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Gilles Paché
(gilles.pache@univ-amu.fr) - Aix-Marseille Université
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Les transformations que les secteurs de la distribution alimentaire et non-alimentaire connaissent depuis une vingtaine d’années donnent lieu à un nombre important de travaux académiques. Même si les souvenirs des confinements successifs que plusieurs pays ont connu au plus fort de la pandémie de Covid-19 s’estompent mois après mois, nul n’a encore oublié en France les débats relatifs à l’ouverture des « commerces essentiels », ou encore la concurrence déloyale exercée par Amazon vis-à-vis des magasins physiques, désertés pour cause de distanciation sociale (Rouquet, 2020), en poursuivant activement son activité de livraison à domicile. Plus largement, il semble entendu que la vente en ligne sur Internet (le « click ») gagne rapidement du terrain, et pose la question du devenir de nombreux formats de magasin physique (le « brick »). Certes, ces derniers restent encore très présents dans le paysage commercial, notamment en Europe, mais ils se positionnent de plus en plus comme un simple soutien logistique aux ventes en ligne, comme en témoigne la progression rapide du click & collect et du drive, pour lesquels le vrai magasin, celui avec qui le consommateur entre en contact, est bien le site Internet, accessible instantanément, partout et à toute heure grâce à une simple application sur un smartphone.
Force est d’admettre que les canaux de distribution numériques et physiques continuent de converger en une seule expérience d’achat connectée (Filser et al., 2020). L’objectif des enseignes est que cette expérience soit « sans couture », autrement dit que le consommateur puisse passer de manière fluide du magasin virtuel (commande de produits) au magasin physique (récupération des produits), et vice versa, du magasin physique (retour éventuel des produits) au magasin virtuel (nouvelle commande de produits), sans ressentir de friction désagréable à aucun moment. Il n’empêche que la pandémie de Covid-19, couplée à de nouvelles pratiques d’achat des millennials, dont l’utilisation du Q-commerce au sein des grandes villes (Paché, 2022), ne cesse de faire grimper la part des canaux numériques dans les transactions commerciales, même si les canaux physiques ne sont pas encore morts. Une erreur majeure serait d’ailleurs de considérer qu’ils sont incapables d’assimiler les vertus de la digitalisation, autant pour améliorer l’expérience client en magasin que pour optimiser la gestion de ce dernier. Au contraire, ce que l’on dénomme aujourd’hui le digital in-store souligne une dynamique parfois méconnue qui pourrait signifier à terme une revanche éclatante du magasin physique, comme on peut le constater avec des exemples emblématiques.
Digitalisation, vous avez dit digitalisation ?
Parler de digitalisation des magasins physiques renvoie explicitement à la notion de digital in-store entendue comme un portefeuille d’outils utilisés pour permettre aux magasins de prendre le virage numérique dans leur fonctionnement et les interactions avec le client, à la recherche d’une expérience innovante et hédonique (Liu et al., 2021). L’objectif économique de la digitalisation est de permettre au distributeur de générer des ventes additionnelles et, par conséquent, d’améliorer sa rentabilité. Les outils numériques les plus couramment sont les tablettes vendeurs, les vitrines interactives, les cabines et écrans connectés, les bornes tactiles et le m-paiement (Perry et al., 2019). Ainsi, depuis la pandémie de Covid-19, les managers de rayon jouent un rôle clé en tant qu’experts en gestion des commandes et relation client, mais aussi en tant que spécialistes du commerce électronique et des médias sociaux. Pour réussir à porter ces nombreuses casquettes, les managers de rayon doivent disposer de multiples données à l’aide d’outils numériques faciles à utiliser. Par exemple, depuis leur tablette vendeur, ils peuvent accéder à une plateforme CRM avec des profils de clients contenant de riches données sur les achats passés, les préférences, le profil démographique ou le score de satisfaction (Druguet et Vallet, 2015).
Lorsque les données sur les clients sont rapidement et facilement accessibles, l’expérience en magasin s’avère beaucoup plus pratique et satisfaisante dans la mesure où il est possible de personnaliser l’interaction, comme le fait en ligne Amazon avec ses recommandations (certes parfois intrusives) en fonction des achats et/ou des consultations antérieurs sur son site Internet (Smith et Linden, 2017). Disposant d’outils numériques adaptés, les managers de rayon ont une vue complète des données client en temps réel et à portée de main, ce qui leur permet de répondre rapidement aux questions sur le statut d’une commande, le solde des récompenses, l’historique des achats, les délais de livraison, etc. Plutôt que d’être confronté à une servuction électronique déshumanisée, source de frustration, le client se sent alors écouté… et peut-être même compris ! Les outils numériques à la disposition des managers de rayon leur permettent également de vérifier les prix, les promotions et les remises, ce qui s’avère essentiel dans une période inflationniste pendant laquelle les clients seront encore plus désireux de profiter d’offres spéciales. Enfin, le digital in-store doit favoriser la rationalisation des communications, par exemple au niveau des détails relatifs aux ventes flash, à l’extension ponctuelle des heures d’ouverture des magasins, ou aux nouvelles règles d’enlèvement des produits.
