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Camille MORELON
(camille.morelon@gmail.com) - Laboratoire CORHIS, Université Paul Valéry Montpellier III
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A chaque confinement un nouveau défi. Le premier confinement a permis de relever le défi de la continuité pédagogique (Morelon, 2020). Que ce soit en école de commerce ou à l’université, chaque établissement a su plus ou moins rapidement s’adapter à cette situation inédite et déployer les plateformes indispensables à la poursuite de l’apprentissage. Si le défi de la continuité pédagogique est relevé, le second confinement en matérialise un nouveau : celui du maintien de l’attention et de la motivation des étudiants. Marqué par l’urgence, le premier confinement n’a le plus souvent entraîné qu’une simple transposition des cours en présentiel vers les cours à distance. L’enseignement faisait alors face à une situation inédite. Une situation qui malheureusement perdure et conduit à repenser et adapter les méthodes et outils pédagogiques pour s’adapter à ce contexte. Pour autant, bien avant cette crise, notre système pédagogique était déjà confronté à un certain nombre de bouleversements (Ghozlane et al., 2016). Dans cet environnement mouvant, nous nous interrogeons alors sur l’effet du confinement sur les pratiques pédagogiques et les orientations à prendre pour le futur. Cet article soulève des interrogations et propose des pistes de réflexions quant aux évolutions pédagogiques qui se profilent et dont nous devons nous emparer pour faire entrer notre système éducatif dans une nouvelle ère.
Nous présentons dans les lignes qui suivent les résultats issus de deux entretiens de groupe auprès de deux promotions d’étudiants. Nous abordons d’abord les limites du système actuel telles que soulevées par les étudiants et appuyées par la littérature. Nous évoquons ensuite l’importance de la perpétuation du lien social indispensable pour assurer la continuité pédagogique. Enfin, nous formulons des pistes de réflexion quant à l’orientation à donner à nos pratiques pour faire en sorte que notre système éducatif reste en adéquation avec notre époque.
Les limites d’un système
Le maintien du confinement, un nouveau défi ? Pas vraiment en réalité. Le renouveau des pratiques pédagogiques est un sujet qui nous occupe depuis bien longtemps. Depuis déjà plusieurs années, l’usage des technologies numériques interroge quant aux nouveaux types d’apprentissages (Dulbecco et al., 2018). L’apprentissage à distance ne fait aujourd’hui qu’exacerber le phénomène. Les limites du système actuel sont donc connues et sont liées à la fois à la digitalisation de notre environnement mais également à des évolutions sociétales.
Des outils qui s’adaptent à l’humain et non l’inverse
Il semble impératif de considérer deux dimensions. La première, c’est le dispositif, le cadre de la formation, qui précise l’ensemble des moyens mis en œuvre pour atteindre un objectif (Heutte et al., 2010). Néanmoins, la simple considération de ce dispositif ne suffit pas, car laisse à l’arrière-plan les acteurs et leur rôle dans le fonctionnement de ce dispositif (Charlier et al., 2006). La seconde dimension est donc la dimension humaine. Le meilleur dispositif, les meilleurs moyens matériels, techniques et technologiques ne sont rien sans leur adoption par les enseignants et les apprenants et leur pleine contribution et coopération à une exploitation optimale des possibilités offertes par le cadre qu’il leur est proposé.
Des limites exacerbées par la distance
Il est acquis que le temps d’attention des étudiants est très court. Il est fréquemment évoqué que celui-ci n’est que de 10 à 15 minutes mais d’autres études montrent que l’attention n’est pas continue mais que celle-ci alterne par cycles très courts de seulement quelques minutes (Bunce et al., 2010). Une attention qui est évidemment plus grande lorsque l’apprentissage est actif. Nous savons aujourd’hui qu’il est indispensable de faire alterner la théorie et la pratique lors d’une séance de cours. Ces études ont été réalisées lors de cours en présentiel, que dire de l’attention des étudiants lors de cours complètement délivrés à distance ? Le constat est sans appel. Nous sommes ici clairement face à une limite depuis longtemps identifiée mais qui dans le contexte actuel du tout digital devient une véritable entrave à l’apprentissage.
