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Romain Maltrud
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L’alignement stratégique signifie que tous les éléments de l’entreprise, de la stratégie à l’organisation, soutiennent la réalisation de son objectif long terme, sa raison d’être. Il est aussi question de performances, notamment grâce à la mobilisation des salariés pour réaliser les objectifs stratégiques. Selon Samah Karaki « une équipe est plus cohésive lorsqu’elle peut partager des objectifs communs et élaborer des valeurs communes.» (KARAKI, 2021). Cet article présente le résultat d’une étude portant sur l’alignement stratégique de près de 320 entreprises françaises, à l’ère de la transformation digitale. Le but étant de comprendre comment les nouvelles technologies peuvent aider les entreprises à piloter l’alignement stratégique au sein de leur organisation et leur épargner ces ravages humains dont j’ai pu être témoin par le passé.
Alignement des entreprises à l’ère de la digitalisation
La digitalisation de l’économie associée aux nouvelles tendance de management soulèvent un certain nombre de difficultés, tant pour les entreprises en tant qu’organisations, que pour les collaborateurs en tant qu’individus.
En effet, les entreprises françaises éprouvent des difficultés à implémenter de manière effective la digitalisation de leurs modes opératoires. C’est ce que révèle le dernier rapport annuel de la commission européenne faisant bilan des progrès des états membres dans le domaine du numérique. Nous y apprenons que les entreprises françaises sont à la traine dans leur transformation digitale. D’autre part, la tendance managériale la plus en vogue en ce moment réside dans la suppression des silos organisationnels. Néanmoins, la suppression de ces silos entraîne une remise en question des modèles de rôles hiérarchiques existants. Cette remise en question apporte des conflits de pouvoir, de légitimité, de déficit de régulation hiérarchique (ALEXANDRE-BAILLY, 2019). D’ailleurs, pour François Dupuy, silos et autonomie des acteurs sont intimement liés (DUPUY, 2020). C’est pourquoi, il apparaît que la suppression des silos, bien qu’elle soit en vogue, est un facteur de risque majeur au sein des organisations. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les niveaux hiérarchiques les plus touchés par cette crise de la coordination sont les niveaux de direction, de gestion des équipes, voire de gestion des projets. Leur métier étant déjà « source de tensions et d’injonctions contradictoires, le numérique vient encore renforcer ces difficultés » (BENEDETTO-MEYER, 2021). C’est peut-être la raison pour laquelle Frédéric Daubié, Directeur de l’innovation chez Air Liquide se propose de connecter les silos plutôt que de les casser (FOLIOT, 2018).
La vie des collaborateurs au travail est évidemment impactée par les orientations organisationnelles choisies. Pour Claus-Peter Koch, l’absence de silos organisationnels peut amener des situations dans lesquelles les acteurs reçoivent trop d’ordres différents, de sources multiples, toutes les sollicitations étant considérées comme prioritaires (KRAMER, 2021). En effet, le manque de clarté dans la définition des priorités représente un coût économique et humain pour l’entreprise. À ce sujet, le professeur Komus a démontré que le mode de fonctionnement multitâche permanent est à l’origine d’un gaspillage d’environ 20% des ressources dédiées à un projet, et qu’il pouvait engendrer une perte sur le Chiffre d’Affaires de l’ordre de 25% (KRAMER, 2021). Ce manque de clarté dans la définition des objectifs a également un effet sur l’alignement stratégique au sein de l’entreprise. Les acteurs se sentent débordés : au moins 64% des actifs occupés déclarent être soumis à un travail intense ou subir des pressions temporelles, et 47% des actifs occupés estiment qu’ils doivent « toujours » ou « souvent » se dépêcher dans leur travail (Ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion, 2022). Pour autant, sens et autonomie dans le travail sont deux facteurs décisifs de motivation des individus (GRASSER, 2017). Pour François Dupuy, « la question du sens est centrale » (DUPUY, 2020). Néanmoins, une étude sur les conditions de travail et la santé au travail, coordonnée par Amélie Mauroux et publiée en 2016 par la Dares[1], montre que 64% des actifs occupés déclarent manquer d’autonomie dans leur travail (MAUROUX, 2016).
Principales tendances
Plus de 330 actifs, évoluant dans des entreprises différentes, ont participé à une étude portant sur l’alignement stratégique de leur entreprise et sur leur rapport au travail. Quatre grandes tendances se dégagent des résultats de cette étude.