Par-delà une focalisation sur la relation client, l’intérêt du digital in-store est d’améliorer le fonctionnement du magasin lui-même, notamment pour réduire le niveau des ruptures (du moins dans un contexte « normal » qui échappe aux pénuries constatées en 2022 sur de multiples produits). En effet, rien ne tue plus la satisfaction des clients que les ruptures récurrentes en magasin, surtout pendant des périodes particulières comme les fêtes de fin d’année (Koos et Shaikh, 2019). Il s’avère par conséquent important de disposer d’outils numériques offrant au magasin les moyens de vendre des produits disponibles et de satisfaire les clients grâce à une vision en temps réel sur les stocks en magasin et en entrepôt régional. Le produit qu’un client désire acquérir est-il en rupture à son emplacement actuel ? L’élément clé est de pouvoir le localiser éventuellement dans un autre magasin et en informer le client, voire l’acheter pour son compte puis le mettre à disposition directement à son domicile. Le manager de rayon s’appuiera pour cela sur un système de gestion des commandes dont la finalité est de disposer des données sur les flux s’écoulant tout au long de la chaîne logistique, ce qui offre la possibilité d’avoir la vue la plus précise possible sur les stocks afin d’éviter les ruptures, en exigeant pour cela, le plus souvent, un fort engagement du distributeur dans la relation avec ses fournisseurs afin d’améliorer le pilotage logistique conjoint (Abbad et al., 2012).
Enfin, la digitalisation des magasins physiques joue clairement sur une simplification du processus transactionnel lui-même, comme peut l’être celui de la vente en ligne avec le paiement en un seul click (Brandt, 2011). La multitude d’options de m-paiement désormais proposées est une partie intégrante de la logique de fluidité qui préside au modèle du « sans couture » précédemment évoqué. Un terminal de paiement n’est plus seulement un dispositif où l’on accepte l’argent liquide ou le paiement par carte bancaire traditionnelle. Au contraire, les cartes Tap & Go sur Android proposent des services de paiement sans contact tout à la fois sécurisés et fiables, que l’on retrouve dans un nombre croissant de magasins, en parallèle avec les portefeuilles mobiles. D’une manière générale, tout est mis en œuvre pour faciliter les transactions, en offrant une commodité dans l’exécution de l’acte d’achat qui participe activement à la satisfaction du client (de Luna et al., 2019), dès lors à même de profiter au maximum d’une expérience immersive qu’il ne vivra certainement pas en ligne. Plusieurs exemples d’enseignes résument finalement les perspectives du digital in-store en référence à trois dimensions : une digitalisation valorisant la commodité ; une digitalisation valorisant l’immersion ; une digitalisation valorisant l’optimisation. Ces exemples sont le reflet d’un usage différencié du digital in-store en Europe, comme l’indique la Figure 1, mais dont on attend une expansion dans les prochaines années.
Figure 1. Digital in-store en Europe (2019)
Source : d’après WBR Insights (2020).
Digitalisation valorisant la commodité
Un distributeur orienté commodité, ou convenience en anglais, tient principalement compte de la volonté de ses clients de faciliter leurs achats, tout particulièrement en diminuant le temps passé pour une visite du magasin et le nombre de magasins fréquentés. Une tendance ancienne, d’ailleurs identifiée dès la fin des années 1990 par Griffith et Krampf (1997), indique que de nombreux consommateurs ne considèrent plus qu’il s’avère agréable de flâner dans des espaces commerciaux, en trouvant plutôt leur satisfaction dans des déplacements ultra-rapides compte tenu de l’élévation du coût du temps dans un monde dominé par la vitesse. En d’autres termes, ces mêmes consommateurs semblent prêts à renoncer à l’agrément d’une expérience d’achat à l’intérieur d’un magasin pour bénéficier de la commodité d’une entrée et d’une sortie effectuées au plus vite, sans aucune « friction », voire sans aucune interaction humaine. Depuis la pandémie de Covid-19, le paiement et le passage en caisse sans contact ne cessent ainsi de croître, au point qu’au Japon, par exemple, toutes les grandes chaînes de magasins de proximité ont pour objectif de généraliser la mise en place de caisses automatiques. Au-delà du m-paiement, certains détaillants tentent de réduire, voire de supprimer, toute interaction physique avec le personnel de vente. Deux exemples illustratifs de magasins orientés commodité : Amazon Go et Nike House of Innovation 000.
