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Gilles Paché
(gilles.pache@univ-amu.fr) - Aix-Marseille Université
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L’émergence du métavers représente une révolution technologique dont il apparaît désormais évident qu’elle a d’ores et déjà ‒ et entraînera de plus en plus ‒ des répercussions majeures dans de nombreux secteurs d’activité, du divertissement à l’éducation et bien au-delà (Ritterbusch & Teichmann, 2023). Si l’attention vis-à-vis du métavers s’est principalement manifestée à travers un potentiel à transformer les interactions sociales, il présente également d’énormes opportunités et défis en matière de management des chaînes logistiques (Dolgui & Ivanov, 2023 ; Queiroz et al., 2023). L’idée clé qui guide le métavers, un espace virtuel partagé intégrant les réalités physiques et virtuelles, est d’introduire le concept de chaîne logistique virtuelle pour laquelle des jumeaux numériques, l’IA et la technologie immersive conduisent à une nouvelle ère de l’efficacité opérationnelle. Cela permet non seulement de suivre et de simuler les flux logistiques en temps réel, mais aussi d’anticiper les perturbations potentielles, de réduire les coûts liés aux erreurs humaines et d’améliorer considérablement la planification des opérations.
Face à des chaînes de valeur mondiales qui se complexifient et des exigences de transparence, de rapidité et de réactivité qui s’accroissent, le métavers offre une plateforme permettant d’optimiser le fonctionnement des chaînes logistiques grâce à la virtualisation et à l’accès aux données sur les flux en temps réel. Des technologies avancées sont essentielles pour permettre le développement du métavers, et leur application à la logistique pourrait radicalement changer la manière dont les produits sont fabriqués, stockés et distribués. Cet avis d’expert explore tout particulièrement l’impact du métavers sur le management de la chaîne logistique en passant en revue les principaux enjeux associés et les défis rencontrés, notamment en ce qui concerne la sécurité des données, la gestion des ressources, et les implications pour la durabilité environnementale dans le nouvel écosystème numérique ayant émergé. De plus, la nécessité d’une formation adéquate pour les salariés afin de tirer pleinement parti du métavers ne peut être sous-estimée dans la mesure où le succès ultime dépendra de l’acceptation et de l’adaptabilité des équipes.
Clarifications préalables
Pour comprendre et anticiper l’impact du métavers sur le management des chaînes logistiques contemporaines, dans un « maquis » de notions et de démarches, un effort de clarification s’avère indispensable. En première approximation, le métavers renvoie à un environnement numérique partagé et immersif dans lequel les différents utilisateurs, le plus souvent représentés par des avatars (Ball, 2023), interagissent en temps réel en utilisant des technologies avancées, dont beaucoup se chevauchent d’ailleurs avec des innovations d’ores et déjà présentes au sein des chaînes logistiques. L’un des éléments les plus importants du métavers, largement étudié dans la littérature (Rejeb et al., 2020), est sans conteste l’utilisation de technologies immersives comme la réalité virtuelle et la réalité augmentée ; la première crée des expériences entièrement numériques, tandis que la seconde superpose des informations numériques au monde physique, conduisant les utilisateurs à interagir instantanément avec des objets virtuels et physiques. En intégrant ces technologies, les entreprises peuvent non seulement améliorer l’expérience client, mais aussi optimiser la traçabilité des produits tout au long de leur cycle de vie.