Les nouvelles technologies sont chargées de promesses d’émancipation et de performance mais leur appropriation au sein des équipes n’est pas évidente
Les dirigeants s’accordent sur 3 façons de faire progresser leur équipe dans l’adoption des nouvelles technologies : formation, mise à disposition de savoir-faire et adaptation des outils aux usages métiers spécifiques. David Lorrain, fondateur de Recyclivre, explique que selon lui, la formation passe par une sensibilisation quotidienne de l’intérêt d’utiliser les bons outils pour les bons processus. Pour le Docteur Luc Julia, Chief Scientific Officer chez Renault, les collaborateurs doivent passer de simples utilisateurs à opérateurs, responsables des actions entraînées par leur utilisation des outils. Benoît Lepetit, Group Chief Data Officer chez Saint Gobain, me racontait quant à lui la création d’une « DNA Academy » ayant pour but de former les collaborateurs à l’usage de la donnée.
Les entreprises ont bel et bien conscience du besoin d’allouer des ressources au pilotage de leur alignement stratégique
Pour mener leur transformation stratégique de manière effective, les dirigeants que j’ai rencontrés utilisent des méthodes de management, tels que l’accompagnement, la transparence totale, ou encore la création de postes de travail dédiés à l’alignement. Au-delà de ces méthodes de management, certaines entreprises utilisent également des méthodes de pilotage de leur alignement stratégique. C’est le cas notamment des entreprises Ionos et ESAB France qui utilisent toutes deux la méthode des « Objectives & Key Results » (OKR).
L’écrasante majorité des travailleurs estime avoir une charge de travail trop importante
L’étude a également confirmé un sentiment de débordement partagé par l’ensemble des répondant. En effet, 87% des personnes interrogées considèrent avoir une charge de travail supérieure à la moyenne. Ce phénomène est d’autant plus marqué pour les personnes occupant des postes de direction, qui sont 96% à estimer avoir une charge de travail supérieur à la moyenne. Il existe un lien entre ce sentiment de débordement, la gestion des priorités et l’alignement stratégique. En effet, parmi les personnes qui estiment leur charge de travail trop importante, 38% déclarent avoir une mauvaise gestion de leurs priorités et 42% considèrent leurs actions incohérentes vis à vis de la stratégie de leur entreprise.
Les collaborateurs qui ne trouvent pas de sens dans leur travail sont les mêmes qui ne sont pas impliqués dans les décisions
Le taux de participation des collaborateurs, dans les prises de décision au sein de l’entreprise est extrêmement bas. En effet, seulement 13,4% des collaborateurs participent aux décisions dans leur entreprise ; dans les entreprises de 100 à 500 salariés, ce taux de participation chute à 4%. D’autre part, 66% des collaborateurs qui participent aux décisions estiment qu’elles ne sont suivies d’aucune actions concrètes. Dès lors, la quête de sens est un sujet qui touche 37% des employés, dont plus de la moitié ne comprend pas la stratégie de leur entreprise.
Retrouvez tous les résultats de l’étude sur fromtheinsight.com/barometre
Leviers de l’alignement stratégique des entreprises
L’alignement stratégique est gage de performance car il augmente l’efficacité du travail et le bien être des collaborateurs en permettant à chacun de se positionner, de comprendre son utilité, en somme, de retrouver un sens dans son travail. Il existe 3 leviers méthodologiques et managériaux pour permettre aux entreprises de tendre vers l’alignement stratégique :
Alléger la charge de travail des collaborateurs
La mise en place d’un système de délégation est une solution managériale simple à mettre en place et très efficace pour alléger la charge de travail des collaborateurs. En effet, un système de délégation permet de monitorer l’allocation de différents niveaux de responsabilités à des équipes ou à des collaborateurs. Les responsabilités sont consenties par les tiers concernés, ce qui favorise leur appropriation. D’autre part, la technique intitulée « 10 critical actions » permet d’endiguer l’éparpillement des efforts en les concentrant sur les actions qui apportent le plus de valeur ajoutée dans l’atteinte des objectifs stratégiques. Établir cette liste nécessite un système de scoring des objectifs et des actions les plus critiques à leur atteinte.
Impliquer les collaborateurs dans les décisions
Comme nous l’avons évoqué précédemment, le manque de participation des collaborateurs aux prises de décisions entraîne une perte de sens et d’autonomie. Afin d’embarquer les employés, la mise en place d’un système de collecte systématique de feedback est un atout pour l’entreprise. Ce système présente de nombreux avantages : connaître le ressenti des collaborateurs sur l’atteinte des objectifs, rappeler les objectifs dans la durée, inclure et permettre aux parties prenantes de participer aux décisions. Impliquer les collaborateurs dans les décisions est un excellent moyen de tendre vers l’alignement stratégique, et donc d’augmenter les performances globales de l’entreprise.
