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Les auteurs
Sylvie Gerbaix
(macsylvie@orange.fr) - Université d’Aix-Marseille et Laboratoire MRM, Université de MontpellierJeanne Kaspard
(jeannekaspard@usek.edu.lb) - Université de Saint Esprit de KaslikPhilippe Chapellier
(Philippe.chapellier@umontpellier.fr) - Université de Montpellier - MRM, Labex Entreprendre Polytech Montpellier
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Introduction
Les PME libanaises et leurs activités d’exportation tiennent une place centrale dans l’activité économique du pays. Ces PME sont confrontées à un environnement d’affaires instable et compétitif qui les incite à adopter des outils de communication et d’informations. Mais la littérature sur le thème du SI des PME exportatrices laisse apparaître une contradiction. Certains auteurs soulignent que les PME sont spécifiques et que leur SI est simple (Julien et Marchesnay, 1998) et d’autres expliquent simultanément que le fait d’exporter implique la mise en place d’un SI développé, catalyseur de développement des PME à l’international (St-Pierre et al, 2006). Cette contradiction nous a conduit à aborder les questions de recherche suivantes : Quels types de SI les dirigeants des PME libanaises adoptent-ils pour exporter ? Quels sont les facteurs déterminants ?
PME exportatrices et SI : état de l’art et définitions
L’émergence organisationnelle des SI, c’est-à-dire leur intégration dans les organisations, est un processus qui ne va pas de soi et qui, malgré les apports potentiels de ces technologies en termes de transaction, de traitement et de communication, peut être source de problèmes pouvant conduire à l’échec. Dans le champ des technologies de l’information et du changement organisationnel, la perspective de l’émergence soutient que l’utilisation des technologies de l’information et leurs effets émergent de façon imprévisible, à partir d’interactions sociales complexes (Markus et Robey, 1988). Ainsi, le rôle des acteurs et de leurs interactions sont essentiels. Compte tenu de la place centrale du dirigeant dans la PME (Julien et Marchesnay, 1998), c’est son rôle dans le développement du SI export qui est questionné.
Parmi les multiples définitions de la PME, nous retenons celle proposée par Julien et Marchesnay (1998) qui, au-delà de la taille de l’entreprise, met en exergue l’indépendance et la personnalisation du dirigeant : « La PME est avant tout une entreprise, juridiquement, sinon financièrement indépendante, dont les fonctions de responsabilité incombent le plus souvent à une personne, en général seule propriétaire du capital ». Le choix de cette définition est basé sur la réalité des PME libanaises dont la gestion est presque systématiquement assurée et dominée par le propriétaire du capital (AbdulKhaliq, 2010).
Par « système d’information et de communication » (SI), nous entendons « un ensemble organisé de ressources (personnel, matériel, logiciel, procédures…) permettant de collecter, stocker, structurer et communiquer des informations sous forme de textes ou d’images » (Reix, 2002). Dans cette perspective, le SI contient certes un sous-système technique mais également un sous-système social composé des personnes liées au SI.
Les auteurs s’accordent pour souligner que les PME sont spécifiques et que leur SI est simple et direct (Julien et Marchesnay, 1998), mais aussi sur le fait qu’exporter nécessite un SI développé pour obtenir des informations sur le marché extérieur, déterminer les coûts d’approches, identifier les risques liés à l’export (St-Pierre et al, 2006). Une contradiction émerge donc de la littérature. La figure 1 recense les incompatibilités potentielles entre le SI de la PME et celui de l’organisation exportatrice.
Figure 1– Incompatibilités potentielles entre SI PME et SI activité d’exportation
Les travaux réalisés sur le thème de la sophistication des SI en PME dans les pays en développement sont rares et contradictoires : en Afrique Orientale, l’impact d’un SI développé sur la croissance des entreprises serait défavorable (Chowdhury, 2006), tandis qu’en Amérique Latine, l’adoption d’un SI développé aurait des effets positifs sur les entreprises exportatrices (Hayakawa et al, 2010 ; Benavente et Bravo, 2009). Au Moyen-Orient, une région pourtant réputée pour sa contribution historique dans les échanges internationaux (Torres, 2007), les lacunes bibliographiques dans le domaine sont flagrantes.
