Citation
L'auteur
Romain Zerbib
(romainzerbib@yahoo.fr) - ICD Business School
Copyright
Déclaration d'intérêts
Financements
Aperçu
Contenu
L’aviation civile, un secteur d’excellence
L’aviation civile est un domaine d’activité où la moindre erreur peut avoir des conséquences dévastatrices. Les technologies toujours plus sophistiquées réduisent bien entendu de façon significative les accidents. Une étude de la Nasa témoigne cependant qu’au moins 70% des crashs aériens résultent d’une défaillance humaine. L’étude précise par ailleurs que la faille ne provient ni d’une méconnaissance, ni d’une incompétence technique, mais plutôt de la difficulté des équipages à réagir et à se coordonner face à une situation inhabituelle. L’incapacité à déléguer, à établir des priorités, à exploiter les informations disponibles ou encore à communiquer les intentions et la stratégie en sont un exemple. Les compagnies ont ainsi développé au fil du temps une connaissance approfondie des enjeux psychologiques et managériaux liés aux phénomènes imprévus. Les aptitudes comportementales telles que le leadership et le travail en équipe, la communication et la prise de décision, la gestion du stress et des conflits, font ainsi l’objet de formations particulièrement rigoureuses au sein des compagnies aériennes.
Le résultat est pour le moins remarquable, en particulier quand on constate le faible nombre d’accidents par kilomètres parcourus. Un rapport de la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) dénombre en effet 0,21 accident mortel par million de vols, soit 0,15 accident mortel par milliard de km. Un accident mortel survient autrement dit tous les 5 millions de vols. En guise de comparaison, nous pourrions mentionner un rapport de l’OMS sur le thème de la sécurité routière qui affirme que chaque année dans le monde, 1,35 million de décès sont dénombrés sur les routes, soit 1 mort toutes les 21 secondes environ. Une preuve, s’il en est, que la formalisation et la formation aux compétences comportementales peut avoir des effets significatifs sur la performance.
Le Crew Resource Management, c’est quoi ?
Les pilotes exercent leur fonction au sein d’un cockpit, un lieu confiné, où de multiples décisions cruciales sont prises chaque minute. Ils sont généralement deux mais peuvent être jusqu’à quatre en cabine. Les interactions y sont permanentes, entre membres de l’équipage (pilotes, mécaniciens, personnel de bord, etc.), entre pilotes et tour de contrôle, mais également entre pilotes et machines. Le cockpit constitue en effet un lieu ultra technologique où une part importante des opérations sont déléguées à des systèmes automatisés qui interagissent avec les pilotes.
Une étude de la NASA chargée d’examiner le rôle de l’erreur humaine dans les crashs aériens a démontré que nous faisions environ 5 erreurs par heure. L’inattention, le manque d’écoute, l’erreur d’interprétation ou encore le manque de considération vis-à-vis d’un avis contraire au sien – qui plus est lorsque l’on dispose de l’autorité hiérarchique – peut ici avoir des conséquences catastrophiques. L’analyse des enregistrements vocaux du poste de pilotage au cours de diverses catastrophes aériennes (les fameuses boites noires) a révélé que le copilote ou le mécanicien navigant avait parfois tenté d’apporter des éléments essentiels à l’attention du commandant de bord. Hélas, de façon indirecte, si bien que l’information n’a finalement pas été prise en compte dans la gestion du problème.
Nous pourrions, en guise d’illustration, évoquer l’exemple décrit par Robert Helmreich en 1997 dans un article intitulé « Managing human error in aviation ». L’auteur pointe une dynamique de groupe défectueuse tandis qu’un avion d’Air Florida, au cours de l’hiver 1982, décolle de l’aéroport national de Washington (aujourd’hui baptisé aéroport national Reagan). La présence de glace sur un capteur fausse la vitesse indiquée au tableau de bord et conduit le pilote à réduire la puissance au décollage. Le copilote fit part de ses doutes et inquiétudes mais de façon timorée, sans oser s’imposer. Résultat, l’avion cale et s’écrase sur un pont de la rivière Potomac tuant au passage 78 personnes dont 4 automobilistes présents sur le pont.
