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Reyan Benallal
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Ces dernières décennies, nos sociétés connaissent une transition culturelle et numérique profonde qui a pour conséquence de transformer de manière transversale nos modes de vie.
« Bref, internet, après le train et la voiture. En réalité, la rupture est bien plus profonde et ses effets beaucoup plus diffractés. C’est plutôt avec l’invention de l’imprimerie, au XVe siècle, que la comparaison s’impose, car la révolution numérique est avant tout une rupture dans la manière dont nos sociétés produisent, partagent et utilisent les connaissances. Les changements sont intellectuels, religieux, psychologiques autant qu’économiques ou politiques. » [Cordon, 2019]. En 2019, Dominique Cardon mettait en avant dans son ouvrage Culture numérique, l’impact profond de l’arrivée du numérique sur nos civilisations.
Ce renouvellement civilisationnel implique dès lors un repositionnement de l’échiquier systémique bouleversant le rôle des acteurs en place. Ainsi, l’utilisateur final ou l’usager devient central : jusqu’alors simple consommateur prenant part à la force de production, il devient progressivement potentiel créateur mais également consommateur avisé.
Contexte et enjeux
A l’échelle nationale, cette transition implique, d’une part, un accroissement ainsi qu’une mutation des disparités sociales et territoriales ; d’autre part, une incertitude réduisant de manière considérable les perspectives de projection quant à l’évolution du cadre et de l’environnement social et identitaire.
La crise sanitaire a mis en avant les fractures préexistantes tenant au numérique, et ce dans toutes leurs dimensions. Mais également les limites liées aux différentes projections en termes de stratégie publique, dues à une obsolescence rapide des outils et usages et à un environnement très incertain. Qu’il s’agisse de l’éducation, des démarches administratives, des modes de communication, du développement culturel, de l’économie nationale ou encore de la sécurité, la quasi-totalité de notre environnement est soumis aux évolutions numériques – quand il ne se numérise pas totalement.
A l’échelle internationale, le numérique devient un outil quotidien, mais conditionne également les équilibres mondiaux et les compétitivités nationales en termes économiques, de par les infrastructures ou compétences techniques et méthodes managériales locales. Les coutumes, cultures, représentations identitaires et modèles de sociétés influent de manière primaire sur le déploiement des infrastructures et usages numériques territoriaux. Ainsi, la transition numérique devient également culturelle, sociétale et géostratégique revisitant de manière profonde les croyances et équilibres sur lesquels s’est fondé le monde moderne.
En parallèle, la libéralisation de nos sociétés et donc l’expansion du secteur privé ont favorisé l’innovation, la capitalisation et donc l’émancipation progressive de ce secteur, tout en voyant l’État paternaliste et planificateur se retirer progressivement.
Pour l’utilisateur final
Il ne s’agit plus de simplement consommer, mais également de prendre part à l’évolution du service qui lui est offert par ses choix de consommation et ses retours d’expérience.
Pour les entreprises
Il ne s’agit plus de répondre à de simples besoins, mais également de satisfaire l’utilisateur final par une prise en charge totale tant sur la solution finale elle-même que sur le relationnel qui l’accompagne et tous les cycles d’acquisition qui l’y mèneront.
Pour les territoires
Il ne s’agit plus d’appliquer une politique publique centralisée impulsée par les instances nationales. Il s’agit d’être capable d’une part d’adapter ces politiques au contexte sociologique et économique territorial, ainsi que d’être force de propositions et d’expérimentation à l’échelle locale tout en proposant un retour d’expérience documenté à ces mêmes instances.
Pour les États
Il ne s’agit plus de diriger et d’orienter les solutions développées, mais d’inciter à la productivité et à l’innovation, de s’assurer du maintien des services vitaux et de réguler des marchés visant à protéger l’utilisateur final, lui offrir des solutions accessibles et assurer une compétitivité internationale ainsi que protéger ses intérêts géopolitiques. Il s’agit également de recueillir et centraliser les propositions et modèles expérimentaux territoriaux afin d’assurer le déploiement d’un éventail de solutions génériques adaptables, tout en s’assurant de l’adhésion des parties-prenantes étant de plus en plus défiante à l’égard des modèles top-down, dits descendants.