Quel observateur attentif de la distribution ignore qu’Amazon a révolutionné l’expérience d’achat en ligne, à travers les géniales intuitions de Jeff Bezos ? En revanche, le fait que l’enseigne souhaite s’emparer d’une partie du gâteau de la vente en magasin est moins connu. Pourtant, avec Amazon Go aux États-Unis (39 unités en juillet 2022), et Amazon Fresh au Royaume-Uni (19 unités en juillet 2022), elle est désormais très présente sur le canal physique, mais avec des magasins s’appuyant sur une combinaison de technologies de vision par ordinateur, de deep learning et de capteurs de mouvements pour automatiser le paiement (Polacco et Backes, 2018) ; il s’agit en fait de technologies que l’on retrouve dans les véhicules automobiles à conduite autonome. Concrètement, les clients entrent dans le magasin, prennent des articles et repartent sans faire la queue ni passer à la caisse, tandis que le paiement est automatiquement effectué via l’application Amazon Go (ou Amazon Fresh). Des appareils Alexa placés dans le magasin aident les acheteurs à s’orienter plus rapidement et à identifier les articles de leur liste d’achats au fur et à mesure de la déambulation dans l’espace commercial. La combinaison de technologies permet de détecter quand les produits sont pris mais ensuite remis en rayon, et lorsque le client quitte le magasin Amazon Go (ou Amazon Fresh) avec ses produits, le compte Amazon est débité et un reçu est envoyé selon la logique du « paiement invisible » en sortie.
Autre exemple de digital in-store s’appuyant sur une nette orientation commodité : le magasin amiral de 6 300 m2 Nike House of Innovation 000, ouvert à New York en 2018 par la célèbre enseigne (Schaefer, 2021). Comme son nom le laisse supposer, il ne s’agit pas d’un magasin physique conventionnel, sur le modèle des Nike Town de Londres et New York, mais d’un lieu commercial disruptif s’appuyant massivement sur des éléments numériques pour faciliter le processus d’achat. Outre les caisses d’encaissement instantané, le Speed Shop est l’une des principales caractéristiques du Nike House of Innovation 000 qui permet aux clients de réserver des chaussures en ligne pour les essayer en magasin. Plus précisément, les clients arrivent par une entrée dédiée et trouvent un casier portant leur nom, qui peut ensuite être déverrouillé via leur smartphone. S’ils le souhaitent, les mêmes clients n’ont même pas besoin de parler à quelqu’un, et encore moins de faire la queue. Toutefois, des vendeurs sont disponibles pour mettre à disposition la taille et la couleur d’un article essayé dans une cabine connectée. L’intérêt pour Nike est d’obtenir le maximum de données sur les clients pour placer en rayon les produits les plus appréciés et pour réapprovisionner le magasin quasiment en temps réel, en fonction des besoins du jour (ou de la semaine).
Digitalisation valorisant l’immersion
Un distributeur orienté immersion considère que l’activité de magasinage, ou shopping en anglais, ne se limite pas à une simple tâche « technique » d’acquisition de produits, mais renvoie au contraire à une expérience multisensorielle et interactive qui divertit, stimule et affecte émotionnellement les clients (Bonfanti et al., 2020). Le magasin doit par conséquent proposer une expérience d’achat attrayante, capable de répondre aux attentes psychologiques latentes des clients. Tel est l’objectif du magasinage immersif qui vise à créer une expérience interactive pour les clients afin qu’ils s’y plongent véritablement au lieu de se contenter de parcourir brièvement les rayons du magasin. Ceci rend les consommateurs plus enclins à faire des achats, sachant qu’ils passent plus de temps à choisir le produit et, par conséquent, se familiarisent davantage avec lui. Toutefois, l’objectif d’une stratégie immersive n’est pas nécessairement d’augmenter les ventes, mais plutôt de faire participer les clients et d’utiliser des événements en magasin pour répondre à leurs attentes psychologiques. Étant donné que les achats en ligne se développent rapidement et que les commerces de détail doivent adapter leurs pratiques pour inciter davantage de personnes à se rendre en magasin, un réel potentiel existe à ce niveau. Deux exemples illustratifs d’enseignes orientées immersion : Audi et Zara.
