée à certains salariés insatisfaits ou, au contraire, enthousiastes.
La répartition obtenue de chaque note est liée à la construction de ce corpus et l’origine des données. Si la répartition des notes obtenues semble générale, les caractéristiques précises (moyenne, écart-type, pourcentages de répartition par note) sont sans doute contingentes et doivent être intégrées avec prudence.
La multiplicité des déterminants de la note employeur
La modélisation obtenue de ces données avec une loi normale asymétrique permet de déduire quelques hypothèses sur la construction de la note employeur pour ces salariés.
D’abord, une loi normale est le résultat d’une somme de nombreuses variables aléatoires continues selon le théorème central limite. Obtenir une loi normale signifie ainsi que les déterminants de la note employeur pour ce corpus ne peuvent pas se résumer à un unique indicateur d’attractivité comme la marque employeur ou la réputation de l’entreprise. Ce sont, en cohérence avec cette modélisation, un ensemble de facteurs, plusieurs dizaines, qui peuvent expliquer ces évaluations. Cela n’a rien d’étonnant tant la réalité d’un employeur et sa perception sont complexes.
Ensuite, l’asymétrie de la loi normale exige quelques commentaires. Mathématiquement, l’asymétrie peut apparaitre si l’évaluateur retient la meilleure note donnée parmi un couple donné. Mais cela ne correspond à aucune plateforme. De façon plus réaliste, l’asymétrie apparait quand la loi normale est la conséquence de plusieurs sous-groupes de lois normales mais ayant des espérances et des écart-types différents. Or, plusieurs déterminants de la note ont été démontré dans la littérature. L’influence du secteur est importante. Par exemple, Huang et al. (2015 p. 109) mettent en évidence des notes allant de 2, 65 pour les services à la personne à plus de 3,5 pour la production alimentaire. De même, dans le secteur du tourisme, Stamolampros et al. (2019 p. 144) soulignent des écarts importants entre les campings dont la note moyenne est de 3,86 et les services de bus à 3,16. La localisation peut aussi influencer la note employeur. Konkar et Helic (2020) soulignent que les américains ont des notes moins élevées que les européens. Plus finement, la région peut aussi influencer la notation comme le démontrent Chi et Chen (2020) pour les Etats-Unis dont les Etats ont des moyennes de notes variant de 2,93 pour le Montana à 3,49 en Californie. Ces sous-groupes hétérogènes peuvent alors expliquer une asymétrie globale que d’autres études pourront démontrer.
Conclusion
Cette étude d’un corpus de données massives d’avis de salariés a montré une répartition des notes de grandes entreprises françaises confirmant les résultats obtenus dans d’autres recherches pour d’autres pays. Les notes moyennes par entreprise se répartissent selon une loi normale asymétrique. Cette modélisation apporte à la littérature sur cet objet de recherche un résultat original qui démontre une multicausalité de la construction des notes employeur et permet d’argumenter l’existence de quelques facteurs déterminants comme le secteur ou la taille de l’entreprise.
Pour les employeurs, le modèle proposé fournit un premier repère pour savoir si les notes de leurs salariés peuvent être considérées comme bonnes (voir ci-dessous).
D’autres études seront nécessaires pour dépasser, notamment, les limites de cet échantillon et mieux analyser les facteurs d’influence de la note employeur.
Recommandations par niveaux de notes employeur
A partir de la modélisation obtenue, nous proposons quelques recommandations aux employeurs en fonction de leur note employeur.
Note employeur | [0- 2,7[ | [2,7-3,5[ | [3,5- 4[ | [4-4,3[ | [4,3-5[ |
Pourcentages d’entreprises concernées | 5% | 40% | 45% | 9% | 1% |
Nom du scénario | Alerte rouge | Vigilance | Valorisation | Référence | Excellence |
Actions recommandées | Vérification de la représentativité de la note
Enquête de climat social |
Actions « Alerte Rouge » et :
Prise en compte d’un effet externe (secteur…) Selon la représentativité et le climat social, communication interne Mise en place d’un suivi régulier, tableau de bord, veille multiplateforme, etc. |
Actions précédentes et :
Valorisation des notes (site web, réseaux socionumériques, etc.) Audit de la présence numérique Benchmarking sur le secteur et les concurrents directs Recherche de labélisation
|
Actions précédentes et :
Labélisation spécialisée (Glassdoor, CMCompany…) Intégration systématique dans la communication Marque Employeur
|
Actions précédentes et :
Logique de responsabilité sociétale : diffusion de bonnes pratiques, ateliers de partages, etc. |
Il est ainsi possible, grâce à la modélisation, de situer plus précisément la moyenne d’une note employeur pour une entreprise. Par exemple, une note employeur moyenne de 4 concernera, selon ce modèle (annexe), 11,49% des entreprises.
La philosophie générale de ces recommandations est qu’une note employeur satisfaisante ne devrait pas être le résultat d’une manipulation des données. En effet, une note du premier scénario, inférieure à 2.7, et représentative d’un mauvais climat social pourrait être améliorée par la formation et l’implication d’ambassadeurs de l’entreprise qui auront pour mission de « redresser » la note. Cette technique peut être efficace à court terme mais particulièrement cynique ; elle ne changera cependant pas le climat social, au contraire, et risque d’être décevante pour les nouveaux recrutés ce qui aura d’autres conséquences négatives (turn-over, mauvaise image et réputation, etc.). La répartition mise en évidence dans cet article démontre la possibilité de transformer la note employeur en outil de gestion, à condition d’être responsable dans l’intérêt bien compris de l’entreprise et de ses salariés actuels et futurs, en cohérence avec une démarche RSE (Responsabilité Sociétale de l’Entreprise).
Bibliographie
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Chi, W., & Chen, Y. (2020). Employee satisfaction and the cost of corporate borrowing. Finance Research Letters, p. 1‑10.
Farhadi, R., & Nanda, V. (2021). What do employees know ? Quality perception and ‘over-satisfaction’ in firms going public. Journal of Corporate Finance, 66, p. 1‑21.
Huang, M., Li, P., Meschke, F., & Guthrie, J. (2015). Family firms, employee satisfaction, and corporate performance. Journal of Corporate Finance, 34, p. 108–127.
Karpik, L. (2007). L’économie des singularités. Gallimard.
Konkar, P., & Helic, D. (2020). Employee Satisfaction in Online Reviews. p. 152–167.
Könsgen, R., Schaarschmidt, M., Ivens, S., & Munzel, A. (2018). Finding Meaning in Contradiction on Employee Review Sites—Effects of Discrepant Online Reviews on Job Application Intentions. Journal of Interactive Marketing, p. 165–177.
Marinescu, I. E., Klein, N., Chamberlain, A., & Smart, M. (2018). Incentives Can Reduce Bias in Online Reviews (11367; IZA Discussion Papers, Numéro 11367, p. 1‑47). Institute of Labor Economics.
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Stamolampros, P., Korfiatis, N., Chalvatzis, K., & Buhalis, D. (2019). Harnessing the “wisdom of employees” from online reviews. Research Note. Annals of Tourism Research, p. 1‑4.