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William Vaquette
- Gendarmerie Nationale
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Or, avec les nouveaux territoires numériques et l’omniprésence des nouvelles technologies de l’information[1], la place actuelle de la hiérarchie intermédiaire suscite des interrogations quant à son avenir, notamment au sein du vieux modèle vertical de la bureaucratie à la française.
Désormais, grâce ou à cause du numérique, les échanges directs et rapides sont rendus possibles entre les chefs en central et la base sur le terrain pour résoudre des équations administratives en s’affranchissant de la hiérarchie intermédiaire malgré l’absence d’urgence opérationnelle.
Ainsi, le micro-management gagne du terrain et les petites complexités locales prennent une importance nationale, non pas par leur sujet, mais par l’autorité qui s’en empare au sommet de la pyramide.
Les échelons intermédiaires ne jouent alors plus leur rôle « d’amortisseur » et de « filtre» dans les deux sens entre le bas et le haut, mais déclenchent « l’airbag » pour argumenter en posture défensive ce qui est ressenti comme une remise en cause de leur légitimité.
Finalement, alors qu’on met paradoxalement en avant l’intelligence locale du terrain, on en arrive à dénoncer très bien ce que l’on pratique le mieux par l’aspiration numérique au sommet hiérarchique, notamment dans les modèles RH militaires vertébrés pour cela.
Cette évolution des pratiques managériales des directions centrales participe d’abord d’une tendance naturelle de l’être humain dépositaire du pouvoir et de l’autorité qui est enclin à « chercher à tout connaître », mais pour « finalement ne rien comprendre » et « être dans l’incapacité d’agir efficacement[2] ».
Ensuite, cela emporte le risque dystopique de construire une administration en « château de cartes », incapable de s’appuyer en cas de crise majeure sur la hiérarchie intermédiaire atrophiée et pouvant s’effondrer brutalement ou dont le contrôle total peut être pris aisément par des minorités agissantes en dehors des mécanismes démocratiques.
Le printemps arabe en 2011 est là pour rappeler que les régimes autoritaires et centralisateurs présumés politiquement les plus solides, mais dépourvus de corps administratifs intermédiaires, se sont effondrés quand la base a remis en cause le sommet sans disque intervertébral pour amortir les chocs et les mouvements.
En dépit de l’augmentation continue des effectifs dans les administrations centrales, on constate que les agents sont toujours plus débordés alors qu’ils n’ont jamais eu autant d’outils numériques performants à leur disposition. Alors pourquoi ?
En premier lieu, la vitesse est la principale cause, car désormais quand c’est urgent, c’est la routine.
En effet, les outils informatiques toujours plus puissants appellent à développer un nouveau lien horizontal de coopération numérique et raccourcissent les boucles de décision ainsi que les délais de traitement des dossiers administratifs qui sont appréhendés avec la même diligence qu’un dossier à finalité opérationnelle.
Généralement, on augmente donc les effectifs pour traiter avec la plus grande réactivité les instances. Cela se traduit par la création de postes de nombreux conseillers spécialisés ou chargés de missions au plus près des directeurs centraux au sein, de facto, d’une nouvelle strate hiérarchique 360° au-dessus de la structure pyramidale classique.
C’est là une illusion manifeste en soignant le symptôme et non la maladie. Il ne suffit pas d’augmenter la masse des agents, notamment dans les administrations centrales ou cabinets des directions centrales, alors que la solution la moins coûteuse budgétairement mais aussi en QVT, c’est de résoudre la vitesse, et donc de priorisation, de traitement des dossiers administratifs.
En effet, c’est une équation physique que connaissent bien les spécialistes de la cinétique : la masse à une fâcheuse tendance à augmenter avec la vitesse. Si celle-ci est multipliée par deux, alors l’énergie cinétique est multipliée par quatre.
Autrement dit, rapporté à l’organisation administrative, plus on augmente les effectifs, plus les dossiers prennent de la vitesse et plus vite on est dépassé pour y répondre, ce qui appelle des renforts de personnels qui eux-mêmes accéléreront les instances, et cela sans fin.
En second lieu, il s’agit de la même logique de mécanique des flux qu’au début des années 1980 quand la ville de Paris a d’abord élargi les grands axes en interdisant le stationnement ou l’arrêt pour fluidifier la circulation.
Eh bien, comme tout le monde le sait, cela à produit un appel d’air et augmenté considérablement le nombre de véhicules. Depuis, c’est une politique inverse de réduction des voies réservées aux véhicules pour tarir les flux de circulation automobile.
En dernier lieu, plus que jamais avec le nouveau lien horizontal de coopération et de nouvelle proximité numérique, les structures pyramidales sont appelées à se transformer en application du principe de mutabilité ou d’adaptation des services publics qui est lié à celui de continuité.
Le service devant être continu, mais juridiquement pas plus rapide, il doit nécessairement évoluer en fonction des nouvelles circonstances d’exercice, sans jamais mélanger vitesse et subsidiarité.
En conclusion, la crise sanitaire de la Covid a considérablement ralenti le temps administratif et a permis de revoir les process en se recentrant sur ce qui est simple et utile, c’est à dire en revisitant la notion d’urgence. Ce serait dommage de ne pas en tirer les enseignements alors qu’une seconde vague commence avant la prochaine. Sans préjudice d’une inévitable réforme profonde des structures, il suffit peut-être tout simplement de mieux réguler la vitesse de traitement des instances et décourager le micro-management des grands décideurs.
[1] Information Technology (IT).
[2] Jean-Luc Angibault, praticien en intelligence stratégique, à propos de l’anti-intelligence stratégique, https://www.linkedin.com/in/jeanlucangibault/