La démocratisation progressive des nouvelles technologies telles que l’Intelligence Artificielle appliquées aux différents secteurs vitaux comme la santé, l’éducation… imposent également une nouvelle approche en termes de besoins professionnels et donc d’éducation, d’orientation et de formation des nouvelles générations. Nos sociétés doivent se réinventer tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle globale afin de répondre aux nouveaux enjeux de mondialisation mais également aux enjeux de positionnement de l’usager devenu central, une transition qui gagnerait donc à être accompagnée, encadrée et soutenue pour tendre vers la transformation de la sphère et de l’action publiques.
Des transformations vers la transition
Le changement progressif de positionnement de l’État paternaliste et planificateur à l’État leader encore en transition, et l’autonomisation du secteur privé et de l’usager impliquent un renouvellement du positionnement des pouvoirs publics opérationnels pour permettre d’apporter une vision nationale prenant en compte l’échiquier global, et d’assurer un modèle d’action multipartites efficient répondant aux enjeux locaux. En effet, les initiatives locales et régionales ne manquent pas, mais les efforts diffus et les freins liés aux passages à l’échelle empêchent de pallier les inégalités d’accès des citoyens notamment en termes d’éducation, d’acculturation et de formation.
Nous devons ainsi distinguer les notions de transformation et de transition :
La notion de transformation
La transformation se définit comme un processus décidé et maîtrisé par une entité visant à modifier la structure, les méthodes, les outils et/ou les usages de manière à atteindre un certain nombre d’objectifs déterminés au préalable dans un environnement et contexte visibles et maîtrisés.
Nous pouvons illustrer cette notion via l’exemple de la transformation numérique des agences bancaires. Pour faire face à une évolution des habitudes de consommation et usages de leur clientèle, les agences bancaires ont réorganisé le parcours client en le rendant plus autonome notamment pour les opérations courantes. Ainsi la numérisation des agences et la mise en place de nouveaux outils en ligne ont permis de réorienter l’activité des collaborateurs autour des missions de conseil et de ventes, mais également de réduire les coûts en termes de personnel, transformant de manière significative cette branche professionnelle.
Il s’agit donc d’un mécanisme volontaire visant à faire évoluer les outils et usages d’une situation A bien connue vers une situation B préalablement déterminée.
La notion de transition
La transition quant à elle s’induit et s’impulse d’elle-même. Généralement constatée à vaste échelle, elle représente la multiplication des évolutions d’usages non contrôlées liées à un environnement additionné aux transformations non concertées entreprises par les différents secteurs et pans de la société.
Nous pouvons illustrer cette notion en opposant deux exemples concrets.
D’une part la transformation numérique de l’Éducation Nationale volontairement entreprise dans une démarche de renouvellement organisationnel et pédagogique[5] visant à dématérialiser pour simplifier les communications et flux administratifs mais également à mieux outiller les élèves.
D’autre part, les impacts non contrôlés et encore peu mesurables impliqués par l’arrivée progressive du numérique dans leur quotidien. Dès lors, les méthodes d’interaction, de recherche d’informations, les nouvelles formes de harcèlement et les modifications progressives de l’attention des élèves font ainsi parti de cette transition non contrôlée qui s’impulse d’elle-même. Tant d’éléments externes avec lesquels les pouvoirs publics doivent composer en anticipant.
Il s’agit donc du laps de temps durant lequel les décideurs n’ont pas de visibilité sur ces évolutions de par leur vitesse et transversalité.
Transformations et transition, vers un nouveau modèle d’action publique
Dès lors, la transformation implique un processus fini :
Schéma 1 : Modélisation d’une démarche d’accompagnement à la transformation.
Quand l’accompagnement à la transition implique une itération permanente, son aspect adaptatif et évolutif se voit appliquer un cycle qui a vocation à être répétitif en 4 temps (contrairement à 3 pour modèle descendant et rigide/finie) :
Schéma 2 : Modélisation d’une démarche d’accompagnement à la transition adaptative et évolutive.