Réalité virtuelle et réalité augmentée permettent aux logisticiens de visualiser les entrepôts, les réseaux de production et de transport, et les niveaux de stock depuis n’importe quel endroit, et de prendre des décisions en temps réel sans présence physique (Demir et al., 2020). Mais ils ne peuvent être réellement efficaces sans l’appui de l’IA et de l’apprentissage automatique. L’IA et l’apprentissage automatique sont effectivement les moteurs qui portent une grande partie des fonctionnalités du métavers, en favorisant l’usage d’analyses prédictives, d’algorithmes d’optimisation et de processus décisionnels automatisés. Ainsi, dans le management des chaînes logistiques, l’IA peut prévoir la demande, optimiser des itinéraires de livraison et prédire de potentielles perturbations des flux en fonction de données sur le produit en circulation saisies en temps réel (Paché, 2023). Associée à des interfaces de réalité virtuelle et augmentée, l’IA transforme pas à pas la façon dont les logisticiens perçoivent les problématiques du pilotage des flux les plus sensibles. La synergie entre technologies innovantes, autorisée par le métavers, offre non seulement une meilleure visibilité sur l’ensemble des opérations logistiques de l’amont vers l’aval, comme l’indique la Figure 1 tirée de Büyüközkan (2023), mais elle permet aussi de renforcer la réactivité face aux imprévus, garantissant ainsi une satisfaction client optimale.
Figure 1. Applications du métavers le long d’une chaîne logistique
Source : Büyüközkan (2023).
La véritable révolution en cours en matière de métavers est toutefois celle qui est liée aux jumeaux numériques et à l’IoT. Les jumeaux numériques, des représentations virtuelles d’objets, de processus et/ou de systèmes physiques, permettent effectivement de surveiller, de tester et d’optimiser les opérations logistiques dans un environnement totalement virtuel (Semeraro et al., 2021). Intégrés à l’IoT, qui connecte les objets physiques à Internet, les jumeaux numériques sont mis à jour en temps réel pour refléter les changements intervenus dans le monde physique, facilitant ainsi des prises de décision plus rapides, précises et éclairées. En outre, ils renforcent la productivité et minimisent les risques d’erreurs humaines. Le processus de mise en œuvre de jumeaux numériques améliore l’efficacité des entreprises, réduit les coûts d’exploitation et favorise l’innovation continue en offrant une visibilité totale sur l’ensemble du cycle de vie des systèmes. Par ailleurs, cette approche permet également d’anticiper les besoins futurs en ressources et d’adapter les stratégies opérationnelles, garantissant ainsi une réponse proactive aux fluctuations du marché et aux attentes changeantes des clients.
Il n’en demeure pas moins que la technologie la plus emblématique du métavers reste la blockchain, qui donne lieu au demeurant à une abondante littérature depuis une décennie (Chang et al., 2022 ; Yan, 2023). La technologie blockchain, connue pour son utilisation dans le monde trouble des cryptomonnaies, présente un potentiel considérable afin d’améliorer la transparence et la sécurité des chaînes logistiques. En fournissant un registre décentralisé et immuable aux diverses parties prenantes d’une chaîne logistique, elle garantit que chaque étape des processus logistiques est enregistrée et vérifiée, en proposant un niveau de transparence essentiel aux clients exigeant davantage de visibilité sur les flux de produits. Or, l’un des plus grands défis à surmonter par les chaînes de valeur mondiales est justement le manque de transparence, avec des produits transitant souvent par de multiples intermédiaires dans de multiples pays. Il est ainsi difficile pour les entreprises de vérifier l’origine, l’authenticité et/ou la qualité des produits qu’elles reçoivent. La technologie blockchain, une fois intégrée au métavers, apporte une solution à ce problème en facilitant entre autres l’identification de l’origine des matières premières, et en s’assurant qu’elles proviennent de fournisseurs éthiques.
Visualiser, surveiller et prévoir
Dans l’univers du métavers, la « matérialité » de la chaîne logistique virtuelle prend une importance croissante. Mais de quoi parle-t-on exactement ? La chaîne logistique virtuelle fait référence à la numérisation complète des processus logistiques, facilitée par les technologies mentionnées précédemment. En tirant habilement parti du métavers, les entreprises ont la capacité de « virtualiser » tous les aspects du management de la chaîne logistique, du suivi des stocks à la planification des préparations des commandes et à l’organisation des opérations de livraison. De ce point de vue, la « promesse » associée à la chaîne logistique virtuelle est explicite, même si elle n’est pas toujours tenue aux yeux des top managers (Sodhi et al., 2022) : améliorer l’efficacité du pilotage des flux, réduire les coûts logistiques et améliorer la réactivité / résilience face aux aléas, tout en faisant face à de nouveaux défis liés à la sécurité des données et au développement des infrastructures. L’un des avantages les plus immédiats de l’intégration du métavers reste cependant la possibilité de visualiser et de surveiller les chaînes logistiques avec un niveau de détail jamais atteint par le passé. Cela permet aux entreprises d’identifier rapidement les inefficacités, d’optimiser les performances et d’adapter les stratégies en temps réel, favorisant ainsi une gestion proactive des opérations.
