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Les auteurs
Rony Germon
(rony.germon@gmail.com) - PSTB Paris School of Business and Technology - ORCID : https://orcid.org/0009-0006-2956-1348Imen Safraou
(i.safraou@ipag.fr) - IPAG Business SchoolPatricia Baudier
(pbaudier@em-normandie.fr) - (Pas d'affiliation)
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Depuis l’avènement de ChatGPT fin 2022, l’écosystème éducatif connaît une accélération sans précédent dans l’adoption de l’IA avec l’arrivée des assistants conversationnels, systèmes de correction automatisés, tuteurs virtuels… Ces technologies investissent les salles de classe et les plateformes d’apprentissage. Mais sous l’effervescence technologique se cache une réalité plus nuancée.
La réalité derrière les promesses technologiques
Les discours marketing présentent souvent l’IA comme une solution miracle aux défis éducatifs contemporains. Or, l’étude de Rudolph et ses collègues (2025) révèle que cette vision relève davantage de l’effet d’annonce que de résultats vérifiables : « L’IA n’apporte pas de solution aux problèmes structurels de l’enseignement supérieur occidental, comme la marchandisation, l’emploi précaire et la pression des indicateurs de performance. »
Cette réalité explique pourquoi les institutions internationales appellent à la prudence. L’UNESCO (2023) insiste pour que « l’IA générative soit utilisée pour renforcer les capacités humaines dans les contextes éducatifs, et non pour les remplacer. » L’Union européenne, avec son AI Act, va plus loin en classant certaines applications éducatives comme « à haut risque », nécessitant des évaluations rigoureuses avant déploiement.
Les usages pratiques : entre bénéfices réels et risques potentiels
Sur le terrain, quatre types d’outils émergent principalement :
- Des assistants pédagogiques automatisés qui répondent aux questions fréquentes
- Des parcours adaptatifs ajustant les contenus selon les performances des apprenants
- Des systèmes de correction pour les questions à choix multiples ou le code informatique
- Des tableaux de bord analytiques qui identifient les risques d’abandon
Ces technologies permettent effectivement de gagner du temps et d’offrir un suivi plus individualisé. Toutefois, leur impact sur les compétences fondamentales suscite des interrogations légitimes. Le World Economic Forum (2025) met en garde : « En automatisant certains aspects de l’éducation, on risque de négliger les dimensions sociales et émotionnelles indispensables à l’apprentissage profond. »
L’enseignant augmenté plutôt que remplacé
L’enjeu principal réside moins dans les outils eux-mêmes que dans la transformation des rôles professionnels. Le formateur devient un accompagnateur augmenté, passant du modèle du transmetteur de connaissances à celui de guide, d’interprète et de facilitateur d’apprentissage.
Cette évolution nécessite de nouvelles compétences :
- Une compréhension critique des mécanismes de l’IA : possibilités et limites
- Des aptitudes en conception pédagogique pour intégrer ces outils dans des scénarios d’apprentissage cohérents
- Une capacité d’analyse des données pour interpréter les informations générées par l’IA
- Une maîtrise des enjeux éthiques liés à l’utilisation de ces technologies
Le Réseau Canopé illustre cette approche avec sa méthode d’évaluation des productions assistées par IA. « L’évaluation ne porte plus sur le produit final, mais sur la capacité de l’apprenant à expliquer sa démarche et à justifier ses choix dans l’utilisation de l’IA », précise leur guide méthodologique (2024).
La détection de l’IA : une impasse pédagogique ?
Contrairement aux idées reçues, les outils de détection des contenus générés par IA montrent des limites importantes. OpenAI a reconnu les faiblesses de son propre détecteur, qui confond parfois des textes classiques avec des productions automatisées.
