Cette contribution est une synthèse légèrement actualisée et reformatée de la communication qui fut sélectionnée pour être présentée en session publique lors de la « french session » de la conférence ICTO2023 qui a eu lieu à Paris à la Sorbonne les 4, 5 et 6 juillet 2023 et qui donna lieu à la présentation de 7 communications rédigées et présentées en français réparties sur deux sessions de deux heures programmées les 5 et 6 juillet.

Dans le domaine de l’IA, les questions éthiques sont particulièrement sensibles (Hamet et Michel, 2018 ; Tsamados et al., 2021) et peuvent être regroupées en trois grands questionnements (Michel et al., 2023) : la question des biais, celle de la responsabilité et celle de la transparence.

Face à ces questions éthiques soulevées par les IA, les acteurs sont amenés à prendre des décisions. La littérature sur la prise de décision éthique (Casali et Perano, 2021) identifie deux principaux modèles, mais aussi des variables influençant les étapes de ces modèles.

L’objet de cette communication est de proposer une nouvelle variable : l’éthicité, notion proposée par Hegel (1820). Pour cela, nous allons dans une première partie présenter une synthèse de la littérature concernant la prise de décision éthique. Nous poursuivrons dans une seconde partie par la présentation du concept d’éthicité de Hegel qui permet de répondre à certaines lacunes de la littérature.

La prise de décision éthique

Variables et modèles de la prise de décision éthique

La littérature concernant la prise de décision éthique a fait l’objet de plusieurs recensions conséquentes (Ford et Richardson, 1994 ; Loe, et al., 2000 ; O’Fallon et Butterfield, 2005 ; Craft, 2013, Casali et Perano, 2021), dont nous pouvons retenir :

• Deux principaux modèles : celui Rest (1986) qui voit la prise de décision éthique comme étant composée de quatre étapes et celui de Jones (1991)qui a développé le concept d’intensité morale;
• Des facteurs influençant la prise de décision éthique (individuels ; organisationnels, intensité morale) ;
• La majorité des recherches portent sur des facteurs individuels (sexe, âge, nationalité ou religion), et les valeurs morales de l’individu.

Manques recensés dans la littérature

D’un point de vue empirique, les chercheurs négligent la nature hétérogène de la prise de décision éthique (Casali et Perano, 2021).

Aussi O’Fallon et Butterfield, 2005 indique que de nombreuses études manquent de fondements théoriques solides et d’hypothèses formelles. Il faudrait plutôt développer et/ou de dépasser le cadre de Rest, tester d’autres influences individuelles, et envisager des modérateurs (variables médiatrices) potentiels du processus de prise de décision éthique.

Proposition du concept d’éthicité

Nous souhaitons répondre à certains manquements de la littérature, notamment en cherchant des fondements théoriques et philosophiques aux variables à intégrer aux modèles. Dans ce sens, séparer les variables individuelles et organisationnelles ne nous semblent pas toujours opportun (Casali et Perano, 2021), dans le sens ou les idées, les valeurs des individus sont aussi forgées par l’organisation, la société, et sont donc très circonstancielles et contextuelles. C’est pourquoi la notion d’éthicité développée par Hegel nous parait répondre à ces manquements.

De l’éthique à l’éthicité : justification de la pertinence du concept

Critique de la morale déontologique Kantienne par Hegel

C’est dans Les Principes de la philosophie du droit, manuel de cours, divisé en 360 paragraphes, publié en 1820, à Berlin, que Hegel va critiquer la moralité kantienne et proposer la notion d’éthicité. Deux principales critiques vont être portées par Hegel :

La loi morale Kantienne est aveugle au contexte normatif

Hegel rappelle qu’un individu est toujours situé dans un environnement social, constitué de normes de trois sphères (famille, société civile et État). On ne peut pas faire abstraction de ces normes situées selon Hegel : « tout individu est le fils de son temps ». Les normes sont même intériorisées par les individus et historicisées.

La loi morale Kantienne est aveugle au contexte circonstanciel

Hegel pense qu’il faut prendre en compte et le contexte et les circonstances, en s’attaquant au fameux exemple du mensonge que l’impératif catégorique proscrit dans n’importe quelle situation.

Dans la troisième et dernière partie des Principes de la philosophie du droit, Hegel développe son concept d’éthicité. L’éthicité peut être définie comme l’ensemble des normes qui émanent des institutions qui régulent la vie du peuple. Ces institutions sont la famille, les corporations (la société civile), l’État, qui est l’institution de base, la condition de possibilité des autres institutions. Dans la vie éthique, il y a des obligations, qu’on appelle aujourd’hui des normes. La vie éthique est présente dans les trois niveaux importants de la vie sociale. Par exemple, la société civile, qui est une sphère d’interaction sociale, correspond à la vie économique. Après la famille et la société civile, le troisième moment et le plus élevé de la vie éthique est l’État. L’État est le moyen par lequel les individus intègrent leur rôle dans la vie éthique de la société, en tant que partie d’un ensemble plus vaste.

Conclusion

Les problèmes éthiques soulevés par les IA sont nombreux et pourtant des décisions doivent être prises. Nous proposons inclure une nouvelle variable dans les modèles de prise de décision éthique, l’éthicité, notion développée par Hegel. Notre objectif est alors de proposer des fondements théoriques philosophiques et aussi de regrouper autour d’une même variable des dimensions individuelles et organisationnelles.