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Les auteurs
Cagnelle Joseph
(joseph.cagnelle@gmail.com) - Groupe Reel iT expert en transformation digitale pour les PME - Aix Marseille Univ, CNRS, LESTThibaut METAILLER
(thibaut.metailler@emse.fr) - (Pas d'affiliation)Amandine Pascal
(amandine.pascal@univ-amu.fr) - LEST, Aix-Marseille Université, InCIAM
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La transformation digitale fait aujourd’hui partie intégrante des préoccupations des dirigeants, et notamment de PME (Baromètres France Num, 2021). Aussi présente dans la littérature, cet attrait pour la transformation digitale souligne l’importance de définir une véritable stratégie de transformation digitale pour cadrer et opérationnaliser cette dernière (Kane, 2015 ; Wessel et al., 2021). Dans cette perspective, la première étape consiste à connaître le niveau de maturité digitale global de l’entreprise et de ses différents services (Chanias & Hess, 2016). Ce diagnostic permet en effet de savoir où l’entreprise se situe dans son processus de transformation digitale et d’établir une feuille de route en conséquence en priorisant les actions à mener. L’objectif final d’une transformation digitale consiste alors à augmenter le niveau de maturité digitale, enjeu primordial si l’on considère que les entreprises ayant une maturité digitale plus avancée ont de bien meilleurs résultats financiers que leurs concurrents (Teichert, 2019).
Praticiens et académiques ont ainsi développé des modèles permettant de mesurer le niveau de maturité digitale des organisations. Ces modèles sont principalement construits pour les grandes organisations et sont difficilement adaptables ou généralisables à d’autres contextes, tels que celui des PME, dont l’étude reste assez marginale (Williams et al., 2019). Pourtant, les PME ont leurs propres spécificités organisationnelles, structurelles et comportementales (PME du GREPME, 1994), et ne sont pas qu’une simple réplique de la grande entreprise (Sparrow, 2001). L’équipe de recherche MSE-AMU-REELIT pensent qu’elles nécessitent d’être étudiées de façon spécifique et donc d’imaginer des modèles en conséquence. L’objectif de cet article est dans cette perspective de faire un bilan des modèles de maturité existants et d’esquisser les lignes directrices pour construire un modèle de maturité digitale spécifique aux PME.
Qu’est-ce que la maturité digitale ?
Comprendre le concept de maturité digitale suppose au préalable d’appréhender la notion plus large de transformation digitale. Si cette dernière ne fait pour l’instant pas l’objet d’une définition consensuelle (Vial, 2019), nous l’appréhendons comme un processus « that aims to improve an entity by triggering significant changes to its properties through combinations of information, computing, communication, and connectivity technologies » (Vial, 2019 : p 121). Ce dernier influence les dimensions organisationnelles, stratégiques, technologiques, humaines et business. Dans ce processus de transformation digitale, connaître le niveau initial de maturité digitale de l’organisation est essentiel. La littérature définit la maturité digitale comme un état, le statut d’une entreprise à un moment donné. Teichert (2019) indique qu’il s’agit de la description de ce qui a déjà été fait ou mis en place, et ce qu’il reste à faire pour « devenir mature », que ce soit du point de vue technologique, managériale, stratégique ou encore organisationnel. La question de la maturité digitale est principalement abordée dans la littérature au travers de modèles, imaginés par des praticiens et académiques, se voulant être des outils de diagnostics internes.
Les modèles de maturité digitale
Pour obtenir une image complète de l’état de la transformation numérique d’une entreprise, l’utilisation de modèles de maturité multidimensionnels apparaît comme l’approche la plus appropriée (Chanias & Hess, 2016).
Un grand nombre de modèles ont ainsi été développés, le plus souvent par des praticiens, principalement des sociétés de conseil (eg Westermann et al., 2012) et pour des contextes spécifiques – le secteur des télécommunications (Valdez De Leon, 2019) ou l’industrie (Canetta, 2018) par exemple-. Comme le montre Teichert (2019), les modèles les plus développés analysent un grand nombre de dimensions : la culture digitale, la technologie, les processus, la stratégie digitale, l’organisation, les compétences digitales, l’innovation, l’expérience utilisateur, la gouvernance, la vision, l’écosystème digital, le leadership, la conformité et la sécurité, les produits et services et le business model. Ces modèles s’appuient sur des questionnaires remplis par les utilisateurs eux-mêmes. L’analyse de la maturité sur ces dimensions permet ainsi aux entreprises de connaître leur maturité digitale globale, tout en ayant une idée de leurs points forts et des points à améliorer dans l’optique de construire une stratégie de transformation digitale.
Un second type de modèles propose des analyses selon deux dimensions (eg Westermann et al., 2012). Ces modèles permettent aux entreprises de pouvoir se situer selon leur niveau de maturité sur les deux dimensions considérées. Ces modèles permettent également de mettre en lumière des groupes d’entreprises ou « clusters » (Remane et al., 2017) ayant des niveaux de maturités similaires et de comparer les entreprises.
