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Camille MORELON
(camille.morelon@gmail.com) - Laboratoire CORHIS, Université Paul Valéry Montpellier III
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Le schéma de fonctionnement de l’enseignement est stable depuis l’antiquité. Le triptyque école-enseignant-élève était déjà présent dans l’Egypte ancienne. Les méthodes pédagogiques ont, elles, évoluées mais n’ont pas révolutionné la façon de transmettre la connaissance.
Ce n’est que récemment que le secteur fait face à trois bouleversements majeurs : la massification de l’enseignement (contrairement à l’Egypte antique, les société développées proposent l’accès à l’enseignement supérieur à tout jeune qui le souhaite), la normalisation (harmonisation des diplômes et certifications) mais surtout la digitalisation de l’enseignement (Ghozlane et al., 2016 ; Dulbecco et al., 2018).
Le contexte actuel de confinement pousse les entreprises à développer le télétravail afin de maintenir une activité. Les écoles de commerces ne sont pas épargnées par le phénomène et sont également amenées à réagir afin d’assurer la continuité de leur activité d’enseignement.
Nous vous présentons dans les lignes qui suivent le cas de deux écoles de commerce basées à Montpellier au sein desquelles nous exerçons en tant qu’intervenant extérieur. A ce titre, nous avons été témoin de la rapidité avec laquelle ces deux écoles ont réagi au confinement en déployant les outils nécessaires au maintien de l’activité. Nous avons souhaité en savoir plus quant au bouleversement subi par ces établissements. Quelle est la stratégie adoptée et comment a-t-elle été déployée ? Quelles sont les problématiques rencontrées ? Comment les relations personnels administratifs-intervenants-étudiants a-t-elle pu être préservée ? Cette période particulière va-t-elle engendrer des changements durables ?
Pour répondre aux multiples questions que nous nous posions, nous avons réalisé deux entretiens téléphoniques (confinement oblige) avec un directeur académique et une responsable pédagogique. Nous avons également eu l’opportunité d’échanger avec une quinzaine d’étudiants. Nous vous exposons les enseignements issus de ces entretiens dans cet article.
Des outils technologiques déjà connus et généralisés dès le début du confinement
Avant confinement, les écoles interrogées étaient déjà familiarisées avec un certain nombre d’outils qui se sont avérés précieux pour la période qui a suivi. Ces établissements font partie d’un groupement plus large et les équipes administratives avaient déjà pris pour habitude de travailler en réunions à distance avec leurs collègues basés sur d’autres campus. Ces groupes se sont d’ailleurs dotés de services informatiques structurés et communs à l’ensemble du réseau d’écoles. Des services supports qui ont travaillé la semaine et le week-end précédant le confinement afin de s’assurer de la capacité des systèmes à supporter l’activité à venir. Par ailleurs, les concours d’admission avaient déjà été repensés afin de les rendre accessibles aux étudiants ne pouvant se déplacer sur le site.
Cette expérience de l’outil numérique a permis une transition facilitée vers le travail à distance imposé par le confinement. L’activité a pu être maintenue sans interruption ni accroc majeur. L’outil de visio-conférence jusque-là utilisé en interne par le personnel administratif a été déployé plus largement auprès des étudiants et des intervenants. La continuité pédagogique a ainsi pu être maintenue pour ces deux écoles. Pour l’une d’elle, cela s’est traduit par une première semaine de confinement pendant laquelle 126 modules de cours de 2 heures chacun ont pu être assurés à distance sur 129 initialement prévus en présentiel. La deuxième semaine, ce sont 100% des cours qui ont été assurés. Les listes d’appels, qui avant confinement étaient encore sur support papier ont été dématérialisées en quatre jours. Enfin, pour ce qui est des examens, la démarche utilisée pour les admissions a été étendue à l’ensemble des formations qui ne dépendent pas du ministère de l’Education nationale (formations pour lesquelles les écoles attendent les directives nationales). Une belle transition. Mais regardons d’un peu plus près la façon dont les différents acteurs ont appréhendé ce bouleversement.
Trois populations d’acteurs
Les établissements d’enseignement supérieur ont cette particularité qu’ils font interagir trois populations distinctes : le personnel administratif, les étudiants et les intervenants.
Concernant le personnel des écoles, l’ensemble des collaborateurs a pu poursuivre l’activité en télétravail (à l’exception d’une à deux personnes qui ont une activité exclusivement présentielle comme la secrétaire d’accueil de l’un des sites). Une activité qui s’avère en réalité plus dense pour les équipes afin d’assurer la continuité pédagogique. La mise en place des procédures, le déploiement des outils à l’ensemble des acteurs et les accompagnements individuels nécessitent une mobilisation et une réactivité forte du personnel.
Pour ce qui est de la population étudiante, il n’est pas à noter de difficulté particulière du point de vue technologique. En effet, les étudiants d’écoles de commerce sont bien équipés en outils digitaux et en ont une bonne maîtrise, ils ont grandi avec. Pour cette population, la technologie ne représente pas un obstacle dans cette période particulière.
Du côté des étudiants, le point de vigilance est à porter sur le maintien du lien social et le suivi des élèves. Le rythme de travail est bousculé. Les unités traditionnelles de temps, de lieu et d’action sont ébranlées (Playfair, 2014). Mais pas uniquement, pour les étudiants, notamment ceux qui vivent seuls, c’est le rythme de vie en général qui est impacté. Le plus grand risque est le décrochage. Le ministre de l’Education estimait le 31 mars dans un entretien sur Cnews qu’« entre 5 et 8% des élèves » ont été « perdus ». Certains jeunes ont besoin de ce lien social, du contact physique avec les enseignants et le personnel de l’école pour se motiver et avancer dans leur scolarité. Afin de recréer du contact humain, l’une des écoles a mis en place des rendez-vous hebdomadaires entre des membres du personnel et soit l’ensemble de la classe, soit les délégués, soit des groupes de travail. Ces rendez-vous offrent l’occasion aux étudiants d’échanger de façon formelle sur leur situation, leur scolarité et leurs difficultés éventuelles ou de façon plus informelle de passer un court moment de détente en compagnie d’autres étudiants et de membres de l’école.