A partir d’entretiens semi-directifs et itératifs réalisés auprès de cinq dirigeants de PME exportatrices libanaises et d’observations in situ, les informations recueillies ont été thématisées et synthétisées. Une partie des résultats ainsi obtenus sont présentés en réponse aux deux interrogations initiales.
Résultats relatifs au degré de sophistication du SI export des PME
A partir d’une analyse comparative de cinq PME exportatrices, les caractéristiques communes aux différents SI d’une part, et les caractéristiques distinctives qui mettent en relief la diversité des solutions adoptées d’autre part, ont été identifiées (tableau 1).
Points communs : de la simplicité / complexité des communications export
Dans toutes les PME étudiées, le dirigeant joue un rôle central, à la fois acteur de la gouvernance du SI (décideur en dernier ressort en matière d’investissement) et utilisateur en tant que responsable d’activité (Gerbaix et al, 2015). Les dirigeants des PME observées privilégient, pour leurs relations avec les partenaires export, des outils de communication simples et rapides adaptés à la sophistication des relations commerciales informelles et directes (mails, WhatsApp, Skype notamment).
Aux yeux des dirigeants, réaliser des opérations commerciales à l’export est donc un art qui conjugue simplicité des outils de communication et complexité de la dynamique relationnelle.
Une diversité de développement du SI : émergence de logiciels export et du e-commerce
Au-delà de ces points communs, chaque cas apparaît à maints égards comme unique.
Le SI se développe selon deux axes :
En premier lieu, c’est l’adoption progressive de logiciels spécifiques export, d’une part pour l’analyse des données export (entreprises C, D et E), et d’autre part pour une interconnexion avec les services financiers, production ou marketing (entreprise D et E).
En second lieu, c’est l’émergence progressive du e-commerce, réservé aux activités d’exportation. C’est d’abord, dans le cas de l’entreprise D, une page web pour la présentation des contacts et des caractéristiques des produits. C’est ensuite, dans le cas de l’entreprise E, un site de e-commerce réservé aux exportations, en relation étroite avec le département marketing et avec commande et paiement en ligne.
Résultats relatifs aux facteurs de choix du SI export
L’analyse des entretiens a conduit à mettre en évidence deux facteurs majeurs qui contribuent au choix du SI par les dirigeants.
Premier facteur : les ressources et compétences SI et export
Suivant la littérature, l’activité d’export nécessite un budget important, notamment pour entreprendre des travaux de recherche relatifs aux aspects culturels et économiques des marchés étrangers que l’entreprise veut conquérir. Ces travaux de recherche nécessiteraient des logiciels aidant à une prise de décision, et des spécialistes à l’export. Or, ce que nous avons constaté est assez différent. La plus grande part des dépenses pour l’export dans les entreprises exportatrices A, B, C, et D est relative au déplacement du dirigeant afin de signer des contrats avec les clients étrangers, et à la mise en place de l’internet qui est un moyen de communication important avec les clients étrangers. Toutefois, avec des ressources limitées, ces entreprises arrivent à exporter et à maintenir leur part sur le marché étranger, ce qui tendrait à infirmer la théorie selon laquelle les entreprises ont toujours besoin d’un budget important pour réaliser une activité d’exportation.
Le dirigeant de l’entreprise E a quant à lui investi et contracté un emprunt pour restructurer et sophistiquer son SI afin d’augmenter ses exportations.
L’étude montre pour les entreprises A, B, C, et D, que les compétences d’export du dirigeant (son savoir-faire, son cumul d’expérience et son réseau de connaissance) affectent le type du SI de l’entreprise, sans recours à de la main d’œuvre spécialisée. Ce résultat est en accord avec la théorie de la spécificité des PME mais contredit les concepts théoriques de l’export suivant lesquels l’activité d’export nécessite des études et des spécialistes pour faire face à la concurrence.