L’expérience d’achat d’un véhicule automobile commence de moins en moins souvent chez un concessionnaire, surtout depuis la pandémie de Covid-19. Les acheteurs potentiels effectuent généralement des recherches préalables via des sites Internet, des médias sociaux et des forums communautaires d’échange avant de s’engager pour une acquisition le plus souvent à forte dimension impliquante. Si les concessionnaires de plusieurs constructeurs automobiles proposent désormais l’achat en ligne pour des raisons de commodité, certains d’entre eux ont aussi pris une longueur d’avance en lançant des expériences de réalité virtuelle en concession (Hobmaier, 2018). C’est le cas d’Audi, qui offre la possibilité aux clients potentiels de configurer la voiture de leurs rêves, en explorant l’extérieur et l’intérieur du véhicule à travers des détails et finitions d’un grand réalisme. L’expérience de réalité virtuelle comprend également des « moments Audi » spéciaux, comme la course des 24 heures du Mans, où les clients peuvent vivre l’atmosphère unique des arrêts au stand. Grâce à une digitalisation fondée sur la réalité virtuelle, Audi s’est progressivement donné les moyens d’offrir une exceptionnelle expérience d’achat, à la fois immersive et interactive.
Sur un registre proche, Zara a introduit en 2018 la technologie de réalité augmentée dans ses magasins par le biais de vitrines extérieures et de zones dédiées (Yuan et al., 2021). Après avoir téléchargé l’application Zara AR, les visiteurs de certains magasins Zara étaient invités à pointer leur smartphone sur le logo de l’enseigne en magasin, et ainsi voir apparaître un mannequin sous forme d’hologramme ludique portant les dernières créations de la marque. Ces mannequins permettaient aux clients d’avoir une idée plus précise de la façon dont les vêtements se portent sur le corps et de la manière dont ils peuvent être coiffés, sans avoir à entrer dans une cabine d’essayage s’ils étaient pressés par le temps. Les vitrines extérieures fonctionnaient de la même manière, mais les modèles virtuels utilisaient le présentoir vide derrière la vitrine comme s’il s’agissait d’un podium. L’expérience a permis à Zara d’attirer les millennials en redynamisant la fréquentation de ses magasins physiques. Par ailleurs, la technologie de réalité augmentée a également été déployée sur les emballages des produits afin que les clients du site Internet de Zara aient un aperçu de la technologie et soient ensuite tentés de vivre eux-mêmes l’expérience virtuelle complète en magasin.
Digitalisation valorisant l’optimisation
Un distributeur orienté optimisation met en avant l’importance d’améliorer les opérations dans ses magasins pour augmenter leur rentabilité. Il est vrai que les entreprises de vente au détail sont de plus en plus fortement soumises au défi d’être flexibles et réactives afin de pouvoir répondre rapidement aux demandes des clients. Or, il est possible d’accroître l’efficacité de la main-d’œuvre tout en augmentant le niveau de service à la clientèle grâce à une disponibilité accrue des produits en rayon et une réduction des temps de passage en caisse. Ainsi, les distributeurs qui investissent dans des outils numériques au service de leurs employés sont largement plus rentables que ceux qui ne le font pas. Cela se traduit par le transfert d’une partie de la gestion des opérations en magasin vers des systèmes intelligents alimentés par des logiciels mobiles de vision par ordinateur. En parallèle, l’utilisation de tablettes et de smartphones apporte vitesse et simplicité accrue au travail quotidien des employés, parallèlement à une amélioration de la relation client (Shankar et al., 2021). Les résultats se font le plus souvent très vite sentir en termes de gain de temps, d’efficacité et de réduction des coûts, même s’il ne faut pas être dupe de la dimension contrôle intégrée dans les outils numériques au service de l’optimisation et du « capitalisme digital » (López et al., 2022). Deux exemples illustratifs de distributeurs orientés optimisation : Sam’s Club et Kroger.
Rien de plus fastidieux que de gérer les tâches de nettoyage des magasins physiques, malgré l’importance qu’elles peuvent revêtir pour l’image d’une enseigne. On sait par exemple que la première génération des hard discounters, dans les années 1990, avait mauvaise presse compte tenu de l’état d’insalubrité perçue qui pouvait être le leur, au cœur d’une politique d’anti-séduction (Anquez, 1993). Sam’s Club, une chaîne américaine de magasins-entrepôts réservés aux membres porteurs d’une carte d’adhérent, détenue et exploitée par Walmart, considère que les tâches de nettoyage sont donc essentielles, mais monotones et peu gratifiantes pour son personnel. L’enseigne a de fait confié à la société d’intelligence artificielle Brain Corp le soin d’équiper les robots nettoyeurs de sol d’une technologie permettant d’automatiser ces tâches, afin de libérer du personnel pour les rôles cruciaux de service à la clientèle. Dans un second temps, Sam’s Club a étendu son accord avec Brain Corp pour piloter l’installation d’une nouvelle gamme de robots munis de capteurs et analysant automatiquement les étagères dans ses magasins. Les données recueillies sont ensuite utilisées pour vérifier l’exactitude des prix, contrôler l’emplacement des produits par rapport au plannogramme et surveiller les niveaux de stock. Les managers de rayon reçoivent des alertes en temps réel sur leur tablette si une erreur est signalée par le système.