Dans la continuité de ce manque de lien social, il émane de ces échanges que l’un des principaux problèmes engendrés par la distance est l’organisation et la coordination du travail. Les modes d’organisation sont chamboulés. Cette problématique est perceptible notamment sur les travaux de groupes qui sont demandés aux élèves. Les étudiants sont coutumiers de ce type de travaux qui leurs sont fréquemment demandés et qui ne sont donc pas la résultante de la situation de confinement. Ils sont par ailleurs, nous l’avons mentionné précédemment, bien familiarisés avec l’usage des outils digitaux. Il semble néanmoins que l’absence de lien physique vienne bouleverser des habitudes ancrées dans leurs pratiques. Ainsi, si l’école forme a des métiers elle vise aussi à les préparer « à s’adapter à tous types de situations inattendues ».
Enfin, du côté des intervenants, deux profils se détachent. Il y a d’un côté les intervenants extérieurs qui exercent par ailleurs une autre activité et qui sont déjà familiarisés avec les outils numériques et le travail à distance. Pour ceux-là, la transition est fluide et presque naturelle. De l’autre côté, il y a « les enseignants purs » pour qui le bouleversement est plus grand car leurs missions quotidiennes ne nécessitaient pas jusque-là l’emploi de tels outils. Ils sont pour certains moins bien équipés et moins habiles avec le digital. Pour l’ensemble des intervenants, un accompagnement a été mis en place, plus ou moins poussé selon les profils individuels. Cet accompagnement passe par une aide à la connexion aux différentes plateformes, une formation rapide aux outils et aux nouvelles procédures à suivre et une assistance sur le premier cours de chacun. Là encore, la principale difficulté ne vient pas de la technologie. Même si les formats et les contenus ont été prévus pour être délivrés en présentiel et ne sont pas toujours bien adaptés à une pédagogie à distance, les intervenants ont su s’adapter et proposer leurs cours. Non, la vraie frustration vient du manque d’échange avec les étudiants. Des étudiants qui eux-mêmes évoquent cette barrière de l’écran qui n’incite pas à la prise de parole. Certains admettent même leur difficulté à maintenir leur attention pendant le cours. Nous perdons quelque peu en spontanéité. C’est ici que nous prenons conscience de l’importance de la communication non verbale. Les gestes et expressions permettent aux étudiants comme aux intervenant de lire des réactions sur des visages, de s’accrocher à un mouvement, de réagir à un sourire. C’est une proximité physique qui rend tout le cours plus vivant et que la machine n’arrive pas encore à nous transmettre.
Et après ?
Nous avons voulu savoir si cette période si particulière allait laisser des traces, si des pratiques allaient rester ou émerger. Il apparaît que le distanciel va être déployé dans plusieurs contextes. D’abord pour les conseils de classes. Les écoles ont parfois du mal à mobiliser les intervenants pour cette étape de bilan pourtant nécessaire. Ouvrir la réunion à la visio-conférence pourrait la rendre plus accessible et ainsi favoriser leur participation. L’usage des outils de réunion à distance pourrait également être maintenu dans le cadre de conférences d’experts qui pourraient être diffusées sur l’ensemble des campus simultanément. L’une des écoles interrogées envisage aussi de repenser les maquettes pédagogiques en incluant du distanciel quand cela est pertinent. Enfin, suite à cette expérience, certains intervenants sont désireux d’inclure davantage les outils numériques dans leurs cours à des fins pédagogiques.
Pour conclure
Nous saluons la réactivité de ces écoles. Nous constatons que les trois populations étudiées ont fait preuve d’« une bonne adaptation aux outils numériques ». « Tous les publics ont su être réactifs et s’adapter dans un temps court ». Lorsqu’une difficulté était exprimée, un accompagnement spécifique et personnalisé a été proposé et la « transition a été fluide ». Le défi majeur s’est révélé être sur le plan humain et le maintien du lien social. Un lien qui, si brisé, peut fragiliser les individus voire mettre en péril une scolarité. Comme leur nom l’indiquent, les outils digitaux ne sont que des outils. Mis correctement au service de la pédagogie, ils permettent d’articuler intelligemment la distance et la présence (Charlier et al., 2006). Quoi qu’il en soit, ils ne remplaceront jamais la valeur et le rôle de l’humain dans sa sensibilité, sa capacité à comprendre et accompagner l’étudiant pour le faire grandir et lui montrer la voie.
Bibliographie
Charlier, B., Deschryver, N. et Peraya, D. (2006). Apprendre en présence et à distance : Une définition des dispositifs hybrides. Distances et savoirs 4(4), 469-496.
Dulbecco, P., Beer, M.-C., Delpech de Saint-Guilhem, J., Dubourg-Lavroff, S. et Pimmel, E. (2018). Les innovations pédagogiques numériques et la transformation des établissements d’enseignement supérieur. Rapport à madame la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Inspection générale de l’administration, de l’éducation nationale et de la recherche.
Playfair, E. (2014). Les promesses de l’apprentissage numérique. Revue internationale d’éducation de Sèvres. 2014(67), 53-61.
Ghozlane, S., Deville, A. et Dumez, H. (2016). Enseignement supérieur : mythes et réalités de la révolution digitale. Annales des Mines – Gérer et comprendre, 126(4), 28-38.