Dans la PME E, le directeur ne compte pas seulement sur ses compétences pour augmenter son chiffre d’affaires à l’export. Il a recruté des spécialistes en marketing et investi dans son SI en achetant du matériel et des logiciels. Ce résultat confirme la théorie de l’export suivant laquelle l’introduction sur les marchés étrangers et l’expansion des ventes à l’export nécessitent une main d’œuvre spécialisée et des logiciels d’analyse de données.
Ainsi, certaines entreprises arrivent à exporter même avec des ressources limitées et sans spécialistes, leur SI d’export est simple, tandis que d’autres ont recours à un SI d’export plus développé en termes d’outils, logiciels et main d’œuvre.
Deuxième facteur : La disponibilité des infrastructures du réseau internet
Les dirigeants des entreprises étudiées sont unanimes pour souligner la mauvaise qualité et le coût élevé des connexions internet au Liban, ce qui est un frein au développement des exportations. Pour les dirigeants des entreprises C et D, ce point constitue un obstacle à la mise en place du e-commerce. Ces deux dirigeants souhaiteraient accéder rapidement et facilement à un système internet fiable, et à un coût accessible, pour optimiser l’usage d’outils de communication simples et rapides et développer plus facilement du e-commerce pour l’export. L’entreprise E exporte déjà grâce au e-commerce, mais a, pour y parvenir, dû adopter des solutions de connexion très coûteuses.
Ces résultats s’alignent avec les études empiriques antérieures (Caselli et Coleman, 2001 ; Robison et Crenshaw, 2002 ; Alam et Noor, 2009) qui ont montré que les infrastructures disponibles du secteur des services d’un pays affectent les volumes d’investissement en TIC, ainsi que la diffusion d’internet.
Conclusion, discussion et perspectives
Les configurations des SI export adoptées par les PME exportatrices libanaises étudiées sont diverses et s’inscrivent dans un continuum entre système « simple » et système « développé ». Certains dirigeants adoptent des configurations simples, privilégiant la communication en face à face et les outils de communication élémentaires. D’autres adoptent des configurations plus sophistiquées avec des logiciels export spécialisés. Alors que certains privilégient un mode d’exportation traditionnel, d’autres adoptent des solutions plus élaborées de commerce électronique (e-commerce).
Les résultats contradictoires dans la littérature quant à l’impact du SI sur les exportations peuvent s’expliquer par le fait que le SI des PME exportatrices dépend ainsi avant tout des choix opérés par les dirigeants de PME dont le rôle est central à cet égard. Deux facteurs influençant les pratiques sont plus notamment mis en avant par les dirigeants observés : (1) les compétences et ressources export, (2) l’infrastructure disponible.
D’autres facteurs apparaissent en filigrane au travers des entretiens et pourraient également être étudiés dans des recherches futures, il s’agit par exemple du rôle du secteur d’activité, de la distinction entre PME et TPE, et surtout du contexte libanais avec ses atouts tels qu’une tradition commerciale ancestrale, mais aussi ses obstacles à l’export comme par exemple les difficultés et l’incertitude de la situation économique et politique.
Cette recherche tend à ouvrir la voie à des recherches sur les PME des pays en développement ou émergents afin de mieux comprendre comment, avec un SI adapté à leurs besoins, au contexte et aux compétences, une fraction significative de dirigeants parvient à exporter.
Bibliographie
Abdulkhaliq, J. (2010), Développement durable au Liban : les secteurs et les contraintes. Gouvernance SI et stratégie, ADELI, p.89, 2012.
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Robison, K. K. et Crenshaw E. M. (2002), Post-industrial transformations and cyberspace: A crossnational analysis of Internet development, Social Science Research. 31., 334–363.
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