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Rosalie Christiane Nga Nkouma Tsanga
(rcnkouma2005@yahoo.fr) - Université de Maroua – Cameroun
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Introduction
Depuis l’avènement du COVID- 19, les institutions internationales et gouvernements n’ont de cesse mis en place des programmes de sensibilisation destinés à informer les populations des attitudes à adopter pour se protéger et sauver des vies. Ces messages, supposés favoriser des changements des comportements des cibles visées ont, parfois, pour effet des comportements déviants de la part de l’audience.
La littérature sur les effets des campagnes de prévention de santé publique a généré deux courants de pensée (Blondé & Gironda, 2016). Pour le premier courant, il existe un lien positif entre les attitudes des cibles envers le message et leurs intentions de changer de comportement (Sutton, 1982). A l’inverse, le second courant, révèle l’inefficacité des messages de prévention et souligne qu’ils pourraient entraîner des comportements à risque qualifiés d’effet boomerang (Byrne & Hart, 2010). Cette recherche s’inscrit sur cette dernière approche.
Forme particulière de résistance (Wilhelm & Al, 2019), la réactance psychologique est une réponse négative face aux campagnes de communication perçues par les cibles comme tentatives de contrôle de leurs comportements ou menaces de leurs liberté de choix (Brehm & Brehm, 1981). Dans le contexte de santé publique, il s’agit d’un refus d’engagement volontaire des cibles visées (Prim- Allaz & Darpy, 2016).
Elle a fait l’objet de nombreux travaux qui traitent de ses antécédents (Mourre & Gurviez, 2015), de ses effets (Prim-Allaz & Darpy, 2016) et de ses raisons (Wilhelm & Al, 2019). Cette recherche vient prolonger ces travaux et se propose de faire une analyse des comportements de réactance vis-à-vis des campagnes de prévention contre le COVID- 19 au Cameroun à travers des récits de vie. L’apport de ce travail est de contribuer au développement des modèles de résistance aux messages de prévention et de proposer des stratégies aux annonceurs en vue d’accroître la sensibilité de l’audience à l’égard de leurs communications.
La théorie du contrôle de la liberté
Encore appelée théorie de la réactance psychologique (Brehm & Brehm 1981), la théorie du contrôle de liberté suppose que les individus ont le sentiment d’être libres de choisir entre plusieurs alternatives et s’engagent dans des comportements où ils peuvent assurer leur liberté. Dans notre cas, elle explique le refus des cibles visées d’adopter les règles édictées par leur désir de préserver leur identité personnelle. Cette identité dépend, entre autres, de leur façon d’apprécier leurs actes futurs, explicitée dans le construit d’orientation régulatrice (Higgins, 1997). Sur cette base, deux stratégies s’offrent à l’individu : une orientation promotion qui consiste à maximiser l’occurrence d’un événement positif et une orientation prévention dont l’objectif est de minimiser la probabilité de réalisation d’un évènement négatif.
Ainsi, les personnes réactantes sont orientées promotion, se caractérisent par un optimisme important et une meilleure estime de soi. Elles auront tendance à accepter de prendre le risque de ne pas respecter les règles édictées, y compris la désapprobation sociale et seront moins enclines à modifier leurs comportements (Mourre & Gurviez, 2015).
Résultats de l’étude exploratoire menée au Cameroun
Les entretiens narratifs font état de sept facteurs susceptibles d’expliquer la réactance aux mesures contre le COVID-19, qui seront développés dans les points suivants.
Les perceptions de la gravité et de la vulnérabilité au COVID-19
Le comportement de santé d’un individu dépend de la perception qu’il se fait de la maladie. En ce qui concerne la gravité perçue de la maladie, les narrateurs mentionnent qu’« il s’agit d’une grippe mais un peu plus forte que les autres qui peut se soigner en quelques jours si l’on s’y prend tôt » (Angeline, 43 ans). Ils reconnaissent que cette pandémie fait des ravages au Cameroun. Toutefois, ils soulignent que « le risque n’est pas plus élevé que pour le paludisme qui touche des millions de personnes et tue environ 3000 personnes au Cameroun tous les ans » (Fabrice, 36 ans).
Ces participants admettent la vulnérabilité des personnes âgées et affaiblies par d’autres pathologies « Je ne suis pas en contact avec des personnes du troisième âge pour me sentir en insécurité » (Jules, 28 ans). « Je sais que ma position de diabétique me rend vulnérable, mais je me protège à travers une hygiène habituelle » (Félicité, 51 ans).
Le biais d’optimisme
Le biais d’optimisme est la tendance des individus à croire qu’ils ont plus de chance que leurs pairs de vivre des évènements heureux, et moins de chance qu’autrui de faire l’expérience d’évènements négatifs. « Le coronavirus, c’est l’affaire des blancs ; c’est une histoire importée. Et aussi, ce virus s’attaque uniquement aux vieux. Donc, je ne vois pas pourquoi je vais prendre des mesures alors que je ne suis pas concernée » (Annie, 24 ans). Ce type d’illusion pourrait provenir du contrôle perçu et des expériences de la vie. « Je vois des images de blancs malades à la télé et j’écoute des chiffres à la télé, mais je n’ai jamais vu un malade de COVID-19 et personne autour de moi ne m’a dit qu’il en connaît un seul ! » (Jean Paul, 52 ans).