Grâce à l’utilisation de la réalité virtuelle et augmentée, les logisticiens supervisent en effet l’ensemble des opérations à partir d’un seul centre de commandement virtuel (une sorte de « tour de contrôle » au sens de Trzuskawska-Grzesińska [2017]). Par exemple, des responsables d’entrepôt peuvent aisément utiliser des lunettes de réalité augmentée pour visualiser les niveaux de stock en temps réel (Gharbi, 2015), tandis que les planificateurs du transport (d’approche et terminal) s’appuieront sur la réalité virtuelle pour simuler et optimiser les itinéraires de livraison en fonction de paramètres topographiques, entre autres. Un tel niveau d’immersion et de retour d’information favorise une prise de décision efficace et des réponses plus rapides aux perturbations que connaît toute chaîne logistique en impliquant des personnes le plus souvent distantes (Gao et al., 2024) (voir l’Illustration n° 1). Il est possible ici de parler d’une disruption majeure dans la mesure où, traditionnellement, le suivi et la traçabilité des flux sont un processus chronophage. Le métavers, avec sa combinaison d’IoT et de blockchain, conduit à une automatisation du suivi de chaque produit en temps réel, avec des enregistrements numériques non modifiables qui réduisent considérablement le risque d’erreurs, de fraude ou de retards.
Illustration n° 1. Réalité augmentée : la distance n’est plus un problème
La réalité augmentée permet à un expert situé à distance d’être connecté à un opérateur sur site portant des lunettes intelligentes via un appel vidéo en direct. Les deux personnes voient les mêmes choses en même temps et l’opérateur garde les mains libres. Grâce à un logiciel dédié, l’expert peut fournir des instructions, des croquis et des annotations pour guider l’opérateur. Par exemple, Total Énergies utilise les lunettes intelligentes RealWear pour accélérer le diagnostic et la réparation des équipements de ses raffineries. Cette solution rend les connaissances spécialisées disponibles via des appels d’assistance à distance, réduisant ainsi le temps de déplacement, et donc le risque d’arrêt de la chaîne logistique. Si des niveaux de collaboration plus élevés sont nécessaires, il est possible d’envisager l’utilisation de casques de réalité virtuelle. Des personnes situées en différents maillons d’une chaîne logistique peuvent, par exemple, se réunir dans un seul espace de collaboration virtuel et utiliser des hologrammes 3D pour concevoir des solutions supply chain adaptées.
Source : d’après https://www.dhl.com/ (consulté le 10 septembre 2024).
Visualiser et surveiller est une chose, prévoir en est une autre, autrement plus délicate dans un monde de plus en plus complexe, incertain et turbulent. Même si Michel et al. (2023) soulèvent des questionnements éthiques quant à leur usage, il faut reconnaître que les algorithmes d’IA et d’apprentissage automatique du métavers offrent des opportunités stimulantes d’analyses prédictives extrêmement précises, essentielles à l’optimisation des chaînes logistiques. Grâce à l’accès et au traitement de données massives, l’IA peut anticiper le profil de la demande finale, détecter instantanément des schémas logistiques défaillants et optimiser les itinéraires d’une manière plus efficace que n’importe quel humain, prisonnier de ses capacités cognitives limitées et victime de biais décisionnels récurrents (Acciarini et al., 2021 ; Hizam, 2024). En matière de logistique, il est entendu que l’optimisation des itinéraires est notamment l’un des facteurs les plus critiques en vue de réduire les coûts et garantir des livraisons dans les délais. Or, le métavers simule sans difficulté des millions d’itinéraires possibles dans un environnement virtuel, en testant différents scénarios en fonction du trafic, des conditions météorologiques, des coûts du carburant, des mouvements sociaux, etc. Dans de telles conditions, le choix de l’itinéraire le plus efficace devient un « jeu d’enfant », alors qu’il a constitué un véritable casse-tête pendant des décennies.