- L’utilisation : D’abord méfiants, les utilisateurs – bénéficiaires vont progressivement utiliser, prendre en main et faire confiance à la solution quileur est proposée. Dans le cadre de la politique publique, il s’agit de présenter, motiver et inciter en démontrant l’utilité du cadre proposé et ses ouvertures possibles (enrichissements par les utilisateurs). Il s’agit donc dans cette phase d’une action – impulsion qui a pour vocation de mettre en œuvre un cadre prédéfini (ici un modèle d’action) et une dynamique commune qui devra susciter l’adhésion.
- L’acceptation : Une fois la phase d’utilisation acquise il s’agira de faire accepter le dispositif afin d’y prendre part pleinement, dans ce cas, de la confiance et de l’implication qu’auront les utilisateurs – bénéficiaires. Il s’agit donc dans cette phase d’un suivi et d’une mesure d’impact du discours, des arguments présentés et donc de la pertinence et de l’adéquation du dispositif avec la réalité de terrain.
- L’appropriation : Lorsque les utilisateurs – bénéficiaires utilisent puis acceptent le dispositif, vient une période d’appropriation durant laquelle ils vont exploiter le cadre proposé, en découvrir les contraintes et les limites, les possibilités et les avantages. Il s’agira donc de suivre de près les utilisateurs pour éviter les solutions parallèles et les efforts diffus, d’effectuer un recueil des besoins, manques et difficultés, puis d’avoir une réaction à court terme.
- La réappropriation : Il s’agira ici de mesurer la réaction. Les utilisateurs-bénéficiaires, acclimatés à la solution, vont ainsi commencer à se la réapproprier, c’est-à-dire de dépasser les usages de base proposés pour répondre à des besoins supplémentaires qui n’avaient pas forcément été envisagés. Cette période marque la fin d’un cycle et la fin du processus avec le maintien de ce dernier cycle pour une solution finie. Dès lors, cette période va permettre de récolter de nouveaux besoins, de mieux connaitre les bénéficiaires et leurs contextes.
- Bis L’évolution de la solution : Sur la base des constats précédents, il s’agira de débuter un nouveau cycle qui permettra de répondre à l’ensemble des difficultés et besoins identifiés en 1er cycle, puis de repenser la philosophie du dispositif et de l’adapter à de nouveaux enjeux pour proposer une Version 2. Nouvelle version qui sera donc la proposition d’un cadre qui aura évolué avec son environnement.
Dans un contexte de transition, il ne s’agit donc plus simplement de mettre en œuvre une politique publique « traditionnelle » en réponse à un problème public identifié et sectorisé ; mais d’expérimenter un nouveau modèle de réponse, qui devra d’abord proposer un cadre d’action concret à court terme, puis de permettre à ce cadre de s’adapter à l’évolution non contrôlée et continue du problème public.
Schéma 3 : Modélisation du cadre d’action d’une démarche d’accompagnement à la transition.
Schéma 4 : Modélisation d’un déploiement adaptatif de politiques publiques.
Conclusion
Au-delà de proposer des outils et accompagnements, le rôle de l’État est désormais de parvenir à fédérer ces acteurs autour d’une vision commune nationale et transversale.
Convaincre est alors un réel enjeu pour permettre l’adoption de cette vision dans d’autres secteurs au service d’une société plus juste et inclusive par le numérique, en proposant des nouveaux modèles de fonctionnement flexibles et agiles, recentrés sur les bénéficiaires et tenant compte du contexte évolutif et imprévisible.
Il s’agit donc de mettre fin au désencastrement entre politiques publiques et numérique d’une part, et d’autre part entre politique publique et orientation usager – à savoir politique sociale par la structuration d’écosystèmes durables. C’est-à-dire que l’État se doit maintenant d’apporter des réponses publiques non plus uniquement à des démarches de transformation qu’il entreprend mais également aux phénomènes de transition qu’il ne contrôle pas en tenant compte des facteurs externes d’évolution notamment par la Co-construction et l’implication des bénéficiaires intermédiaires et finaux, dès la réflexion stratégique.