« C’est assez compliqué les cours à distance, on est plus facilement déconcentrés, parfois les cours sont mal faits. Les profs ne sont pas très motivants on va dire. Il y a beaucoup de distractions. »
« Moi personnellement, je n’apprécie pas du tout les cours à distance. Je suis distrait facilement et du coup je décroche vite si en face je n’ai pas quelqu’un qui impacte dans son cours. »
« C’est difficile à distance d’avoir des cours assez interactifs et impactants sur certaines problématiques assez théoriques. C’est le prof qui va faire beaucoup et l’élève qui doit se créer un espace de travail loin de toute distraction. »
« J’avais eu un cours, le prof aimait bien passer 30 minutes sur un cours assez théorique et les 30 minutes suivantes faire quelque chose de très interactif comme des travaux de groupes ou nous lancer sur des conversations. Comme on est à distance, un cours de 3h, ça va être trop difficile à tenir je trouve, les gens vont décrocher rapidement. Essayer d’avoir cette notion d’échange toutes les 30 minutes c’est bien. »
« Pour une possible amélioration du format, c’est le professeur mais aussi nous qui ne sommes pas du tout habitués à la manière de procéder et ça fait blocage. Il y a des profs qui ne font pas du tout l’effort d’adapter leur cours, qui ne le rendent pas du tout vivant, c’est juste une lecture de diapos, ce qui fait qu’on décroche facilement. Mais il y a aussi nous de notre côté, on ne fait pas du l’effort de s’investir comme on pourrait le faire en classe. »
Des étudiants qui reprochent souvent aux enseignants de proposer « des cours trop théoriques ». Mais la problématique n’est-elle pas plutôt dans notre façon de transmettre ces théories et concept clés pour leur apprentissage ?
Des diplômes qui perdent de leur valeur ?
Pourquoi alors continuer ainsi ? N’est-ce pas le moment de remettre en question des formats d’apprentissage figés depuis longtemps ? Car les étudiants en viennent à s’interroger sur la valeur même de leurs diplômes. Afficher un diplôme reconnu par l’État sur son CV est encore un impératif pour beaucoup d’entreprises et donc pour assurer son entrée sur le marché du travail. Le risque est alors que la valeur de ce diplôme soit uniquement liée à cette reconnaissance. Quid alors du contenu ? A l’heure ou Internet facilite l’accès à l’information et où le marché de l’enseignement supérieur est de plus en plus convoité par de nouveaux acteurs, il s’agit d’être en capacité de manœuvrer pour ne pas rater un virage important et assister, impuissants, à une disruption sans y prendre part (Tran, 2020).
« Je pense que certains cours peuvent être fait en distanciel mais pas tout ou alors il faut revoir la pédagogie. Mais ce mode là de 4-5h de cours d’affilé, ça non. Mais même à l’université, je ne suis pas fan. Les gros amphis, ça casse un peu les choses. Mais peut-être que c’est le moment pour l’Éducation Nationale de se remettre en question mais je ne pense pas qu’ils le feront. »
« L’Éducation arrive un peu à bout de souple. Quand j’apprends plus vite avec des tutoriels sur YouTube qu’à l’école, je me demande à quoi sert vraiment mon diplôme. »
L’importance du groupe et du lien social
Au-delà des lacunes du système actuel, l’une des grandes difficultés rencontrées en cette période si particulière, et qui va bien au-delà du cadre de l’apprentissage, c’est le maintien du lien social. La distance va influencer à la fois la motivation des élèves mais aussi les méthodes et l’organisation du travail. Le rythme de travail est bousculé. Les unités traditionnelles de temps, de lieu et d’action sont ébranlées (Playfair, 2014).
« Je crois que le vrai problème, c’est le lien social, que ce soit pour les cours ou pour le moral personnel et la vie de tous les jours, que ce soit avec les profs ou les gens de la classe. C’est ce lien social qui nous manque et qui nous fait décrocher. »
« Grâce à la classe, on se sent plus motivés puisqu’on se parle de temps en temps pour se redonner confiance. Comme il y a de la solidarité, ça va. »
« On a une certaine difficulté à organiser les groupes de travail. C’est plus difficile d’échanger sans se voir, même si on est tous connectés. »
Il y a une nécessaire réflexion à porter sur les temps inter-cours. Si les écoles tentent d’exploiter ces temps en proposant des animations et des formats d’échanges formels et informels, qu’en est-il de l’enseignant ? Pour les étudiants, « il faut aussi que le prof soit plus disponible ». Il nous semble que cette demande de disponibilité s’accompagne plus généralement d’une plus grande flexibilité dans les modes d’apprentissage (dispositifs et relations sociales).