S’appuyer sur les jumeaux numériques
Suscitant une curiosité croissante, liée certainement à leur dénomination de nature anthropomorphique, les jumeaux numériques sont l’une des applications les plus prometteuses du métavers dans le management des chaînes logistiques (van der Valk et al., 2022), tout particulièrement en matière de gestion des entrepôts et des stocks de produits, mais aussi en matière de planification industrielle (voir l’Illustration n° 2). Un jumeau numérique est le modèle virtuel d’un objet ou d’un processus physique, qu’il s’agisse de représenter un simple produit… ou des milliers de produits stockés dans un entrepôt régional. L’un des plus grands défis rencontrés dans la gestion des entrepôts est d’en optimiser l’agencement pour maximiser l’efficacité, ce qui implique habituellement des essais et des erreurs en matière de réorganisation des racks de stockage, des équipements de manutention et des systèmes de préparation des commandes. Avec les jumeaux numériques, le processus est totalement virtualisé avec un métavers créant des répliques numériques des installations à partir desquelles il est possible d’expérimenter différents agencements et tester plusieurs scénarios, tels que l’ajustement continu à la demande saisonnière ou le changement du type de produits stockés (Drissi Elbouzidi et al., 2023).
Illustration n° 2. Des usines jumelles numériques chez BMW
BMW a commencé à développer des répliques virtuelles de certaines parties de sa chaîne logistique en 2014. Avant de déployer les groupes motopropulseurs de ses nouveaux véhicules électriques en 2021, le constructeur automobile allemand a créé leur version virtuelle entièrement opérationnelle dans son usine de Ratisbonne, en Bavière, lieu final de fabrication. Fin 2022, BMW s’est lancée à fond dans les jumeaux numériques, avec l’intention de mettre en service le modèle virtuel des 31 usines de son réseau de production. Dans son annonce officielle, l’entreprise a déclaré que le projet s’inscrivait dans le cadre de sa stratégie mondiale iFactory, soulignant que les jumeaux numériques sont un pari sur l’efficacité, soutenant en outre des objectifs de développement durable. Environ 15 000 employés peuvent actuellement accéder aux données via une application personnalisée appelée BMW Factory Viewer et l’utiliser pour inspecter virtuellement des zones spécifiques, effectuer des mesures précises et collaborer simultanément sur plusieurs sites, localisés sur différents fuseaux horaires. L’entreprise affirme que la science des données constitue pour elle le fondement d’une prise de décision en temps réel, ainsi que d’une identification rapide et proactive des causes profondes des divers problèmes que BMW peut rencontrer, l’objectif ultime étant d’améliorer les processus logistiques.
Source : d’après https://www.sap.com/resources/digital-twins-at-work (consulté le 6 juillet 2024).