Les technologies automatisées et digitalisées de ce type devenant de plus en plus courantes dans les magasins de détail et les centres de traitement des commandes, comme on peut le voir avec la multiplication des robots Tally de Simbe Robotics principalement aux États-Unis (150 en activité en juin 2022), il est probable qu’elles seront progressivement adaptées pour effectuer une multiplicité de tâches administratives dans la gestion quotidienne des opérations, tant au niveau de la logistique que du commercial. C’est le cas de la chaîne alimentaire américaine Kroger ayant déployé depuis plusieurs années une technologie d’étiquetage numérique des prix dans plusieurs centaines de ses magasins. Dénommée Kroger Edge, cette technologie innovante affiche digitalement les prix, mais aussi les informations nutritionnelles de chacun des produits alimentaires, permettant au magasin de les mettre à jour instantanément et à distance (Lee et Lee, 2018). Kroger Edge fait partie d’un projet distributif plus large conclu entre Kroger et Microsoft en 2019 dans le but de redéfinir la stratégie de l’enseigne, par-delà l’optimisation recherchée dans le management des tâches administratives. Ainsi, la technologie Kroger Edge fonctionne avec une énergie renouvelable dans le but de réduire les coûts énergétiques. On peut parler ici d’une véritable démarche durable impulsée par Kroger, avec un puissant levier digital occupant une place non négligeable.
Pour conclure très provisoirement
Le digital in-store constitue une réalité managériale incontestable qui ne doit pas surprendre. En effet, les distributeurs ne pouvaient rester à l’écart de la digitalisation compte tenu des bénéfices qu’il est possible d’en tirer, tant en matière de pilotage des opérations que de relation client. Il faut toutefois admettre que les analystes rencontrent souvent de grandes difficultés à faire le tri entre de multiples pratiques, et proposer ensuite une catégorisation à la fois simple et pertinente de telles pratiques. L’objectif de l’article était de suggérer une grille de lecture en identifiant trois entrées possibles de la digitalisation : la commodité, l’immersion et l’optimisation. Les cas présentés doivent être vus comme des sortes d’idéal-types qui identifient certains traits d’une réalité donnée, les mettent explicitement en avant et offrent ainsi une représentation simplifiée des phénomènes observés. Il ne faudrait pas en tirer la conclusion que les six enseignes illustrant la grille de lecture n’ont retenu qu’une option parmi les trois proposées. Au contraire, il est fort probable que des enseignes jouent sur la commodité et l’optimisation, l’immersion et l’optimisation, voire sur la commodité, l’immersion et l’optimisation. Nous avons simplement mis en avant ce qui apparaissait comme une dominante dans leur stratégie de digitalisation, comme l’indique la Figure 2 pour un ensemble de technologies digitales.
Figure 2. Digital in-store : raisonner en termes de continuum
Source : L’auteur.
Au moment même où des interrogations se font de plus en plus pressantes sur l’avenir du magasin physique, dans un univers commercial qui semble confirmer le triomphe des ventes en ligne pour un nombre croissant de familles de produits, le digital in-store interpelle les chercheurs et les praticiens. Après tout, le magasin physique n’est-il pas en train de se réinventer en assimilant des outils numériques répondant aux attentes des clients et aux objectifs de rentabilité imposés par les actionnaires ? Bien évidemment, il est impossible de dresser la topographie définitive de trajectoires d’évolution à partir de quelques exemples, mais ces derniers ont pour vertu de souligner que des mutations sont à l’œuvre. Il s’agira par la suite d’examiner leur caractère conjoncturel ou structurel. Ainsi, courant 2022, Amazon a revu à la baisse son objectif d’expansion des magasins Amazon Fresh au Royaume-Uni, et un consultant spécialisé en distribution n’hésitait pas à déclarer dans Marketing Week du 23 août 2022 que « les tentatives d’Amazon dans le domaine du magasin physique n’ont généralement pas accordé suffisamment d’importance à la vente au détail, en construisant toute l’offre sur un élément technologique pouvant être facilement copié ». En bref, il faut savoir raison garder et décrypter finement ce que les enseignes nous donneront à voir de leurs choix stratégiques dans les prochaines années.
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