Vers davantage de flexibilité
Les évolutions technologiques nous conduisent à repenser les unités de lieu, d’action et de temps de la formation. Nous sommes ainsi passés de formats traditionnels (un cours de plusieurs heures dans une salle de classe), à l’utilisation d’une mixité de lieux et d’actions (dispositifs hybrides – Charlier et al., 2006). Le contexte actuel doit nous conduire à repenser la temporalité de la formation (synchrone, asynchrone). Là encore, nous sommes face à une réflexion qui n’a rien d’innovante, l’orchestration des temps d’apprentissage permettant la création de liens entre les ressources, les hommes et les connaissances (Varga, 2013).
« C’est préférable d’avoir plus de cours dans la semaine mais plus courts. On enchaîne des 4h de cours, on reste assis toute la journée soit dans notre canapé soit dans notre lit. Ça commence à être long c’est pas top et pour l’interaction non plus. »
« Les cours sont longs. On a beaucoup d’heures de cours de suite et à distance ça ne nous rend pas service. Rester devant notre ordinateur pendant des heures et des heures, c’est plus déconcentrant qu’autre chose. Je suis distraite facilement et je manque de motivation et de concentration. Je pense que c’est adapté pour un emploi du temps en présentiel mais pas en distanciel. »
Pour que de tels dispositifs fonctionnent et révèlent tout leur potentiel, il est indispensable que les acteurs se les approprient (étudiants, enseignants et administratifs). La qualité de l’appropriation va très largement influer sur l’efficacité de ces dispositifs (Orlikowski, 1999). Il est temps pour les étudiants de devenir maîtres de leur parcours d’apprentissage (Poumay, 2014) et pour les administratifs et les enseignants de les accompagner plutôt que de les assister.
« On sera amenés à être de plus en plus autonomes donc certes il y a des gens qui ont besoin d’un cadre mais avec la conjoncture actuelle il va falloir apprendre à être autonomes »
« On doit aussi être dans cette dynamique-là de vouloir apprendre. Ça donne une certaine liberté pour les étudiants mais pour les profs aussi. Une partie en présentiel et après une certaine liberté de travail. »
« Les étudiants doivent être préparés à des métiers mais aussi à s’adapter à tout type de situation. »
Pour conclure
Ces entretiens font ressortir le caractère urgent des changements à opérer. Nous avons conscience du biais pouvant provenir de la taille limitée de notre échantillon. Cette étude méritera un approfondissement sur un échantillon plus robuste qui nous permettra de proposer un plan d’action concret. Nous avons néanmoins veillé à interroger deux populations distinctes que sont celles des étudiants d’école de commerce et celle des étudiants d’université. Les résultats recueillis au cours de ces deux entretiens de groupes ainsi que les échanges plus informels que nous pouvons avoir à l’occasion de séances de cours pointent tous dans la même direction.
Dans d’autres secteurs d’activité, si une entreprise souhaite rester compétitive sur son marché, elle se doit d’adapter son modèle et son organisation en fonction des évolutions de son environnement, des attentes de ses clients et du positionnement de ses concurrents. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour l’enseignement ? Peut-on encore se permettre aujourd’hui d’ignorer les tendances technologiques et sociétales, les besoins des étudiants et la menace des nouveaux entrants ?
Vers une pédagogie agile
Pour ce qui est de l’environnement, il n’aura échappé à personne que nous traversons une crise sanitaire majeure. Les étudiants ont pleinement conscience du caractère exceptionnel de la situation et sont plutôt indulgents quant à l’organisation qui a dû être mise en place dans l’urgence. Néanmoins, le contexte actuel ne fait qu’exacerber les limites déjà identifiées de notre système éducatif. Il convient donc de ne pas faire de cette crise le bouc-émissaire de problèmes déjà connus de longue date. Il est donc temps de faire évoluer notre organisation, nos outils et nos méthodes pour les remettre en phase avec notre marché et les faire évoluer avec lui.