En bref, grâce aux jumeaux numériques, chaque produit ou chaque lot de produits est représenté dans un espace virtuel, son statut est mis à jour en temps réel au fur et à mesure de son déplacement, puis renvoyé vers le monde réel (voir la Figure 2). Le bénéfice pour les logisticiens s’avère significatif : une possibilité unique leur est offerte de surveiller à distance les niveaux de stock et l’état des produits, mais aussi de recevoir des alertes immédiates en cas de problème, par exemple si un produit est endommagé ou si son réapprovisionnement est retardé par la suite d’aléas. Un tel niveau de visibilité en temps réel conduit à réduire le gaspillage dans un contexte de logistique durable, de limiter les ruptures de stock et de réagir plus rapidement aux variations de la demande. Ce faisant, l’un des aspects les plus frustrants du management « traditionnel » de la chaîne logistique, à savoir le manque de visibilité en temps réel sur les niveaux de stock (Freichel et al., 2022), peut être aisément surmonté. Tout logisticien sait par ailleurs que les produits circulent en plusieurs étapes, de la production à l’expédition, en passant par l’entreposage, et chaque étape introduit un risque d’erreur ou de retard. Le métavers, intégré à l’IoT, à la blockchain et aux jumeaux numériques, apporte une solution innovante au problème posé, et il est certain que nombre de top managers n’en n’ont pas encore pris la juste mesure.
Figure 2. Espace logistique virtuel et monde logistique réel : un effet miroir
Source : Élaboration personnelle.
Défis du métavers en contexte logistique
Bien que le métavers offre des possibilités stimulantes ‒ et en partie encore inexplorées ‒ pour transformer le management des chaînes logistiques, il introduit également plusieurs défis qui ne peuvent être passées sous silence. L’une des principales préoccupations liées au métavers est la quantité massive de données qu’il génère, avec un risque crédible de violation des données et/ou de cyberattaques. L’ensemble des entreprises impliquées dans le fonctionnement d’une chaîne logistique (fournisseurs, industriels, distributeurs, transporteurs, etc.) sont amenées à collecter et traiter des données sensibles, allant des niveaux de stock en temps réel aux itinéraires de transport, aux prévisions de production et, plus encore, aux données clients. Il est aisé d’imaginer les effets dramatiques d’une récupération de telles données par des parties prenantes mal intentionnées (Far & Rad, 2022 ; Huang et al., 2023). Outre les problèmes de cybersécurité, des problèmes liés à la confidentialité sont également récurrents puisque le suivi du mouvement des produits tout au long d’une chaîne logistique conduit à collecter des données sur les individus impliqués, tels que les chauffeurs, les employés d’entrepôt ou les personnels de réception chez le destinataire.
Un autre défi majeur est lié à l’infrastructure nécessaire pour soutenir le métavers dans le management des chaînes logistiques. La majorité des technologies qui le sous-tendent, telles que la réalité virtuelle, la réalité augmentée, l’IoT et la blockchain, exigent des investissements importants en matériel, en logiciels et en connectivité. Pour les petites entreprises, ou celles qui opèrent dans des régions du monde comme l’Afrique où l’infrastructure est limitée, le coût d’adoption de telles technologies s’avère rapidement prohibitif. La situation s’avère d’ailleurs d’autant plus délicate que l’intégration du métavers dans les chaînes logistiques pose de redoutables défis techniques (Bag et al., 2024). De nombreuses entreprises s’appuient sur des systèmes hérités du passé, et n’ayant pas été conçus pour fonctionner avec des technologies avancées comme la blockchain, la réalité virtuelle et augmentée, ou les jumeaux numériques. La mise à jour ou le remplacement de ces systèmes pour fonctionner avec le métavers nécessite du temps, des efforts et des ressources, y compris humaines. De plus, la formation des employés aux nouvelles technologies représente un autre investissement non négligeable, indispensable pour assurer une adoption réussie au sein de l’organisation.
En effet, à mesure que le métavers transforme le management des chaînes logistiques, il modifie simultanément les compétences et connaissances requises pour travailler dans l’univers des flux, et pas seulement lui (voir l’Illustration n° 3). Les salariés doivent être formés à l’utilisation des nouvelles technologies, telles que les interfaces de réalité virtuelle, les plateformes d’analyse fondées sur l’IA, ou encore la blockchain. Il s’agit sans conteste d’un enjeu de taille, en particulier pour les salariés les plus âgés et les plus fragiles psychologiquement (Bale et al., 2022), ou ceux vivant dans des régions où l’accès à l’enseignement technologique avancé reste limité. Ajoutons que l’adoption de technologies associées au métavers suscite de légitimes inquiétudes quant aux probables suppressions d’emplois. L’IA prenant en charge certaines tâches, comme la planification des itinéraires ou la gestion des stocks, la demande de main-d’œuvre devrait diminuer drastiquement. De fait, pour éviter de graves crises sociales aux conséquences imprévisibles, les entreprises seront dans l’obligation de trouver un équilibre entre l’adoption du métavers et la garantie que le personnel est correctement formé et soutenu pendant la phase critique de transition.