Les normes des pairs
Les noirs africains se caractérisent par leur ancrage dans une communauté. Leurs comportements découleraient, en partie, de leur volonté d’adhérer aux normes du groupe. « Vous pensez que je peux cesser d’aller à la mosquée alors que mes amis et ma famille y vont ? C’est impossible, car c’est comme si je les trahissais. En plus, comment m’abstenir de saluer à la fin de la prière alors que les autres membres de la communauté le font autour de moi ? Je pense que l’idéal c’est de faire comme les autres car nous sommes tous pareils » (Ahmadou, 38 ans).
Le sentiment d’auto-efficacité
L’auto-efficacité perçue renvoie aux croyances en ses propres capacités et suppose qu’un individu est en mesure d’éviter la maladie par ses propres moyens. « Ce n’est pas seulement un problème d’hygiène. Cette maladie existe dans les pays où les règles d’hygiène sont le plus respectées. Moi, j’ai des capacités de l’éviter par mes propres moyens en renforçant mon système immunitaire en prenant du gingembre associé au citron et l’ail et du thé de moringa » (Madeleine, 45 ans).
Le besoin d’affirmer son indépendance
La prise de risque semble liée à la recherche d’autonomie. En effet, le réactant veut montrer qu’il est libre dans son choix. « Je sais que laver les mains est important ; je n’ai pas besoin qu’on m’instruise où et quand laver mes mains. [ …]. Est-ce qu’ils les respectent eux-mêmes ? Vous n’avez qu’à regarder les journaux télévisés… Alors qu’ils arrêtent de dire aux autres comment ils doivent se comporter » (Gérard, 29 ans).
La volonté de protéger son identité culturelle
L’identité culturelle d’un individu intègre son ethnie, sa religion, ses traditions et croyances, etc. Il est fréquent, chez les peuples africains, d’attribuer la maladie à des esprits malveillants, à une intervention divine ou diabolique et aux ancêtres. C’est donc la désobéissance à Dieu, aux ancêtres et coutumes qui est sanctionné par la maladie. « Nous avons été têtus et nous en payons le prix par de telles maladies. Il faut faire des sacrifices et faire des rites destinés à calmer cet esprit de mal » (Mathieu, 68 ans). « C’est un signe que Dieu est fâché contre le monde ; nous devons multiplier des prières pour implorer sa miséricorde » (Bernadette, 50 ans).
L’orientation régulatrice
Les verbatim des personnes interrogées mettent en lumière leur orientation promotion ; ils sont prêts à prendre des risques en favorisant les préférences individuelles même si elles sont ressenties comme des exclusions sociales. « Il est vrai que cette pandémie est dangereuse et très médiatisée, mais face à des difficultés je préfère résoudre les problèmes à ma manière » (Roland, 35 ans). « Le Coronavirus est quelque chose de très médiatisé et qui semble faire peur d’après ces médias et gouvernements du monde, mais je ne considère pas les obligations que ces mesures barrières m’imposent » (Marie Noëlle, 31 ans).
Conclusion
L’objectif de cette recherche était de comprendre les raisons de la réactance aux mesures édictées contre le COVID-19 en contexte africain. À partir d’une étude exploratoire réalisée au Cameroun, nous avons relevé sept déterminants de ces comportements : les perceptions de la gravité et de la vulnérabilité, le biais d’optimisme, les normes des pairs, le sentiment d’auto- efficacité, le besoin d’affirmer son indépendance, la volonté de préserver son identité culturelle et l’orientation régulatrice.
Sur le plan théorique, notre recherche enrichit les modèles de résistance aux messages de prévention de santé publique d’une variable : la volonté de préserver son identité culturelle. Ceci peut s’expliquer par l’ancrage des populations africaines dans leurs traditions: d’où la difficulté de pratiquer la distanciation sociale.
Sur le plan managérial, cette recherche appelle, les annonceurs des messages de prévention à changer de paradigme de communication à travers son ton et les personnes impliquées dans son processus. De ce fait, la communication doit être basée sur un positionnement de conseil, en reconnaissant aux cibles leur liberté de suivre ou non les mesures prescrites. Il importe également de faire participer toutes les parties prenantes à la communication de crise (anciens malades, personnels soignants, leaders d’opinions, anthropologues …).
Malgré son apport, cette recherche, de nature exploratoire, présente une limite liée à la taille de l’échantillon. Il semble pertinent de mener une étude quantitative sur un échantillon plus vaste et ainsi de pouvoir généraliser les résultats. Dans cette veine, il serait intéressant dans d’autres pays africains ayant des cultures variées.
Bibliographie
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