Devenir maître de son parcours de formation
Nous avons longtemps évolué dans une pédagogie unidirectionnelle, le savoir allant de l’enseignant vers l’apprenant. Nous le constatons dans nos entretiens, les étudiants attendent davantage de leur relation avec l’intervenant. Ce n’est pas une spécificité de l’enseignement. C’est une tendance sociétale bien plus profonde. La passivité n’est plus de mise. L’étudiant veut être une partie prenante de son apprentissage. Nous entrons dans une phase dans laquelle nous devons les accompagner dans leur appropriation des savoirs. La formation ne peut se cantonner à la maîtrise des connaissances, elle doit aussi porter sur la façon de les intégrer aux pratiques voire à la façon de modifier les pratiques. Mais ce ne sont pas seulement les étudiants qui doivent être accompagnés, les enseignants doivent également être en mesure de s’approprier les dispositifs pour transmettre leurs savoirs et collaborer avec l’étudiant à la construction de son parcours de formation. Charge aux établissements de mettre à disposition les outils et méthodes et surtout de proposer une plus grande souplesse dans l’orchestration de ceux-ci.
Un avantage concurrentiel : l’humain
Enfin, nous l’avons constaté, le lien social occupe une place importante dans la vie de l’apprenant. C’est un point sur lequel les établissements doivent capitaliser pour donner une réelle valeur ajoutée à leurs parcours de formation. Une caractéristique qui constitue un réel avantage concurrentiel face aux GAFAM qui pénètrent le marché de l’éducation.
Une plus grande flexibilité dans les méthodes et un lien social renforcé devraient permettre de redonner confiance aux étudiants dans notre système éducatif et de revaloriser les diplômes sur un marché qui s’ouvre à la concurrence.
Le contexte sanitaire actuel et les difficultés qui en découlent pour le secteur éducatif ne sont en aucune façon une source d’innovation pour ce secteur. Les limites du système étaient connues bien avant cela et la littérature regorge de solutions. Cette crise vient simplement exacerber un phénomène et appuyer sur le caractère urgent d’une transformation qui n’a que trop tardée. Alors, qu’attendons-nous ?
Bibliographie
Bunce, D., Flens, E.A., & Neiles, K.Y. (2010). How long can students pay attention in class? A study of student attention decline using clickers. Journal of Chemical Education, 87(12), 1438-1443.
Charlier, B., Deschryver, N. & Peraya, D. (2006). Apprendre en présence et à distance : Une définition des dispositifs hybrides. Distances et savoirs, vol. 4(4), 469-496.
Dulbecco, P., Beer, M.-C., Delpech de Saint-Guilhem, J., Dubourg-Lavroff, S., & Pimmel, E. (2018). Les innovations pédagogiques numériques et la transformation des établissements d’enseignement supérieur. Rapport à madame la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Inspection générale de l’administration, de l’éducation nationale et de la recherche.
Ghozlane, S., Deville, A., & Dumez, H. (2016). Enseignement supérieur : mythes et réalités de la révolution digitale. Annales des Mines – Gérer et comprendre, 126(4), 28-38.
Heutte, J., Lameul, G., & Bertrand, C. (6 décembre 2010). Dispositifs de formation et d’accompagnement des enseignants du supérieur : point de situation et perspectives françaises concernant le développement de la pédagogie universitaire numérique. TICE 2010, 7ème colloque des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement, Nancy.
Morelon, C. (2020). Continuité pédagogique et confinement. Management et Datascience, 4(4).
Orlikowski, W.J. (1999). L’utilisation donne sa valeur à la technologie. L’art du management et de l’information, Dossier spécial Les Echos, 8, 6-7.
Playfair, E. (2014). Les promesses de l’apprentissage numérique. Revue internationale d’éducation de Sèvres, 67, 53-61.
Poumay, M. (2014). Chapitre 3. L’innovation pédagogique dans le contexte de l’enseignement supérieur. Dans : Geneviève Lameul éd., La pédagogie universitaire à l’heure du numérique : Questionnement et éclairage de la recherche. De Boeck Supérieur, 69-81.
Tran, S. (2020). L’enseignement supérieur va-t-il être disrupté par de nouveaux acteurs ? Management et Datascience, 5(1).
Varga, R. (2013). Rapport au temps et orchestration des temporalités en formation. Distances et médiations des savoirs, 2(1).