Illustration n° 3. Métavers et acquisition de nouvelles compétences
Le métavers est d’ores et déjà utilisé dans de nombreux secteurs pour accélérer le développement de nouvelles compétences. Quelques exemples donnent le vertige sur les potentialités quasi-infinies qui s’ouvrent bien au-delà des chaînes logistiques. Medivis utilise la technologie HoloLens de Microsoft pour former les étudiants en médecine grâce à l’interaction avec des modèles d’anatomie en 3D. Embodied Labs utilise la vidéo à 360 degrés pour aider le personnel médical à ressentir les effets de la maladie d’Alzheimer et des déficiences audiovisuelles liées à l’âge afin de faciliter le diagnostic. Bosch et Ford Motor Company ont mis au point un outil de formation en réalité virtuelle utilisant le casque Oculus Quest pour former les techniciens à l’entretien des véhicules électriques. Metaverse Learning travaille avec UK Skills Partnership pour créer une série de neuf modèles de formation en réalité augmentée pour les infirmières britanniques en utilisant l’animation 3D et la réalité augmentée afin de renforcer les meilleures pratiques en matière de soins infirmiers. Des centaines d’autres exemples pourraient être cités pour illustrer les processus d’apprentissage dans un monde virtuel.
Source : d’après https://hbr.org/2022/04/how-the-metaverse-could-change-work (consulté le 16 avril 2024).
Conclusion
Force est d’admettre que le métavers représente une opportunité majeure de révolutionner le management des chaînes logistiques. Grâce à l’intégration de technologies telles que la réalité virtuelle et la réalité augmentée, l’IA, les jumeaux numériques, la blockchain et l’IoT, il est en position d’améliorer l’efficacité, la transparence et la collaboration au sein des chaînes de valeur mondiales. La virtualisation de processus clés, tels que la gestion des stocks et l’optimisation des itinéraires, réduit les coûts, améliore la prise de décision et offre une meilleure réactivité en réponse aux conditions instables du marché. Il n’empêche que l’adoption généralisée du métavers présente plusieurs défis, notamment en ce qui concerne la sécurité des données, l’investissement infrastructurel et la nécessité d’adapter et former la main-d’œuvre. Dans une logique de recherche d’une performance accrue, avec un environnement hyperconcurrentiel traversé par de multiples crises sanitaires et géopolitiques, relever ces défis sera indispensable au risque de ne pouvoir exploiter tout le potentiel que recèle le métavers en matière de pilotage des processus logistiques.
Il est évidemment entendu que le métavers va continuer d’évoluer à un rythme de plus en plus rapide, et à ce titre, il sera essentiel pour les entreprises, les décideurs politiques et les fournisseurs de technologies de travailler ensemble pour développer les normes et les réglementations nécessaires afin de soutenir son intégration réussie dans les chaînes logistiques. Un avenir radieux se profile sans aucun doute pour ces dernières grâce au métavers, avec des niveaux d’efficacité, de transparence et de résilience sans précédent dans l’histoire managériale. Toutefois, un tel avenir radieux devra ne pas négliger des initiatives visant à assurer l’inclusivité, afin que même les petites entreprises puissent bénéficier des avantages du métavers. En parallèle, des efforts accrus pour garantir la sécurité et la souveraineté des données seront cruciaux dans le nouvel environnement numérique. Les impacts environnementaux liés à l’utilisation croissante de ces technologies devront également être pris en compte, afin de garantir une transformation durable et écoresponsable de nos économies encore bien trop carbonées.
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