L’éventualité que la vitesse indiquée ne soit pas exacte a été évoquée par le copilote. L’accident aurait en conséquence potentiellement pu être évité. La situation décrite par Robert Helmreich s’avère à cet égard conforme au constat réalisé par la Nasa : la majorité des erreurs d’équipage proviennent de failles de communication, de coordination d’équipe et de prise de décision. Et les exemples, hélas, sont nombreux. Les compagnies aériennes se sont donc naturellement tournées vers des spécialistes en vue d’élaborer des formations adaptées.
Les psychologues John Lauber et Robert Helmreich ont ainsi mis sur pied un ensemble de formations plus connues sous le nom de Crew Resource Management (CRM). Le terme a été inventé en 1979 par John Lauber. Il définit le CRM comme étant « l’utilisation de toutes les ressources disponibles – informations, équipements et personnes – pour réaliser des opérations de vol sûres et efficaces ». Le principe consiste à favoriser une culture du cockpit moins autoritaire où les copilotes, tout en maintenant une hiérarchie du commandement, sont encouragés à interroger le commandant dès lors qu’ils identifient une éventuelle erreur. L’enjeu étant in fine d’éviter, gérer et atténuer les défaillances humaines grâce à une meilleure gestion des ressources disponibles au sein du cockpit.
Un exemple d’application réussie du CRM est notamment présenté dans le manuel « Social Psychology » de David Myers. Il y décrit un vol United Airlines DC-10 reliant Denver à Chicago. L’équipage – dont les membres ont été formés au CRM – a dû faire face une désintégration du moteur central coupant des lignes du gouvernail et des ailerons nécessaires à la manœuvre de l’avion. Tandis qu’il ne disposait que de quelques minutes à peine pour gérer la situation, l’équipage a été capable (1) d’élaborer une stratégie pour maîtriser l’avion, (2) d’évaluer les dommages, (3) de choisir un site d’atterrissage et (4) de préparer l’équipage et les passagers au crash. L’analyse des boites noires témoigne que les interactions entre membres de l’équipage ont été très nombreuses (31 communications par minute dont une communication par seconde au plus fort des échanges). Le procès-verbal souligne par ailleurs que l’équipage est parvenu à se coordonner pour impliquer un quatrième pilote présent en tant que passager, prioriser leur travail et se tenir mutuellement informés des décisions et événements nouveaux. Point important, les membres juniors de l’équipage ont librement suggéré des alternatives qui furent prises en compte par le commandant de bord. Résultat, malgré un stress extrême, l’équipage a pu sauver la vie de 185 des 296 personnes à bord en procédant à un atterrissage forcé à côté de la piste de l’aéroport de Sioux City.
Le CRM, un modèle à suivre pour les managers ?
Le CRM permet en résumé d’obtenir une meilleure compréhension de la situation, ainsi qu’une plus grande capacité de coordination, grâce à une maîtrise – partagée – de certaines compétences transversales jugées clefs au sein de l’équipage (leadership, travail en équipe, communication et prise de décision, gestion du stress et des conflits, etc.). Les aptitudes requises s’avèrent toutefois relativement complexes à maîtriser dans la mesure où cela exige des changements significatifs dans les habitudes personnelles, la dynamique de groupe ou encore la culture organisationnelle. Un des enjeux cruciaux du CRM consiste en effet à garantir un climat où l’autorité peut être respectueusement remise en question. Or, il s’agit là d’un sujet délicat pour nombre d’organisations, notamment fondées sur une structure hiérarchique traditionnelle, où la remise en cause d’une orientation peut être assimilée à une forme de déviance. La période actuelle marquée par d’importants enjeux liés aux transitions écologique et numérique démontre toutefois l’importance cruciale de telles compétences, en particulier pour relever les immenses défis du décloisonnement organisationnel et de l’intelligence collective.
✈️ Un exemple d’innovation pédagogique labelisée FNEGE pour développer les principes du CRM, à lire ICI : https://management-datascience.org/articles/28289/
Bibliographie
Lépinard, P., ., & . (Mai 2024). Crew Resource Management : comment peut-on s’inspirer de l’aéronautique ? Une approche pédagogique. Management et Datascience, Article 0028289. https://management-datascience.org/articles/28289/.
Martinache, G., & Zerbib, R. (2024). Formation: Comment relever le défi des compétences transversales?. éditions ems.
Zerbib, R. (2023). Les précieuses leçons empruntées aux pilotes pour une gestion d’entreprise de haut vol, Harvard Business Review France.
il ne peut pas avoir d'altmétriques.)