Favoriser la compréhension de la stratégie par l’ensemble des collaborateurs
Si la stratégie n’est pas parfaitement comprise par les collaborateurs, leur travail ne pourra véritablement être aligné avec celle-ci. Afin favoriser la compréhension de la stratégie, il peut être intéressant d’utiliser une méthode de structuration des objectifs. En effet, structurer les objectifs, en désignant les objectifs prioritaires et les sous-objectifs qui en découlent, permet la traçabilité de la stratégie. Plusieurs méthodes existent : Balanced ScoreCard, Management By Objectives, Objectives and Key Results… choisissez la méthode qui convient le mieux à votre organisation et itérez autant que possible, en impliquant vos collaborateurs dans les phases de réflexion, à chaque itération.
Conclusion
La généralisation des nouvelles technologies entraînée par la transformation digitale génère un certain nombre de difficultés, tant pour les entreprises, considérées en tant qu’entités organisationnelles, que pour les collaborateurs, individus à part entière évoluant dans le contexte organisationnel de l’entreprise. Ces difficultés freinent notamment les entreprises françaises dans leur transformation digitale. Par conséquent, ces dernières sont en retard dans le niveau de maturité de leur transformation digitale, vis-à-vis des entreprises des autres pays européens. D’autre part, l’étude a également montré que les entreprises ont tendance à flouter la répartition des rôles et des responsabilités au sein de l’organisation, ce qui entraîne également des complications au niveau des collaborateurs. En effet, nous avons montré que les collaborateurs souffrent d’un manque de clarté dans la définition de leurs priorités ainsi que d’une forme d’abolition des frontières de l’existence individuelle. La frontière entre la vie professionnelle et la vie personnelle est de plus en plus mince. Enfin, nous avons présenté en quoi le sens et l’autonomie dans le travail étaient deux facteurs déterminant de motivation des individus. Pour conclure, je dirais que j’ai l’intime conviction que les nouvelles technologies ont la capacité de permettre un meilleur alignement entre la stratégie et les actions de chacun, au quotidien. S’appuyer sur les nouvelles technologies serait également un bon moyen d’impliquer les collaborateurs dans la prise de décisions et ainsi de redonner du sens au travail.
[1] Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques
Bibliographie
BENEDETTO-MEYER, Marie. 2021. Le travail d’une manager face à la « transformation numérique ». Paris : Éditions du Croquant, 2021.
Benoît GRASSER, Florent NOEL. 2017. Ressources Humaines. Paris : Vuibert, 2017.
DUPUY, François. 2020. On ne change pas les entreprises par décret. Paris : Seuil, 2020.
FOLIOT, Catherine. 2018. À défaut de casser les silos, nous les connectons entre eux. s.l. : Entreprendre & Innover, 2018.
Frédérique ALEXANDRE-BAILLY, Denis BOURGEOIS, Jean-Pierre GRUÈRE, Nathalie RAULET-CROSET, Christine ROLAND-LÉVY, Patrick SCHARNITZKY, Pete STONE, Véronique TRAN. 2019. Comportement humains et management. Montreuil : Pearson, 2019.
KARAKI, Samah. 2021. Le travail en équipe, un peu de neurosciences pour les pros qui veulent collaborer autrement. Malakoff : Dunod, 2021.
KRAMER, Katrin. 2021. Cerveau multitâche : une illusion ? 2021.
Legge, K. 1995. Human Resource Management. Rhetorics and Realities. London : Macmillan, 1995.
MAUROUX, Amélie. 2016. Chiffres clés sur les conditions de travail et la santé au travail. s.l. : DARES, 2016.
Ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion. 2022. Risques psychosociaux. Ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion. [En ligne] 22 01 2022. [Citation : 22 06 2022.] https://travail-emploi.gouv.fr/sante-au-travail/prevention-des-risques-pour-la-sante-au-travail/article/risques-psychosociaux.
Crédits
A propos de l’auteur : Directeur Financier, j’ai vécu la transformation d’une entreprise en hyper croissance, passant de 10 à 60 collaborateurs, de 330k€ à plus de 8M€ de Chiffre d’Affaires et de 1 à 8 pays en moins de 3 ans. Je connais l’exaltation des succès économiques et les ravages humains d’une transformation à marche forcée. J’ai vu que les engagements d’une entreprise ne sont pas toujours cohérents avec la réalité vécue par ses collaborateurs, qu’il existe un décalage entre la « rhétorique et la réalité ».