Limites des modèles de maturité
La littérature expose plusieurs limites concernant les modèles de maturité digitale (Thordsen et Bick, 2020). La principale critique réside dans le fait qu’ils sont peu adaptables aux contextes spécifiques des utilisateurs, et offrent ainsi une approche standardisée pour évaluer la maturité digitale, souvent au travers de questionnaires identiques à toutes les organisations, indépendamment du contexte industriel et/ou économique (Chanias & Hess, 2016). Le risque est donc pour les modèles d’être trop vagues et de ne pas aider les dirigeants à identifier clairement les points à améliorer dans leurs organisations. De plus, ces modèles sont souvent construits par les praticiens dans un secteur spécifique (pour l’Industrie 4.0 pour la grande majorité), ce qui accentue leur faible adaptation à d’autres contextes. Les modèles plus généraux prennent quant à eux plus en compte les dimensions « softs », à savoir humaines et organisationnelles (Teichert, 2019), en présentant le risque d’être décorrélés de la réalité des entreprises. Enfin, Thordsen et Bick (2020) démontrent que les modèles proviennent principalement de praticiens, et peuvent donc manquer de rigueur méthodologique, de validation et de références externes. En écho, un questionnement sur la validité et généralisation des modèles se pose, surtout dans les approches axées sur les PME (Williams et al., 2019).
Focus sur les PME
La grande majorité des modèles de maturité digitale sont pensés pour les grandes organisations, et peu sont donc pertinents pour le contexte des PME (Borštnar & Pucihar, 2021). Fort de ce constat, le groupe REEL IT souhaite concevoir des dispositifs d’accompagnement à la transformation digitale performant. La collaboration Mines Saint Etienne, Aix-Marseille Université et REEL IT met alors au centre de sa réflexion l’adaptation de ces modèles pour les PME.
Si l’étude spécifique de la PME est reconnue depuis longtemps (Marchesnay 1993 ; Torres, 1997), les biais pratiques existent toujours, car beaucoup continuent de penser la PME comme une grande entreprise à taille réduite, en ignorant les spécificités qui lui sont propres. La PME dans la transformation digitale est donc un objet encore incertain qu’il est nécessaire d’appréhender de façon spécifique.
Selon Grooss et al. (2022), la situation financière des PME est l’une des principales caractéristiques à prendre en compte lors de l’établissement d’une stratégie digitale. En effet, leur capacité d’investissement est moins importante que celle d’une grande entreprise, et elles ont donc besoin d’un retour sur investissement plus rapide. Dans cette optique, pour être rentable plus rapidement, Grooss et al. (2022) estiment que les dimensions organisationnelles et humaines ne seront pas la priorité des PME lors de leur transformation digitale. Elles auront plus intérêt à avoir une approche techno-centrée de la transformation digitale, et donc à définir leur maturité digitale selon cette dernière. Cependant, adopter une démarche uniquement axée sur la technologie et les outils informatiques peut présenter le risque de dénaturer l’organisation et lui faire perdre ce qui fait l’essence de sa spécificité en tant que PME. En effet, avoir un développement qui n’est pas équilibré questionne l’entreprise sur son identité en tant que PME (Guilhon et al., 1995). Imposer un outil sans se soucier des aspects sociaux et organisationnels peut donc avoir un impact négatif important sur la culture sociale et stratégique de celle-ci.
Borštnar et Pucihar (2021), s’appuyant sur une méthodologie de design science, proposent quant à eux un modèle de maturité digitale plus complet, adapté aux PME. Ce dernier repose sur deux dimensions principales, à savoir les dimensions relatives aux capabilités organisationnelles (ressources humaines, culture d’entreprise et management) et celles relatives aux capabilités digitales (utilisation de la technologie informatique, business model et stratégie digitale). Au total, 51 sous-dimensions sont présentes dans ce modèle de maturité ; plus complet, ce modèle offre ainsi une vision plus précise de la maturité digitale d’une PME. Au-delà, il permet de mettre en avant ce qui est à prioriser pour la transformation digitale d’une organisation.
Ainsi, si certaines approches techno-centrées présentent le risque de dénaturer la PME, ce type de modèle offre l’intérêt de pouvoir réintégrer les dimensions organisationnelles. Nous pouvons cependant questionner la pertinence de toutes les dimensions présentes dans le modèle. Est-ce que l’étude des 51 dimensions présente un intérêt pour toutes les PME ? Si un choix doit-être fait, par qui doit-il être opéré et sur quelle base ? Le dirigeant ? Le DSI ?
Conclusion
La question de la maturité digitale en PME est de plus en plus centrale pour les entrepreneurs dans l’optique de construire leur stratégie de digitalisation. Cependant, c’est une notion encore peu abordée par la littérature scientifique que les praticiens tentent de s’approprier sans avoir nécessairement les outils pour y parvenir. Le choix est mince entre d’un côté des modèles globaux, pensés pour les grandes entreprises et ne tenant pas compte des spécificités des PME, et d’un autre des modèles offrant une multitude de cheminements possibles avec lesquels les praticiens ne sont pas habitués à fonctionner, qui nécessiteraient par ailleurs un questionnement sur leur appropriation. De plus, les études sur la maturité digitale offrent peu de retour sur le lien entre une photographie du niveau de maturité à un instant t et une réelle stratégie de transformation digitale opérationnelle. Attention en effet à ne pas confondre, comme le précise (Wessel et al., 2021), une transformation orientée IT, qui induit principalement des changements technologiques au sein d’une organisation pour renforcer une identité organisationnelle, et la transformation digitale qui provoque un changement profond du modèle d’entreprise, de la proposition de valeur et induit une nouvelle identité organisationnelle.
La thématique de la maturité digitale des PME est donc une problématique qui nécessiterait d’être plus approfondie dans le futur, dans la lignée des modèles spécifiques à la PME qui commencent à émerger. Au-delà d’une image figée du niveau de maturité, ces modèles peuvent également être pensés comme des référentiels dynamiques d’accompagnement vers une transformation digitale réussie.
Bibliographie
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Crédits
Ce travail a bénéficié d’une aide du groupe REEL IT dans le cadre d’un partenariat de recherche avec les Mines de Saint Etienne et Aix-Marseille Université.