Cette réalité technique pousse à un changement de paradigme. Rudolph et ses collègues (2025) sont formels : « La course aux détecteurs d’IA est vouée à l’échec. Nous devons plutôt repenser fondamentalement nos pratiques d’évaluation pour valoriser le processus d’apprentissage plutôt que le produit final. »
La tendance actuelle favorise donc l’intégration explicite de l’IA dans des dispositifs pédagogiques transparents, où son utilisation est assumée et encadrée – non pas interdite ou surveillée.
L’éthique comme compétence fondamentale
L’intégration de l’IA dans l’éducation soulève des questions éthiques considérables : qui contrôle les algorithmes ? Que deviennent les données d’apprentissage ? Comment prévenir les biais qui pourraient défavoriser certains groupes d’apprenants ?
L’AI Act européen aborde ces préoccupations en imposant des exigences de transparence et d’explicabilité pour les systèmes utilisés dans l’éducation. « Les apprenants et les enseignants doivent comprendre quand ils interagissent avec un système d’IA et comment leurs données sont utilisées », stipule la réglementation.
Cette dimension éthique devient une compétence essentielle pour les professionnels de l’éducation. L’OCDE (2024) recommande que « tous les professionnels de l’éducation développent une compréhension approfondie des implications éthiques de l’IA dans leur pratique quotidienne. »
Ce que l’IA ne peut pas faire
Malgré leurs avancées spectaculaires, les systèmes d’IA actuels restent des outils statistiques sophistiqués, dépourvus de compréhension authentique au sens humain. L’UNESCO (2023) rappelle cette réalité fondamentale : « Les systèmes d’IA actuels ne possèdent ni intentionnalité ni conscience, ce qui limite fondamentalement leur capacité à comprendre les nuances émotionnelles et cognitives de l’apprentissage humain. »
L’IA excelle dans l’automatisation de tâches répétitives, mais elle ne remplace pas le jugement contextuel, l’intelligence de situation ou la relation pédagogique. Ces capacités proprement humaines demeurent au cœur du processus éducatif.
Transformer plutôt qu’automatiser
L’intégration de l’IA ne supprime pas le besoin d’enseignants et de formateurs – elle transforme leur métier en profondeur. Cette transformation exige :
- Un investissement substantiel dans la formation continue
- Une refonte des modes d’évaluation
- Une clarification des usages acceptables
- Un pilotage pédagogique assumé
Le World Economic Forum (2024) confirme cette approche : « Les systèmes éducatifs qui réussissent l’intégration de l’IA sont ceux qui investissent autant dans le développement professionnel des enseignants que dans l’infrastructure technologique. »
L’IA nous invite à repenser l’équilibre entre automatisation et dimension humaine, entre personnalisation et référentiels communs. Elle nous pousse à clarifier nos finalités éducatives et à réaffirmer le rôle irremplaçable de l’humain dans la transmission des savoirs.
Dans la formation digitale, il ne suffit pas d’innover – il faut transformer les pratiques pédagogiques avec discernement et vision.
Bibliographie
- Rudolph, J. , Ismail, F., Tan, S., Seah, P. (2025). Don’t believe the hype. AI myths and the need for a critical approach in higher education, Journal of Applied Learning & Teaching, 8(1). https://doi.org/10.37074/jalt.2025.8.1.1
- UNESCO (2023). Guidance for generative AI in education and research. https://www.unesco.org/en/articles/guidance-generative-ai-education-and-research
- World Economic Forum (2025). Using AI in education to help teachers and their students. https://www.weforum.org/stories/2025/01/how-ai-and-human-teachers-can-collaborate-to-transform-education/
- Canopé (2024). Comment évaluer une production d’écrits assistée par une IA. https://www.canotech.fr/a/37903/comment-evaluer-une-production-decrits-assistee-par-une-ia
- OCDE (2024). The Role of Artificial Intelligence (AI) Skills – Business at OECD (BIAC). https://one.oecd.org/document/DAF/COMP/WD(2024)47/en/pdf
- Union européenne (2024). AI Act – Régulation des usages à haut risque. https://artificialintelligenceact.eu/fr/article/6/