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L'auteur
Thierry Kirat
(thierry.kirat@dauphine.psl.eu) - Université Paris Dauphine – PSL
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La perspective d’une justice robotisée attire de nombreuses craintes, notamment chez les praticiens du droit qui restent fondamentalement attachés à une justice rendue par des humains, respectueuse du droit à un procès équitable et au principe d’individualisation de la peine. Mais, à côté du droit pénal, des voies s’ouvrent vers une dématérialisation et une externalisation des conflits civils du quotidien, souvent liés à des demandes de faible valeur (comme le contentieux du crédit ou de la consommation), via des plateformes de règlement en ligne des litiges [1]. En réalité, les innovations numériques mises en œuvre dans le monde du droit ne sont pas aussi profondes et radicales qu’on le dit trop souvent. De plus, elles ne surviennent et ne sont pas mises en œuvre dans un monde vide : les usages, pratiques et régulations professionnelles constituent des épreuves à passer pour que des technologies liées à l’IA trouvent des applications pratiques. Les contributions réunies dans ce dossier ont pour point commun de proposer des clés de lecture des innovations numériques dans le monde du droit.
Christophe Dubois et Philippe Dambly consacrent leur étude à deux cas de legal techs créées en Belgique par des avocats, qui sont à juste titre qualifiés d’avocats-entrepreneurs. Outre que les innovations numériques créées supposent une autorisation institutionnelle, elles ne sont pas fixées une fois pour toute dès leur conception : elles s’inscrivent dans un processus organisationnel ouvert et indéterminé, avec des stabilisations temporaires. Les projets numériques analysés sont caractérisés par des itérations, des développements successifs étant apportés au gré des opportunités qui se présentent.
A côté des avocats-entrepreneurs, les juges et le travail judiciaire sont abordés par les contributions d’Isabelle Sayn et de Morgan Sweeney. Tous deux analysent attentivement les applications de justice prédictive, sous des angles différents : considérant que les outils que sont les applications de justice « prédictive » sont mis à la disposition des professionnels, Isabelle Sayn pose la double question des usages que les juges vont en faire et de déterminer s’ils vont modifier la manière de juger. Quant à Morgan Sweeney, il procède à un test expérimental de la pertinence des résultats produits par une application de justice prédictive dans le cas du contentieux de la discrimination. Il fait clairement apparaître l’écart qui sépare le traitement automatique du langage naturel et le sens des lexiques tels qu’un juriste peut les repérer dans leur contexte d’énonciation.
Ces trois contributions donnent des repères utiles dans leur domaine, et ne couvrent pas à elles seuls le large spectre des applications de l’IA dans le monde du droit, qui mériterait de faire l’objet de nouveaux dossiers thématiques !
[1] Thierry Kirat et Antoine Louvaris, « Numérique, droit et justice », in : Philippe Bance et Jacques Fournier (dir), Numérique, Action publique, Services collectifs et démocratie, PURH, 2021, sous presse.